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DANIEL (LE LIVRE DE)


perçus dans des visions divines. Ézéchiel (i) et Zacharie (i-vi) ont eu de ces visions, mais ni aussi nombreuses ni aussi pleines et larges que Daniel. L’étrangeté des figures et des emblèmes dont il s’est servi pour s’exprimer est providentiellement causée par le milieu babylonien et chaldéen dans lequel il a vécu. Cf. R. Cornely, Introd., il, 2, p. 483. Auberlen, Le prophète Daniel, trad. franc., Lausanne, 1880, p. 92 et suiv.

VIII. Prophéties de Daniel. — Elles comprennent deux visions, H et vil, viii, et deux révélations, ix-xii. I. visioy des quatre EMPIRES, il et vu. — Les visions du chap. il et du chap. vu ont le même objet en général. On peut donc les expliquer l’une par l’autre. La vision du chap. vu eut lieu dans un songe, la nuit, l’année même (542) où Baltassar fut associé au trône. On y distingue trois parties. — 1° La vision des quatre grands animaux, vii, 1-8. « Les quatre vents du ciel soufflaient avec rage sur la grande mer, l’un contre l’autre. » Voir cette image dans G. Smith, Transactions of the Society of Ihe Biblical Archéologie, t. ii, p. 221 ; t. iii, p. 530. Puis « il monta de la mer successivement, cf. ꝟ. 6, 7, quatre grands animaux différents », symboles d’empires selon la conception biblique connue, et surtout les idées babyloniennes et assyriennes. J. Fuller, Daniel, p. 324. « Le premier était un lion ( Vulgate : quasi lesena) avec des ailes d’aigle… Ses ailes lui furent arrachées, et lui-même enlevé de terre et mis sur ses pieds comme un homme (ke’énôS), et il reçut un cœur d’homme. » Après « une autre bête parut, pareille à un ours ». « Il avait un côté plus élevé que l’autre. » Voir dans J. Knabenbauer, In Daniel., p. 190, les sens donnés à cette expression. « Il avait entre les dents trois côtes ou trois proies, et on lui disait : Lève-toi et mange des chairs. » « Puis une autre bête semblable à un léopard, avec quatre ailes d’oiseau sur le dos et quatre têtes, et il eut l’empire. » « Voici maintenant après les autres la quatrième bête, » anonyme, un loup peut-être, J. Fuller, Daniel, p. 332, « différente des autres, avec des dents et des griffes de fer (d’airain) : elle dévorait et broyait tout, II, 40, et le reste elle le foulait aux pieds, et elle avait dix cornes. » Voir les dix doigts des pieds de la statue. Cf. ii, 41, 42. J. Fuller, Daniel, p. 326. « Je considérais attentivement ces cornes, quand une autre corne, plus petite, surgit du milieu d’elles et en arracha trois, et elle avait des yeux comme des yeux d’homme et une bouche disant de grandes choses, des blasphèmes, » 25 ; rx, 36. Apoc, xiii, 5. — 2° Le jugement, 9-16. Un changement se produit alors, s Des trônes de juges sont dressés entre ciel et terre, et l’Ancien des jours (’atiq iômîn) s’assied » avec ses assesseurs les anges. La gloire, la sainteté, la majesté divine, sont indiquées par son âge, son vêtement et sa blanche chevelure. « Son trône est de flammes, soutenu sur des roues de feu. Un fleuve de feu sort rapide devant lui, » ce qui donne l’impression d’un rayonnement infini de la gloire divine et d’une justice purifiant tout, au loin, irrésistiblement, très rapidement. Cf. Dcut., iv, 21 ; Ps. ciii, 2 ; lxxxviii, 46 ; xcvi, 3. « La justice (dinâ’—judicium—judices) prend place. » « Les livres » où sont relatées les actions humaines, base de la sentence, « sont ouverts. » Le jugement est rendu. Puis, quand le prophète a encore devant lui la petite corne qui blasphème, soudain, sans transition, il voit la sentence exécutée : la quatrième bête tuée et livrée au feu, et les autres bêtes, dont la durée de pouvoir était fixée, ꝟ. 12 b, détruites. Vient ensuite le Messie et son royaume. Il vient « sur les nuées comme un fils d’homme (kebar’ends) », et il s’arrête devant l’Ancien des jours, auquel il est conduit par des anges. Il reçoit de lui une puissance indéfectible et un royaume éternel. Nul doute qu’il ne s’agisse ici du Messie : c’est la tradition juive et chrétienne, et c’est le sens absolument exigé par le texte. Or Jésus-Christ s’est attribué ce mode d’apparition, ce titre de Fils <le l’homme et ce genre d’empire et de pouvoir. Matth.,

