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Old Testament in Greek, Cambridge, 1895, t. i, p. 15 ; t. ii, p. 1. En somme, ces autorités comparées et additionnées sembleraient faire pencher la balance en faveur de Dôdânîm. Malgré cela, les exégètes, comme nous allons le voir, ont gardé à Rôdânîm son degré de probabilité.

11. Identifications. — « Aux deux lectures Dôdânîm et Rôdânîm se rattachent deux systèmes d’interprétation anciens du quatrième fils de Yàvàn, entre lesquels la entique contemporaine hésite encore et ne saurait se prononcer d’une manière absolument affirmative, car tous les deux sont en mesure de faire valoir de sérieux arguments en leur faveur. » F. Lenormant, Les origines de l’histoire, Paris, 1884, t. ii, 2 « part., p. 143.

1° Dôdânîm = Dardaniens. — Le premier système est celui de Knobel, Die Vôlkertafel der Genesis, in-8°, Giessen, 1850, p. 104-109, d’après le Targum de Jonathan ben Uziêl et le Talmud de Jérusalem, Megillah, i, fol. 11, qui rendent Dôdânîm par Dardanya, c’est-à-dire les Dardaniens. Cf. A. Neubauer, La géographie du Talmud, in-8°, Paris, 1868, p. 424. Au point de vue linguistique, on explique l’assimilation par la contraction assez fréquente en hébreu et en phénicien de la syllabe ar en ô. On cite particulièrement, en hébreu, la forme verbale irrégulière ye’ô'êrû, pour ye’ar’ërû, de’ûr, « éveiller, exciter, » dans Is., xv, 5, celle de hasâsêr pour hasarder (d’où hasôsrâh, « trompette » ), d’un verbe hâsar ; enfin Je nom géographique Arô’êr, contracté de’Arar’ér ( de’ârar), qui conserve encore ses trois r dans la transcription égyptienne du temps de Thotmès III, Harhorar. En phénicien, le nom lyarba’al, transcrit en latin Jarbas, Hiarbas, se contracte en Yoba’al, lobai, Jubal. On trouve de même Bomilcar pour Barmilcar, Himilco pour Himilcar, comme Auvergne vient de Arverni. Historiquement l’identification présenterait assez de vraisemblance. Les Dardaniens sont un des grands peuples de la haute antiquité. Nous les voyons des deux côtés de l’Hellespont, une partie ayant franchi ce détroit et passé en Asie Mineure, tandis qu’une autre restait en arrière sur le sol de l’Europe. Cette dernière nation, sauvage et guerrière, Strabon, vii, p. 316, habitait le sud-ouest de la Mysie européenne ou Mœsie, touchant à l’est aux Thraces, au sud aux Macédoniens et aux Péoniens, et s’étendant sur une partie de l’Illyrie. Ceux d’Asie Mineure, dont Diodore de Sicile, v, 48, affirme la parenté avec ceux d’Europe, disparurent de bonne heure comme peuple distinct, mais après avoir atteint un bien autre degré de civilisation et d’importance. Au temps de Strabon, xii, p. 565 ; xiii, p. 596 et 606, le peuple dardanien de Troade et son canton de Dardania n’étaient plus qu’un souvenir, et les limites du canton, situé au nord d’ïlion, n’étaient pas très exactement définies. Mais la mémoire s’en perpétuait dans le promontoire Dardanis ou Dardanion et dans la ville éolienne de Dardanos, d’après laquelle, à son tour, le détroit des Dardanelles a reçu le nom qu’il porte encore aujourd’hui. — On objecte à cette opinion que les Dardaniens sont un peuple thraco-illyrien, et non pas gréco-pélasgique. Par leurs affinités ethniques, ils devraient donc appartenir à la descendance de Gomer, non à celle de Javan. Le peuple dardanien est un frère d’Ascenez ou des Phrygiens, et il est difficile de croire que ce n’est pas ainsi que l’aurait représenté l’auteur de la Table ethnographique, s’il l’avait compris dans ses généalogies. Cf. Fr. Lenormant, Les origines de l’histoire, t. ii, 2° part., p. 142-153. Cette hypothèse est admise par Gesenius, Thésaurus, p. 1266, et Frz. Delitzsch, Neuer Commentar ûber die Genesis, Leipzig, 1887, p. 208. Malgré ses difficultés, elle est certainement préférable à celle de J. D. Michælis, Spicilegium geogr., t. I, p. 120 ; de Rosenmùller, Bibl. À Iterthumskunde, t. i, 1° part., p. 225, et dé Krûcke, Erklârung der Vôlkertafeln, p. 34 (cf. Knobel, Die Vôlkertafel der Genesis, p. 105), qui proposent un rapprochement entre Dô dânîm et Dodone, la célèbre ville d’Épire, comme étant le plus ancien centre religieux et national des Hellènes proprement dits. Le chapitre x de la Genèse désigne des peuples ou des pays, et non pas de simples localités de ce genre. Ensuite il nous montre les fils de Javan habitant les îles et les côtes de la Méditerranée plutôt que les régions continentales.

