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DANIEL (LE LIVRE DE)


systèmes principaux qu’il a dressé, p. 290, et sur lesquels il porte avec raison le jugement suivant : « Ils sont unanimes, dit-il, à exclure de la prophétie le vrai Messie, le Rédempteur. En dehors de cela ils abandonnent tout le reste, libéralement, au gré et au caprice de chaque chercheur. Aussi le résultat est-il une vaine chimère où sont foulées aux pieds toutes les lois de la langue, de l’exégèse et de l’histoire, » p. 285. — La conception catholique, au contraire, regarde unanimement cette prophétie comme messianique, c’est-à-dire, pour parler nettement, comme se rapportant à Jésus-Christ Notre -Seigneur, à son temps et à son œuvre. Que s’il reste encore des points obscurs, ils ne nuisent pas à l’attribution générale, et l’on peut commodément les éclaircir.

Preuves. — 1° Aux dates et aux faits du texte répondent exactement les dates et les faits de la vie de Jésus, et seuls ils y répondent. Les soixante-dix semaines (490 ans) finissent à l’apparition des biens messianiques, dont nous avons parlé. La crucifixion de Jésus a amené la rémission des péchés, la réalisation des anciennes prophéties et l’onction par l’Esprit de l’Église naissante. La date du décret de reconstruction de Jérusalem, date qui ouvre la période totale des 490 ans et la période initiale des 49 ans, est, suivant un plus grand nombre, — car plusieurs ont préféré la septième année, ce qui en somme ne fait pas un grand écart, — la vingtième année d’Artaxerxès Longue-Main, c’est-à-dire, d’après un comput probable, l’an 290 de Rome fondée. Ajoutez les soixante-dix semaines ou 490 ans, et vous arrivez à l’an 780, date effective de la rénovation prédite. La ville est rebâtie dans les sept premières semaines (49 ans) ; dans quelles angoisses ! on le sait par Esdras. Soixante-deux semaines après (434 ans), le Christ est mis à mort Puis le peuple qui l’a renié. est rejeté. Puis, à une date qui suit, la ville et le Temple sont détruits par l’armée de Titus, et la ruine et la dévastation persévèrent. Dans la soixante-dixième semaine, Jésus inaugure l’alliance avec ses Apôtres d’abord, les sacrifices anciens sont abrogés, et peu après des horreurs se commettent dans le Temple par les idolâtres et par les zélotes eux-mêmes, et une guerre de dévastation amène une désolation irrémédiable. L’accord entre la prophétie et l’histoire de Jésus et de son temps est donc parfait. Tel est par conséquent le sens dans lequel il faut l’entendre. On objecte que les chiffres ne coïncident pas. Avouons-le. Mais il n’y a rien de « fort surprenant, dit Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, H" partie, ch. IX, s’il se trouve quelque incertitude dans les dates… Le peu d’années dont on pourrait disputer sur un compte de 490 ans ne fera jamais une importante question ». L’écart du reste est presque insignifiant, sept ou huit ans au plus, et il tient à l’ignorance où nous sommes de la date précise de la naissance de Jésus. « Mais pourquoi discourir davantage ? Dieu a tranché lui-même la difficulté. .., dit encore Bossuet, ibid. Un événement manifeste nous met au-dessus de tous les raffinements des chronologistes, et la ruine totale des Juifs, qui a suivi de si près la mort de Notre -Seigneur, fait entendre aux moins clairvoyants l’accomplissement de la prophétie. » — 2° Une autre preuve de la vérité de la conception catholique est l’unanime tradition des anciens et nommément des Pères et des écrivains ecclésiastiques. Il est fait allusion par Notre-Seigneur à 26e -" et à 27°- J dans Matth., xxiv, 15 ; Marc, xm, 14 : nul doute qu’il ne s’agisse de la catastrophe de l’an 70. L’historien Josèphe, Ant. jud., X, xi, 7, y rapporte aussi cette partie de la prophétie, et il voit ailleurs, Bell, jud., IV, vi, 3 ; v, 2 ; ii, 1, dans les profanations et les crimes des zélotes la cause de cette ruine. Cf. Fr. Fraidl, Die Exégèse, p. 19-23. Les premiers Juifs l’entendent aussi comme lui, notamment ceux du temps de saint Jérôme, In Dan., t. xxv, col. 552. Ils se divisent plus tard, mais les plus illustres maintiennent à cet oracle le caractère messianique et reconnaissent la ruine de leur nation dans les derniers versets. Nommons Saadias