xxvi, 61 ; Marc, xiii, 26 ; Apoc, i, 7. Le prophète est très effrayé de cette vision, et il prie un des anges présents de la lui expliquer. — 3° L’interprétation sommaire, 17-27. L’ange le fait, en insistant sur le sort du dernier empire annoncé : « Les quatre grands animaux sont quatre empires (malekîn : rois pour royaumes, cf. ꝟ. 23), qui surgiront successivement de la terre. Ils seront remplacés par le peuple du Messie, qui régnera éternellement. Le premier, symbolisé par le lion ailé, est l’empire assyro-babylonien. Ce symbole, familier à ce peuple (voir col. 672, fig. 247), signifie combien grande fut sa puissance, et rapides ses conquêtes. Sa splendeur et son éclat sont indiqués par l’or, ii, 38 ; cf. ꝟ. 37. Il lui est donné un cœur d’homme, c’est-à-dire qu’il perdit enfin ses royales qualités et fut réduit à l’infirme condition humaine, qui est de périr. Nulle allusion à la folie de Nabuchodonosor. S. Jérôme, In Daniel., ad h. 1., t. xxv, col. 528). — Le deuxième, figuré par l’ours, est l’empire médoperse, dans lequel les Perses prévalent sur les Mèdes, et où l’ambition des conquêtes et la cruauté des supplices rappellent la nature gloutonne et féroce de l’ours. Il dévora, en effet, trois proies choisies, la Babylonie, la Lydie et l’Egypte, sans parler d’autres. Les Mèdes et les Perses qui le composent sont les deux bras de la statue, ii, 32.

— Le troisième, représenté par le léopard aux quatre ailes et aux quatre têtes, est l’empire gréco-macédonien. Il se forme très rapidement, en douze ans. Son auteur, Alexandre, ce héros aux dons extraordinaires, variés comme la robe d’une panthère, vole de victoire en victoire. Il meurt, et son empire, très peu après (312), est partagé en quatre grands royaumes, — les quatre têtes, vu, C, et les quatre cornes, viii, 22, — savoir : l’Egypte, la Syrie, la Thrace et la Macédoine. — Le quatrième enfin, signifié par la bête terrible, est l’empire romain ; il est impossible, en effet, d’y reconnaître aucun des empires précédents. Aucun, du reste, ne l’a égalé en étendue et en intensité de puissance et en gloire. Il dut se diviser ensuite, par manque de cohésion, pour former deux empires, et finit par périr, II, 33, 40-43. Il n’est pas nécessaire de rattacher chronologiquement à l’empire romain, quoique beaucoup l’aient fait, les dix rois ou royaumes et le roi impie symbolisés par les dix cornes et par la petite corne de la quatrième bête. Il y a là un contexte optique, explicable par la nature de la vision prophétique, qui voit souvent comme un tout indivisé un objet complexe, dont les parties sont séparées par des années et même de longs siècles de distance. Les dix rois qui doivent apparaître simultanément appartiennent, selon nous, au dernier avenir. Le roi impie qui sort du milieu d’eux est l’Antéchrist. Il est certain par le texte lui-même, vu, 8 ; cf. viii, 9, 23, que ce n’est pas Antiochus IV Épiphane, comme plusieurs le prétendent. Il s’agit donc enfin des luttes et des combats suprêmes qui marqueront la fin, et après lesquels le peuple de Dieu, le jugement ayant eu lieu, régnera éternellement dans les cieux. A. Hebbelynck, De auctoritate, p. 223-238. « Là s’arrête l’explication. » Et Daniel, qui en est visiblement impressionné, la conserve religieusement.

II. VISI02T DU DEUXIÈME ET DU TROISIÈME EMPIRE,

vm ; cf. ii, vu. — Quoiqu’elle se rattache à la précédente, vm, 1, cette vision a cependant son objet propre, qui est l’histoire des rapports hostiles des deux seconds empires. On voit qu’elle eut lieu la troisième année de l’association de Baltassar au trône (539), Daniel étant, réellement ou en esprit, en esprit plutôt, à Suse en Élam, sur le fleuve Ulaï. — 1° Récit de la vision, 3-14. — « Je levai les yeux, et je vis un bélier qui se tenait en face du fleuve. Il avait deux cornes très hautes, l’une plus que l’autre, celle-là ayant grandi la dernière… » « Il donnait des cornes à l’ouest, au nord et au sud. Aucune bête ne pouvait lui résister, aucune lui échapper. Il faisait à sa guise. Et il devint grand. » — « Je cherchais à comprendre, quand voici venir de l’ouest, parcourant toute la terre, un