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DANIEL (LE LIVRE DE)


pour auteur un contemporain de Daniel, vivant en Chaldée, au vi » siècle, et c’est Daniel lui-même.

I. Preuves positives. — 1° Preuves internes, tirées du livre lui-même. — Il est certain que Daniel a écrit la partie prophétique du livre, vn-xii. — 1. Il l’affirme implicitement, car il y parle constamment à la première personne. Dan., vii, 2, 6, 7, 8, 9, 11, 13, 15, 16, 19, 21, 28 ; vm, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 13, 15, 16, 17, 18, 19, 26, 27 ; ix, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 13, 20, 21, 22 ; x, 2, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 15-21 ; xi, 2 ; cf. xii, 1, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 13. Il l’atfirme, en outre, explicitement. Dan., vii, 1. Araméen : B’êdayin helmâ’kefab re’S millin’amar, « alors il écrivit le songe, et il en dit le sommaire. » Le moins qu’on puisse conclure, c’est que Daniel écrivit cette vision ; ce que l’on doit aussi dire des autres, qui en sont le complément nécessaire. Voir Dan., viii, 26, et surtout xii, 4, cꝟ. 9 (avec le commentaire de J. Knabenbauer, In Daniel. , p. 221 et 317). Mais, s’il faut attribuer à Daniel les prophéties, il faut lui attribuer aussi les récits, à cause du lien qui unit étroitement ceux-ci à celles-là, et à cause de l’unité prouvée du livre, — c’est-à-dire, en somme, le livre tout entier. — 2. Cette preuve est confirmée en premier lieu par la dualité des langues usitées dans le livre. Il est écrit, en effet, en deux langues, l’hébreu et l’araméen oriental ou chaldéen. L’hébreu aramaïse quelque peu, et le chaldéen hébraïse légèrement. L’usage de ces deux idiomes y est tel, qu’ils paraissent à n’en pas douter très familiers à l’auteur. Donc a) cet auteur était Juif : un Juif seul peut ainsi se servir de l’hébreu ; et b) il vivait au milieu du vje siècle, exactement ; car c’est alors seulement, vers l’an 550, que l’emploi simultané, par un Juif, de l’hébreu et de l’araméen est possible, historiquement parlant : plus tôt, l’araméen n’est pas encore vulgaire. Ajoutez en particulier que l’araméen de Daniel ressemble autant à l’araméen d’Esdras, qu’ils diffèrent également tous deux de celui des Targums postérieurs. Voir plus loin sur la langue.— Elle est confirmée en second lieu par la coïncidence merveilleusement exacte qui existe entre les données du livre, données historiques, archéologiques, orientales, et par ce que nous savons sûrement d’ailleurs. Il serait trop long de l’exposer en détail. Quelques savants l’ont fait. Nommons entre autres : F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, Paris, 1896, t. iv, p. 255-419 ; Id., Les Livres Saints et la critique rationaliste, Paris, 1891, t. v, p. 171-228 ; G. Brunengo, L’impero di Babiloniae di Ninive, Prato, 1885, t. ii, p. 244-522 ; Fr. Lenormant, La divination et la science des présages chez les Chaldéens, Paris, 1875, Appendice, p. 169-226 ; F. Kaulen, Assyrien und Babylonien, Fribourg-en-Brisgau, 2e édit., p. 103-129. — Résumons très rapidement cette preuve avec F. Kaulen. « La partie historique du livre, dit-il, répond exactement aux données de l’Ancien Testament. Les autres livres ne parlent pas du siège de Jérusalem par Nabuchodonosor, mentionné 1, 1 ; mais il est exigé par IV Reg., xxiv, 1, et II far., xxxvi, 6. La troisième année de Joakim est justement désignée comme date du départ de Nabuchodonosor, N3, bâ’} et la quatrième comme date de son accession au trône, Jer., xxv, 1 ; xlvi, 2 ; et cette antinomie ne fait que confirmer la crédibilité du récit. » — À partir du moment où les jeunes Hébreux entrent au palais du roi, le livre a souvent occasion de rappeler les institutions babyloniennes. Par suite des découvertes que l’on a faites, ces institutions, identiques du reste à celles d’Assyrie, sont très connues. Or à cet égard tout ce qui a paru jusqu’ici confirme le livre de Daniel. Ainsi l’intendant de la maison du roi s’appelle bien « le chef des eunuques, » comme il paraît dans de nombreuses figures, i, 3. Les jeunes Hébreux destinés au service du roi sont « instruits dans l’écriture et la langue des Chaldéens ». On sait aujourd’hui qu’à Babylone il existait une écriture et une langue étrangères, création d’une race non sémitique, dont les débris vivaient