ha-Gaon, R. Salomon Jarchi, Aben-Esra, Abarbanel. Cf. Fr. Fraidl, Die Exégèse, p. 124-134. — Les Pères et les auteurs chrétiens sont unanimes. Il en est quelques-uns, saint Justin, saint Cyprien, Lactance et saint Grégoire de Nysse, qui, ayant occasion de citer cette prophétie, ne la citent pas. Il faut attribuer ce silence à l’incertitude des dates et à des difficultés singulières d’interprétation, mais non à leur méconnaissance de sa messianité. Il n’y a, que l’on sache, que trois écrivains qui en doutent ou la nient. Deux modernes, le P. Hardouin et D. Calmet, tranchent sur le commun en ce sens qu’ils ne l’appliquent au Messie qu’au sens spirituel. À part cela, tous, les rationalistes exceptés, l’interprètent de Jésus de Nazareth et de son temps. Fr. Fraidl, qui a étudié consciencieusement les quinze premiers siècles à cet égard, en est arrivé comme résultat aux conclusions suivantes : Les auteurs qui l’ont commentée avec soin, à l’exception de Julius Hitarianius et des deux eschatologues Apollinaire et Hésychius, l’ont considérée tous comme étant messianique. La justice éternelle est le Christ lui-même ou les biens surnaturels apportés par lui. En somme : « À côté de l’unanimité dans l’explication générale de la prophétie, il règne une grande division sur le sens des phrases particulières et sur la computation des semaines. On doit admettre une interprétation traditionnelle de la prophétie, mais il faut dire qu’il n’en existe pas sur la manière de compter les semaines. » À cet égard, on distingue trois sortes d’opinions, les unes fixant la venue du Messie au milieu de la soixantedixième semaine, les autres exactement à la fin de la soixante-neuvième ou encore de la soixante-dixième, et les troisièmes après la soixante-neuvième, mais en la combinant avec l’oracle de Jacob sur le sceptre qui doit sortir de Juda. Voir Fr. Fraidl, Die Exégèse, p. 153-159 : on y voit un tableau de trente-deux computations diverses des soixante-dix semaines. Et ainsi l’histoire s’accorde avec la tradition exégétique pour rapporter à Jésus-Christ les grands traits de cette prophétie. Que si après tant d’éclaircissements elle offre encore quelque obscurité, disons que cette obscurité a été voulue de Dieu. « Il veut que sa révélation soit assez claire pour qu’un esprit attentif et droit puisse la saisir, mais il ne veut pas que l’évidence tue la liberté. Le langage de Daniel aurait pu être plus clair, si Dieu l’avait voulu ; mais il est suffisamment intelligible pour l’homme sincère. » M9 r Lamy, La prophétie de Daniel, p. 214, dans La Controverse, février 1886 Cf. E. B. Pusey, Daniel, p. 166. Telle est cette magnifique révélation, qui complète en les précisant les révélations précédentes, en particulier celle de Jacob, sur les temps messianiques. — À voir : Scholl, Comment, exeget. de Septuaginta hebdomad. Danielis, 1829 ; * Wieseler, Die 70 Wochen und die 63 Jarhwochen des Propheten Daniels, Goettingue, 1839 ; * K. Hoffmann, Die 70 Jahre des Jerem. und die 63 Jahreswochen des Daniels, Goettingue, 1839 ; Stawars, Die Weissagung Daniels in Beziehung auf das Taufjahr Christi, dans la Tùbing. Quarlalschrift, 1868, p. 416 ; Neteler, Die Zeit der 70 Jahreswochen Daniels, dans la Tùbing. Quartalschrift, 1875, , p. 133 ; Reusch, Patristische Berechnung der 70 Jahreswochen, dans la Tùbing. Quartalschrift, 1868, p. 536 ; Franz Fraidl, Die Exégèse der Siebzig Wochen Daniels, Grâtz, 1883 ; Corluy, Spicilegium dogmatico-biblicum, Gand, 1884, 1. 1, p. 474-615 ; D. Palmiêri, De verilate hislorica libri Judith, Appendix, Vaticinium Danielis, Gulpen, 1886, p. 61-112 ; * J. W. van Lennep, De zeventig Jaarweeken van Daniel, Ulrecht, 1888 ; L. Reihke, Die Messianischen Weissagungen, Giessen, 1862, t. iv, p. 167-440 ; J. Bade, Christologie des Alten Testament, m, 2, Munster, 1852, p. 75-134 ; G. K. Mayer, Die messianischen Prophezien des Daniel, Vienne, 1866, p. 158.

IX. Bibliographie. — 1° Prolégomènes. — * Hengstenberg, Die Authentie des Daniel, Berlin, 1831 ; J. Fabre d’Envieu, Le livre du prophète Daniel, Introduction,

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