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1465 DOMINICAINS (TRAVAUX DES) SUR LES SAINTES ÉCRITURES 1466

un grand nombre à écrire leurs leçons ou à composer des travaux sur la totalité ou une partie de l’Écriture. Il serait à la fois impossible et même superflu de tenter ici la seule énumération de ces auteurs. L’activité littéraire de l’ordre s’étant exercée pendant deux siècles et demi sous le régime des manuscrits, un grand nombre de ces travaux sont restés inédits. On peut voir le développement pris par cette étude en parcourant le catalogue de Bernard Gui (Archiv, t. ii, 1886, p. 226, etc.) ou les Scriptores Ordinis Prsedicatorum de Quétif et Échard, quoique ces collections soient fort incomplètes. Tous les catalogues des manuscrits des grands dépôts des bibliothèques de l’Europe en contiennent des specimina fréquents. Il nous suffit de donner ici une vue générale de ceux qui ont joui d’une grande réputation ou qui ont été édités au moins en partie.

1° C’est encore Hugues de SaintCher qui ouvre la série des grands commentateurs dominicains de la Bible. Ses commentaires sont sous forme de postilles ou annotations : Postillse in universa Bibliajuxta quadruplicem sensum literalem, allegoricum, moralem, anagogicum (premières éditions, Venise et Bàle, 1487 ; la dernière, 8 in-f°, Venise, 1754). Hugues met à profit dans ses commentaires son travail sur les concordances, car il cite constamment les textes parallèles de l’Écriture ; c’est même là sa méthode d’interprétation littérale. Pour l’exposition des différents sens, il incorpore volontiers les autorités qui constituent l’ancienne glose. Le développement principal est donné aux trois sens secondaires. La position de Hugues comme commentateur est bien indiquée par un chroniqueur du commencement du xive siècle : Primus postillator exstilit, et iotam Bibliam egregie postillavit et excellenter in tantum, quod hucusque secundum non habuit. Henri de Hervordia, Chronicon, édit. Potthast, Gœttingue, 1859, p. 190-191.

2° Les commentaires de saint Thomas d’Aquin sur un certain nombre de livres de l’Écriture (Job, Psalm., Cantic, Isa., Jerem., Thren., Matth., Joa., Ep. Pauli) marquent un nouveau moment dans l’histoire de l’exégèse. Il transporte dans la dissection et l’interprétation du texte scripturaire la méthode qu’il a créée pour commenter les livres d’Aristote. Au lieu de la méthode d’annotations ou de postilles usitée avant lui, il dissèque les parties du livre et des chapitres pour montrer leur ordre et leur dépendance, et arrive par un procédé d’analyse de plus en plus circonscrit à l’examen des phrases et des mots. Il crée ainsi le véritable procédé exégétique. L’interprétation littérale occupe presque exclusivement ses commentaires, si l’on comprend sous cette dénomination l’élément théologique qui découle immédiatement du texte. 3° La carrière exégétique d’Albert le Grand comporte, comme sa carrière philosophique, une double manière, la seconde ayant été déterminée par l’influence de son propre disciple, Thomas d’Aquin. Albert avait d’abord commenté toute la Bible par postilles, à la façon de Hugues de Saint-Cher. Catalog. cod. hagiogr. biblioth. reg. Bruxellen., t. ii, p. 101. Ce travail est demeuré inédit. Albert commenta plus tard un certain nombre de livres de la Bible par un procédé analogue à celui de ses commentaires sur Aristote et dans lequel il se rapproche de saint Thomas. Mais ici comme ailleurs les écrits d’Albert n’ont ni la précision ni la sobriété de ceux de son disciple. Les éditions des œuvres complètes d’Albert ne contiennent pas entièrement cette seconde catégorie de commentaires. Ceux sur les Psaumes, Jérémie, Baruch, Daniel, les petits Prophètes, les quatre Évangiles et l’Apocalypse sont seuls publiés. Script. Ord. Prsed., 1. 1, p. 1745 ; Archiv, t. ii, p. 236.