2° Rôdânîm — habitants de Rhodes. — Le second système se rattache à la leçon Rôdânîm et’/oit dans ce peuple les habitants de l’Ile de Rhodes, comme les Septante, qui ont traduit par’PôStot, et saint Jérôme, Liber hebr. qusestionum in Genesim t. xxiii, col. 952, qui explique le nom par Rhodii. Il semble s’accorder mieux avec le texte biblique, qui, par l’expression Kiffîm ve-Rôdânim, indique un lien spécial et étroit entre ces deux groupes géographiques, c’est-à-dire Chypre et Rhodes. Le peu de place que cette dernière lie tient sur la carte ne saurait être, comme l’a pensé Bochart, Phaleg, lib. iii, cap. vi, Cæn, 1646, p. 181, un obstacle à ce qu’elle figure à elle seule sous un nom particulier dans la généalogie des fils de Javan. Elle a pu devoir ce privilège à son importance historique de premier ordre dans les annales primitives des contrées grecques. Dès le temps de la composition des poèmes homériques, occupée par des Doriens, elle constituait un des principaux États helléniques. Strabon, xiv, p. 654, parle du développement de ses colonies et navigations commerciales jusque dans le lointain occident, longtemps avant celles de la plupart des autres cités de la Grèce. Mais son insertion dans la Table ethnographique serait surtout justifiée par ce fait que la grande île de la côte de Carie a été de très bonne heure connue et fréquentée par les Phéniciens. Elle devint même le siège d’un de leurs principaux et de leurs plus anciens établissements dans les mers grecques. On peut voir dans F. Lenormant, Les origines de l’histoire, t. ii, 2e part., p. 155-165, le fondement de ces rapports historiques entre les Phéniciens et l’île de Rhodes. Outre ce dernier savant, plusieurs auteurs admettent cette opinion, entre autres J. Halévy, Recherches bibliques, Paris, 1895, t. i, p. 261, et A. Dillmann, Die Genesis, 6e édit., Leipzig, 1892, p. 177, quiétend les Rôdânîm d’une façon générale aux habitants des lies de la mer Egée. — La même leçon Rôdânîm a fait naître une autre hypothèse que nous ne nous arrêterons pas à discuter, car elle est universellement rejetée : c’est celle de Bochart, Phaleg, lib. iii, cap. vi, p. 183-188, qui reconnaît ici les habitants des embouchures du Rhône, Rhodanus ; elle est historiquement et géographiquement impossible.

A l’identification Rôdânîm = Rhodiens on objecte l’ignorance où nous sommes du nom primitif de l’île, puis le manque de pleine conformité entre les deux mots, puisque le noun ou l’ra de Rôdânîm fait délaut dans Rhodes, Rhodii. Un commentateur récent, F. de Hummelauer, Comment, in Genesim, Paris, 1895, p. 311, qui formule cette objection, préfère, à cause de la correspondance exacte entre les noms, assimiler les fils de Javan dont nous parlons aux Rotennu, qui payèrent tribut aux pharaons de la XIXe à la XXI » dynastie, et, au temps de Thotmès III, possédaient plusieurs villes confédérées depuis les rives de l’Oronte jusqu’au torrent de Cison et de là jusqu’à l’Euphrate. Les Rtnu, Rotanou ou Lotanou, sont, en effet, les Syriens du nord ; cf.W. Max Mùller, Asien und Europa nach altâgyptischen Senkmâlern, Leipzig, 1893, p. 143-147. Mais les égyptologues et les exégètes ne sont pas d’accord pour savoir quel peuple biblique ils représentent. Les uns ont pensé aux Ludim, Gen., x, 13 ; d’autres à Lud, fils de Sem, Gen., x, 22 ; d’autres à Lotan, fils d’Édom. Gen., xxxvi, 20, 22. On les a ainsi rattachés tantôt à la race de Cham, tantôt à celle de Sem, plutôt qu’à celle de Japheth. Cette opinion d’ailleurs est-elle bien conciliable avec l’ensemble et la nature des territoires assignés par l’Écriture aux fils