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DELUGE


douze chants, qui raconte les exploits du héros Gilgamès. Il est reproduit sur la onzième tablette et constitue le onzième chant, qui existe presque en entier. Gilgamès est allé trouver son ancêtre, Samas-napistim, dans le pays éloigné et de difficile accès où les dieux l’ont transporté pour le faire jouir d’une éternelle félicité. Samasnapistim raconte à son petit-fils l’histoire du déluge et de sa propre conservation. La ville de Surippak sur l’Euphrate était déjà ancienne, quand les dieux résolurent de laire un déluge. Éa révéla leur dessein à Samas-napistim et lui ordonna de construire un vaisseau, dont il lui indiqua les mesures, et il lui suggéra la réponse à donner aux questions des habitants de Surippak. Samas-napistim devait dire qu’il voulait fuir devant la colère de Bel, qui inonderait bientôt la contrée. Le vaisseau achevé, Samasnapistim offrit un sacrifice, rassembla ses richesses et fit monter dans le navire ses serviteurs et ses servantes, les animaux des champs et des semences de vie. Dès que la pluie tomba, il entra lui-même dans le vaisseau, dont il ferma la porte. La tempête produite par les dieux fut si effroyable, qu’ils en furent eux-mêmes épouvantés. L’humanité était redevenue de la boue. Le vent, le déluge et l’orage régnèrent sept jours et sept nuits. Le septième jour, à l’aurore, la pluie cessa, la mer devint tranquille et le vent s’apaisa. La lumière ayant reparu, Samas-napistim vit la plaine liquide comme un désert. Son vaisseau fut arrêté par la montagne de Nizir et ne put passer au delà. Après sept jours d’arrêt, Samas-napistim lâcha une colombe, qui alla, tourna et revint, parce qu’elle n’avait pas trouvé une place de repos. Une hirondelle fit de même. Un corbeau ne revint pas. Samas-napistim fit sortir les animaux et offrit aux dieux un sacrifice d’agréable odeur. Bel se montra très irrité de la préservation de Samas-napistim. Éa lui reprocha son emportement et lui conseilla de punir désormais les seuls coupables, au lieu d’envoyer sur terre un déluge universel. Bel apaisé fit monter Samas-napistim et sa femme dans le vaisseau, les bénit, leur conféra l’immortalité et les fit habiter « à la bouche des rivières ». Voir G. Smith, Assyrian Discoveries, p. 184-193 ; Chaldxan Account of Genesis, 1876, p. 263-272, et édition Sayce, Londres, 1880, p. 279-289 ; Transactions of the Society of Biblical Archseology, 1874, p. 534-587. Le texte seul est publié dans les Cuneiform Inscriptions of Western Asia, t. IV, pi. l-li. Cf. Fr. Lenormant, Les origines de l’histoire, 2 B édit., 1880, 1. 1, p. 390-418, 601-618 ; P. Haupt, Der Keilinschriftliche Sintflutbericht mit dem autographistem Keilschriftext des babylonischeri Sintflutfragmenten, Leipzig, 1881, et dans E. Schrader, Die Keilinschriften und das Alte Testament, 2 8 édit., Giessen, 1882, p. 55-79 ; A. Jeremias, lzdubar-Nimrod, 1891 ; A. Loisy, Les mythes c/ialdéens de la création et du déluge, Amiens, 1892, p. 39-95 ; J. Sauveplane, Une épopée babylonienne, Istubar-Gilgamès, Paris, 1894 ; F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., Paris, 1896, t. i, p. 309-325 ; Sayce, La lumière nouvelle, trad. franc., Paris, 1888, p. 35-48 ; G. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient, t. i, Paris, 1893, p. 147-151.