4° La plupart des travaux sur le texte même de l’Écriture au moyen âge ont été exécutés sous forme de postilles, à la façon de celles de Hugues de Saint-Cher, ou de commentaires comme ceux de saint Thomas d’Aquin. Au xme siècle, le système des postilles, plus simple et

plus facile, semble avoir prédominé. Parmi les religieux qui ont écrit sur la Bible, soit sur une partie ou la totalité du texte, nous pouvons nommer : Jourdain de Saxe, second maître général de l’ordre ; Pierre de Tarentaise, archevêque de Lyon et pape sous le nom d’Innocent V ; Nicolas de Gorran, confesseur de Philippe IV, qui a écrit sur toute la Bible ; Bernard de Trilla, provincial de Provence ; Jean de Erdenbourg, maître de l’Université de Paris ; Thomas de Lentino, patriarche de Jérusalem. Au XIVe siècle : Thomas Jorg, professeur à Oxford et cardinal ; Nicolas de Trevet, maître d’Oxford ; Ptolémée de Lucques, évêque de Torcello ; maître Ekehart de Hochheim, le chef des mystiques allemands ; Ludolphe de Saxe, dominicain pendant une trentaine d’années, puis chartreux, connu par sa célèbre Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; Michel du Four, professeur à l’Université de Paris ; Pierre de la Palud, patriarche de Jérusalem, etc., etc. (On peut consulter pour ces noms et un grand nombre d’autres le catalogue de Bernard Gui, Archiv, t. ii, p. 226, et Échard, Sript. Ord. Prsed.) Au xve siècle, l’ordre, travaillé pardes réformes qui portèrent leur idéal vers l’ascétisme et négligèrent l’étude, vit diminuer notablement la vie scientifique. Ce qu’il gagna en bienheureux, il le perdit en docteurs. On pourrait cependant nommer, à côté du célèbre cardinal et théologien Jean de Torquemada (Échard, t. i, p. 839), un certain nombre de commentateurs.

5° À côté des travaux sur le texte de la Bible sous forme de postilles et de commentaires, l’ordre en produisit dès la fin du xiii 9 siècle, mais surtout au xiv, une catégorie spéciale, connue sous le nom de Lecturse. La lectura est un produit scolaire de l’enseignement de la Bible et représente la leçon telle qu’elle se donnait dans une école de théologie d’alors, en dehors des studia generalia. Ces sortes de commentaires sur les différents livres de la Bible sont distribués en leçons ou lectures, d’où leur nom. La leçon comprend l’explication d’une portion du texte scripturaire, quelques versets ou une partie du chapitre. L’interprétation en est donnée comme dans les commentaires proprement dits. Le maître pose ensuite une ou plusieurs questions de théologie proprement dite qui se rattachent plus ou moins directement au texte commenté. Une leçon comprend ainsi une partie purement scripturaire et une autre purement théologique. Ces écrits, assez communs au xive siècle, ne sont que l’aboutissant du mode d’enseignement de la théologie pratiqué dès le XIIe siècle ; le maître commentait l’Écriture comme texte scolaire et y greffait à son gré des questions dogmatiques ou morales.

Parmi les auteurs dominicains qui ont traité par ce procédé l’Écriture, on peut nommer : Olivier, provincial de Dacie ; Tullius, de la même province ; Jean de Erdenburg, Albert de Lombardie. Archiv, t. ii, p. 234-235 ; Échard, Script ; Ord. Prœd. Le célèbre commentaire sur la Sagesse, de Robert de Holcot, professeur à l’université de Cambridge, si souvent imprimé (l re édit., Spire, 1483), est composé d’après cette méthode. Pareillement les lectures de Dominique Grenier sur la Genèse et les livres historiques de l’Ancien Testament (Toulouse, Bibl. municip. , mss. 28, 29, 31), dédiées à Jean XII et écrites sur le conseil du général de l’ordre, Béranger de Landore (Échard, t. i, p. 613 ; Douais, Essai sur l’organisation, p. 117-119). Les leçons d’Arnaud Bernard sur l’Apocalypse données dans les écoles épiscopales de l’archevêque de Toulouse, Jean de Cardailhac, en 1379, appartiennent au même type (Toulouse, Bibl. mun., ms. 57 ; Douais, p. 119 ; Échard, t. i, p. 589).

6° On peut encore rapprocher des groupes de travaux précédents, relatifs à l’intelligence du texte sacré, les écrits connus aujourd’hui sous le nom de Chaînes. Voir col. 482. Ces extraits des Pères de l’Église et des auteurs ecclésiastiques avaient déjà trouvé une première, réalisation dans la glose ordinaire de Walafrid Strabon (IXe siècle). Saint