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DANIEL (LE LIVRE DE)


Il est admis communément que les versets 21-36 se rapportent à Antiochus IV Épiphane, dont ils prédisent les intrigues pour obtenir le trône de son frère, ꝟ. 21, et les expéditions répétées en Egypte, ꝟ. 22-36. S’agit-il des versets 36-45, on n’est plus unanime. Il en est qui les entendent non pas d’Antiochus, mais de l’Antéchrist. Il en est aussi qui les appliquent à tous les deux, au premier comme à la figure du second. Il nous semble difficile d’adopter l’opinion de ceux-ci, car il y a des expressions qui ne peuvent se comprendre d’Antiochus. Cf. A. Rahling, Das Buch Daniel, p. 330-331. Avouons cependant que la première opinion n’est pas sans difficulté. Quoi qu’il en soit, la plupart expliquent xii, 1-4, des temps de l’Antéchrist. Voir A. Hebbelynck, Daniel, p. 244-268 ; F. Dusterwald, Die Wellreicke und das Gotlesreich, Fribourg, 1890, p. 145-176. — 3 8 La conclusion, XII, 5-13, est commune, par un côté, à toutes les visions de Daniel. Deux anges s’adjoignent comme témoins à celui qui a parlé, et le prophète demande quand donc viendra la fin. L’ange répond obscurément, en assignant pour terme un temps, deux temps et la moitié d’un temps. Il révèle cependant que le feu de la persécution d’Antiochus durera 1290 jours à partir de l’interruption du culte. Il donne bien encore une autre date, 1 335 jours, mais on ne voit’pas à quel fait elle aboutit. Puis il quitte le prophète pour toujours.

IV RÉVÉLATION DES SOIXANTE-DIX SEMAINES, IX. —

I. Texte. — Cette prophétie, très célèbre dans l’apologétique chrétienne, date de 539 ou 538, première année de Darius le Mède, 1, 2. Une prière humble et touchante en fut l’occasion. Daniel méditait sur les soixante-dix ans de captivité prédits par Jérémie, xxv, 11-12 ; cf. xxvi, 10. Il comprit qu’ils tiraient à leur fin. Il voulut donc prier, « non pas qu’il doutât des choses promises ; mais il craignait que la certitude de la foi n’engendrât une négligence, et la négligence, une offense. » S. Jérôme, In Daniel., t. xxv, col. 540. Sa prière a deux parties : l’une, ꝟ. 4-14, est une confession douloureuse dans laquelle il reconnaît ses péchés et les péchés de son peuple, péchés qui ont fait « fondre sur eux la malédiction écrite dans la loi de Moïse contre les prévaricateurs », IX, 11 ; l’autre, y. 15-19, est un appel véhément à la miséricorde divine, appuyé des raisons les plus pressantes. « Écoutez, Seigneur ! Ayez pitié, Seigneur ! Voyez, voyez et faites. Ne tardez pas, à cause de vous-même, ô mon Élohim ! » Rien n’est beau et pathétique comme cette prière. Il priait encore, sans autre désir, n’attendant aucune révélation, lorsqu’une forme humaine, l’ange Gabriel, vola rapidement vers lui, au moment où l’on offrait le sacrifice du soir. Il venait, lui dit-il, pour l’instruire, lui, le bienaimé de Dieu. Il l’exhorta à écouter attentivement et à comprendre le discours, dàbâr, qu’il lui apportait. Voici Ce discours ou cette révélation traduite aussi littéralement que possible de l’hébreu massorétique :

24. « Soixante-dix semaines ont été décrétées au sujet de votre peuple et de votre cité sainte, afin de terminer la prévarication, de faire cesser le péché et d’expier l’iniquité ; afin d’amener la justice (sainteté) éternelle, de fermer la vision et le prophète et d’oindre le Saint des saints. 25. Sachez donc et remarquez-le : Du décret porté pour rebâtir Jérusalem jusqu’au Prêtre -Roi (mâSiah nâgid, unctus princeps) il y aura sept semaines et soixante-deux semaines, et elle sera rebâtie, les places et l’enceinte, et cela dans l’angoisse des temps. 26. Et après soixante - deux semaines, le Prêtre (Christ) sera mis à mort, et il n’aura plus [le peuple qui est à lui]. Et la ville et le sanctuaire, le chef d’un peuple qui accourt sur eux les détruira, et leur fin [aura lieu] dans le débordement, et jusqu’à cette ruine finale, guerre et dévastation décidée. 27. Il confirmera l’alliance avec plusieurs dans une semaine. Le milieu de cette semaine fera cesser le sacrifice [sanglant] et l’oblation (sacrifice non sanglant), et l’abomination, cause de dévastation, sera dans

le Temple, et la dévastation se répandra jusqu’à la ruine absolue et décrétée. »