Cette légende présente avec le récit biblique du déluge de nombreux points de coutact. Les ressemblances qui existent dans la marche générale de la narration, dans l’ordre de la composition et parfois jusque dans les détails du style, rendent indiscutable la parenté des deux documents. On constate cependant de notables divergences. Sans parler du caractère polythéiste et mythologique du poème chaldéen, celui-ci a été composé chez un peuple maritime et porte l’empreinte des mœurs et des coutumes des habitants du golfe Persique, tandis que la Genèse décrit le déluge pour un peuple continental. Si les analogies prouvent la communauté du fond, les divergences, qui sont caractéristiques, établissent l’individualité propre des deux récits. Quant aux rapports originels des deux traditions, les critiques ne sont pas d’accord. Les uns ;

admettent la dépendance des deux documents, hébreu et chaldéen, ou au moins des deux traditions qu’ils représentent. Aux yeux de certains critiques rationalistes, qui rabaissent la date du Pentateuque, le récit de la Genèse serait un emprunt direct et assez tardif fait au poème cunéiforme ; il n’en est qu’une édition épurée, une adaptation aux idées religieuses des Hébreux et une transformation monothéiste et très abrégée. L’emprunt, s’il a existé, n’a pas eu lieu à une époque récente, et il n’est pas l’oeuvre d’un homme ; c’est l’œuvre de plusieurs générations. La transformation des légendes chaldéennes s’était faite chez les Hébreux dans la tradition populaire avant que le récit ne fût reproduit dans les documents bibliques. « Rien ne s’oppose à ce que l’histoire du déluge ait été connue par les ancêtres d’Israël durant leur séjour en Mésopotamie, et qu’elle se soit conservée, en se modifiant et en s’épurant, chez les descendants d’Abraham jusqu’au moment où nous la trouvons fixée dans les textes bibliques. » A. Loisy, Les mythes chaldéens de la création et du déluge, p. 93. Mais d’autres critiques reconnaissent avec plus de vraisemblance dans la légende chaldéenne et la narration mosaïque deux récits parallèles, nés d’une tradition commune et primitive plus ou moins fidèlement conservée. Elles représentent deux formes indépendantes, nationales et localisées de la tradition sémitique. Ce sont des traditions sceurs qui, sous l’empire de causes physiques et morales, ethniques et géographiques, se sont diversifiées. La tradition mère se serait mieux conservée dans le récit de Moïse que dans le document babylonien, où elle est défigurée par des altérations mythologiques. Fr. Lenormant, Les origines de l’histoire, 1880, t. i, p. 407-408 ; F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., Paris, 1896, p. 330.

2° Les autres traditions diluviennes. — Des traditions relatives au déluge se retrouvent chez la plupart des peuples du monde. On les a généralement rapprochées du récit de la Genèse, mais avec des divergences de vues qui ont donné lieu à trois interprétations différentes. — 1. Suivant l’une, la tradition diluvienne est universelle, et tous les peuples ont gardé le souvenir du déluge de Noé. Déjà on a constaté l’existence de ce souvenir chez la plupart, et, si une nation semble ne l’avoir plus, c’est qu’elle n’a pas encore livré toutes ses traditions, ou qu’elle a perdu celle du déluge par suite de migration, de mélange avec d’autres peuplades ou de quelque autre circonstance historique analogue. Or toutes ces traditions diluviennes sont des lambeaux plus ou moins mutilés de l’unique et véritable tradition primitive. Les transformations qu’elles ont subies s’expliquent par l’adaptation locale du cataclysme et se sont produites par restriction. L’événement, de général et universel qu’il était, est devenu local, particulier et restreint. Cf. Lùken, Traditions de l’humanité, trad. franc., 1862, t. i, p. 249-350 ; Lambert, Le déluge mosaïque, 2e édit., Paris, 1870, p. 43-165 ; F. Vigouroux, Manuel biblique, 9e édit., 1895, t. i, p. 590-596. — 2. Une étude critique et scientifique de ces souvenirs du déluge a permis de distinguer les traditions réellement diluviennes, qui se rapportent de fait au déluge de Noé, des pseudodiluviennes, qui se réfèrent à des inondations locales. Les traditions réellement diluviennes sont elles-mêmes ou originales et aborigènes, c’est-à-dire originaires des pays où elles sont conservées et propres aux peuples qui les détiennent, ou importées par des étrangers dans la région où on les retrouve et par conséquent empruntées. Or, si la tradition diluvienne n’est pas absolument universelle, elle existe dans toutes les grandes races de l’humanité, sauf une, la race nègre, chez laquelle on en a vainement cherché la trace. Les races aryenne ou indo-européenne, sémitique ou syroarabe, chamite ou couschite, l’ont en propre et ne l’ont pas empruntée l’une à l’autre ; chez elles, elle est primitive. La race jaune la possède, mais