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DELUGE


certain que la quantité d’eau existante n’ait pas suffi à la submersion générale du globe, surtout si l’on admet que l’irruption des mers sur les continents ne s’est pas faite partout en même temps, mais a couvert successivement toutes les contrées du monde. L’universalité absolue du déluge est confirmée par un passage de la seconde Épitre de saint Pierre, iii, 6 et 7. L’apôtre compare au déluge la conflagration universelle qui aura lieu à la fin des temps. Le monde périra alors par le feu comme il a péri une première fois par l’eau. La comparaison entre les deux catastrophes n’existe que sous le rapport de l’étendue ; elle serait inexacte si toutes deux n’avaient pas la même universalité. — Ces arguments exégétiques, joints à l’interprétation unanime des anciens et à l’universalité des traditions diluviennes, ont déterminé quelques exégètes modernes à admettre encore que le déluge a couvert la terre entière et a détruit tous les hommes et tous les animaux. D’Avino, Enciclopedia dell’Ecclesiastico, 3e édit., 1878, t. i, p. 850-852 ; Moigno, Les splendeurs de la foi, 1877, t. iii, p. 1118-1133 ; Ubaldi, Introductio in Sacram Scripturam, 2e édit., Rome, 1882, t. i, p. 735-753 ; T. J. Lamy, Comment, in librurn Geneseos, Malines, 1883, t. i, p. 302-312.

2° Universalité relative et anthropologique. — Beaucoup de commentateurs et de théologiens de nos jours estiment que le déluge de Noé doit être restreint à la portion de la terre qui était colonisée lorsqu’il se produisit. Suivant eux, tous les hommes, hormis la famille de Noé, ont été engloutis dans les flots ; mais l’inondation n’a pas recouvert tout le globe ni détruit tous les animaux. L’universalité du déluge n’est ni géographique ni zoologique ; elle est seulement anthropologique.

Cette interprétation leur paraît nécessaire pour couper court aux graves objections que la zoologie et la physique soulèvent contre l’universalité absolue du déluge. Le pla cernent dans l’arche, qui était proportionnellement insuffisante, de toutes les espèces animales aujourd’hui connues et des provisions nécessaires à leur alimentation si variée durant une année ; les soins qu’exigeait leur entretien de la part de huit personnes seulement ; la nécessité pour les animaux venus de zones différentes de s’accommoder à un climat uniforme ; le repeuplement du globe entier, alors que les migrations des animaux spéciaux à l’Amérique et à l’Océanie, par exemple, n’ont pas laissé de traces, alors que les faunes ont toujours été localisées et que certaines espèces animales n’ont jamais existé en dehors de leurs zones respectives ; la conservation des poissons d’eau douce et d’eau salée dans le mélange des eaux de la pluie et des fleuves avec les flots de la mer : tout cela crée des difficultés insurmontables. D’autre part, dans le domaine de la physique, on ne peut guère expliquer la provenance de l’immense masse d’eau nécessaire pour inonder le globe entier. La quantité d’eau connue est insuffisante. Même sans tenir compte des crevasses et des enfoncements de la surface terrestre, il faudrait, au-dessus du niveau de la mer, un volume d’eau d’une profondeur égale à la hauteur du pie le plus élevé de l’Himalaya, à une hauteur de 8839 mètres. L’eau fut-elle suffisante, la submersion simultanée des deux hémisphères serait physiquement impossible. Celte submersion amènerait dans l’atmosphère un changement qui modifierait les conditions de la vie sur terre. Recourir à la toute-puissance divine pour expliquer ces impossibilités, c’est multiplier les miracles que le récit sacré ne mentionne pas et que les principes d’une sage exégèse ne permettent pas d’introduire inutilement.