H. Interprétation verbale. — Le premier verset, 24, est un sommaire de la prophétie ; les autres, 25, 26, 27, en sont un développement. — 1° Soixante-dix semaines sont fixées et arrêtées, pour le peuple et la ville chers au prophète, comme époque de la rénovation messianique. Les soixante-dix semaines dont il s’agit sont des semaines d’années, en tout 490 ans, et non pas des semaines de jours, un peu plus de seize mois ; seize mois, en elfet, ne suffiraient pas pour remplir tout ce qui est annoncé. Les semaines sont fixées et arrêtées. Le verbe néhlak, usité ici seulement et dans les Targums, signifie exactement : « découpées [ dans le temps ], » ce qui revient à dire : « définies et déterminées. » Théodotion traduit : iruvETiir, 6r, dav. Leur terme final est la rénovation messianique, b = ad. La rénovation messianique, dont il est tant parlé dans les prophètes, comprend ici six choses distinctes ou deux séries de biens surnaturels. Les uns sont négatifs : 1. la cessation de l’apostasie ou de la rupture avec le Dieu de l’alliance : lekalè’est mis pour lekalêh, selon toutes les anciennes versions. On doit rejeter l’opinion de plusieurs Pères, saint Hippolyte, Origène, Eusèbe, saint Jean Chrysostome, Théodoret, Euthymius ; cf. F. Fraidl, Die Exégèse der siebzig Wochen Daniel, p. loi, qui entendent ce verset du déicide, qui fut le comble (ad consummandum) mis à leurs crimes par les Juifs coupables ; 2. l’abolition ou la rémission du péché : lehâfém (ad finiendum) ne s’écarte pas sensiblement de lehatém (ad cohibendum [ne serpat]), qu’ont lu Théodotion et la vieille Vulgate latine ; 3. l’expiation de l’iniquité originelle, ’âvôn, par la satisfaction due au Messie. Cf. D. Palmieri, De verit. hist. I. Judith, De Vaticinio Danielis, Gulpen, 1886, p. 71. — Les autres biens positifs sont : 1. l’avènement de la justice = la sainteté morale éternelle ; 2. l’accomplissement des visions et des prophéties : le verbe est lahelôm, qui peut signifier ou « accomplir » ou « faire cesser », plutôt « accomplir », croyons - nous, bien que l’autre sens ait sa valeur ; 3. l’onction du Saint des saints. Le Saint des saints, selon nous, est l’Église, cf. Ephes., ii, 21, 22 ; I Tim., iii, 15 ; Apoc, xxi, 2 ; mais l’Église dont la tête et le fondement est le Messie Jésus-Christ. Que ce soit le Messie, en tous cas, c’est certain ; il y a même obligation de le croire, à cause des Pères et des écrivains ecclésiastiques, qui làdessus sont moralement unanimes. Que ce soit le Messie, et son corps mystique l’Église, c’est ce que nous soutenons pour de très graves raisons. J. Knabenbauer, In Daniel., p. 239-242 ; D. Palmieri, Vaticinium, p. 72-76. Cf. J. Corluy, Spicilegium dogmatico-biblicum, Gand, " 1881, 1. 1, p. 496. Et tels sont les grands biens qui doivent se réaliser dans l’intervalle ou à la fin des soixante-dix semaines : c’est « l’ordre des grands siècles » ou les temps messianiques qui s’annoncent. — 2° La distinction des semaines et la fixation à ces semaines distinctes des événements qui s’y rapportent sont exprimées dans les versets qui suivent, et c’est ce qui explique que la Vulgate ait rendu l’hébreu veféda’par « scilo ergo ». Les soixante-dix semaines sont donc divisées en trois groupes inégaux : 7 + 62 +’! Les deux premiers sont ouverts et fermés par un grand fait. Le fait initial des soixante - neuf semaines est la publication d’un décret. Le fait qui les ferme est l’avènement du Messie-Roi. Le décret a pour objet de rebâtir Jérusalem. Le mot lehâsîb, qui fait difficulté, se traduit avec quelques-uns par ad restituendum, mais avec la Vulgate, ce qui est mieux, par iterum. Pour l’autre terme, le « Messie -Roi », c’est un être déterminé, quoiqu’il manque de l’article. De plus, il faut prendre le second titre, nâgid (princeps), comme une apposition du premier, mâsiah (unctus). Et, en fait, c’est d’un Prêtre -Roi qu’il s’agit, puisque c’est par un sacrifice, cf. ꝟ. 27, qu’il remplit son rôle. Notons que Vatnach qui affecte le mot Sibe’dh n’est pas disjonctif. Il s’écoulera