Du reste, le texte de la Genèse peut s’interpréter légitimement, en restreignant les limites de l’inondation. Les expressions générales et absolues : « toute chair qui a vie sous le ciel, tout ce qui existe sur la terre ; toutes les hautes montagnes qui sont sous le ciel, » Gen., vi, 17 ; vu, 19, doivent être entendues d’après le génie propre des langues orientales. Or les Orientaux emploient sou vent l’hyperbole, non seulement dans leurs écrits poétiques, mais jusque dans leurs livres historiques, et rien n’est plus fréquent dans la Bible que de désigner des contrées déterminées par les mots « toute la terre ». La famine qui régna du temps de Jacob dans les pays voisins de la Palestine et de l’Egypte a prévalu sur toute la terre. Gen., xli, 54, 56, 57. L’entrée des Israélites en Palestine répand l’effroi chez tous les peuples qui habitent sous le ciel, Deut., ii, 25, c’est-à-dire chez les peuples limitrophes. De même, Deut., xi, 25, et II Par., xx, 29. Toute la terre qui désirait voir Salomon, III Reg., x, 24, était seulement la terre qui avait entendu parler de lui. À la première Pentecôte chrétienne, il y avait à Jérusalem des hommes de toute nation qui est sous le ciel, c’est-à-dire des Juifs de tous les pays de la dispersion. Les anciens exégètes avaient remarqué chez les écrivains bibliques l’emploi de termes absolus et généraux pour exprimer des faits restreints. S. Jérôme, In Isaiam, xiii, 5, t. xxiv, col. 160. Il est donc permis d’appliquer au récit du déluge dans la Genèse ce procédé de restriction, qui est nécessaire dans d’autres passages bibliques. Ce récit présente d’ailleurs des indices positifs de restriction. La colombe ne trouva pas où poser le pied, parce qu’il y avait de l’eau sur la surface de toute la terre. Gen., viii, 9. L’oiseau voyageur n’avait évidemment pas parcouru le globe entier, et « toute la terre » désigne simplement ici l’espace que la colombe avait exploré. Enfin, dans l’interprétation du récit biblique, il faut tenir compte du point de vue subjectif du narrateur et des lecteurs. Or Noé et ses premiers descendants, Moïse et ses contemporains, ne connaissaient pas le globe entier ; leur science géographique était bornée. Le récit du déluge, longtemps transmis par la tradition orale et enfin consigné par écrit, est conforme à leurs connaissances. Il ne se rapportait qu’à la terre alors connue d’eux, aux montagnes qu’ils avaient vues, aux animaux qui les entouraient et dont ils avaient entendu parler. Il est donc légitime de restreindre le texte sacré à la terre habitée, et, malgré des apparences contraires, cette restriction n’est pas en contradiction avec la narration de Moïse. Quant à la parole de saint Pierre, elle signifierait, si on la prenait à la rigueur, que la terre fut détruite par l’eau au temps du déluge comme elle le sera par le feu à la fin des temps. Toutefois le but de l’apôtre n’est pas de comparer les deux catastrophes au point de vue de l’étendue, mais seulement au point de vue de la certitude du fait et des effets produits.

La restriction de l’universalité du déluge à la terre habitée n’est pas opposée non plus à la tradition ecclésiastique, qui n’a pas reconnu sans exception l’universalité absolue de l’inondation. L’auteur anonyme des Quxstiones et responsiones ad orthodoxes, q. xxxiv, Pair, gr., t. vi, col. 1282, réfute quelques écrivains anciens qui disaient que le déluge n’a pas envahi toute la terre, mais seulement les contrées que les hommes habitaient alors. Théodore de Mopsueste soutenait ce sentiment, ainsi que nous l’apprend au vn « siècle Jean Philopon, De mundi créations, 1. i, c. xiii, dans Galland, Bïbliotheca veterum Patrum, Venise, t. xii, 1778, p. 486. Le cardinal Cajetan, In Genesim, viii, 18 (dans ses Opéra omnia in S. S., 5 in-f », Lyon, 1639, 1. 1, p. 46), excluait les sommets des plus hautes montagnes. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, trois écrivains protestants enseignèrent l’universalité restreinte du déluge. Isaac Vossius, De vera setate mundi, La Haye, 1659, s’en fit le champion et répondit aux objections de George Horn, Castigationes ad objecta Georgii Hornii, et Auctuarium castigationum ad scriptum de setate mundi, La Haye, 1659. Abraham van der Mill avait émis la même opinion dans un écrit publié plus tard, De origine animalium et migratione populorum, Genève, 1667, et Halle, 1705. Son gendre, André Colvius, communiqua le manuscrit’de son beau-père à Vossius, qui lui adressa une lettre, Ad Andream Colvium epistola qua refelluntur argumenta qux diverst