en caste séparée, sous le nom de Kasdim. J. M. Fuller, Daniel, p. 252. Que les classes élevées dussent apprendre cette langue, c’est ce que prouvent les syllabaires et les vocabulaires que donnent les tablettes. Parmi les noms imposés aux jeunes Hébreux, i, 7, ceux de Baltassar et d’Abdénago sont si clairement babyloniens, qu’il faut aussi regarder comme tels les deux autres, quoiqu’ils ne soient pas encore expliqués. Que les mages aient été très considérés en Babylonie et par les rois, comme on le voit i, 20 ; ii, 2 ; iv, 3, on le sait de reste par les écrivains classiques, et une série de rapports faits par eux le confirme. Records of the Past, t. i, p. 153. Les sciences occultes, qui sont en faveur auprès des rois, étaient en effet, si l’on en croit F. Lenormant, une partie intégrante de la culture babylonienne. Les sciences occultes en Asie, 2 in-8°, Paris, 1874-1875. La formule « Rex in aeternum vive », par laquelle on salue les rois chaldéens, ii, 4 ; m, 9 ; v, 10 ; vi, 6, 21, est commandée par l’étiquette orientale. II Esdr., ii, 3 ; Cf. Judith, xii, 4 ; ^Elien, llist. var., i, 32 ; Quinte-Curce, vi, 5. Cf. F. Kaulen, Assyr. und Babyl., 2e édit., p. 185-192. Même formule dans les suppliques aux monarques assyriens. Smith, Assyrian Discov., Londres, 1875, p. 230, 309, 409, 414. Les exigences absurdes de Nabuchodonosor, ii, 3, s’expliquent parfaitement par le despotisme babylonien. Menacer de fuite « des maisons un amas de boue », c’était menacer, en style ordinaire, d’une entière destruction. Schrader, Keilinschriftliche Bibliothek, t. ii, p. 34. Le titre de « roi des rois », donné par Daniel au monarque babylonien, se lit couramment sur toutes les tablettes royales de l’Asie antérieure. F. Kaulen, Assyrien, p. 109. La plaine de Dura, iii, 1, a été retrouvée par M. Oppert dans l’enceinte de la vieille Babylone, et l’on y voit aujourd’hui encore la substruction d’un colossal monument. Expédition en Mésopotamie, t. i, p. 239, 240. L’endroit porte toujours le même nom, Journal of the Royal Geographical Society, t. x, 1840, p. 93, qui signifie « remblai ou enceinte », selon la version des Septante : Iv neMu> toO rcspt60Xou. L’érection d’une statue dans un but politique ou religieux était chose fréquente en Assyrie et en Chaldée. Schrader, Keilinschriftliche Bibliothek, t. i, p. 181. Dans la bouche des rois comme en Daniel, elle s’appelle zalam. Les dimensions de la statue élevée par Nabuchodonosor pourraient paraître invraisemblables, si l’on ne pensait qu’elles comprennent à la fois le piédestal et la statue elle-même. Hérodote, II, 149, en vit de pareilles en Egypte. Le supplice du feu, surtout pour cause politique, était très commun en Assyrie et en Babylonie, comme nous l’apprennent les inscriptions : c’est ainsi, par exemple, qu’Assurbanipal punit son frère révolté, Samassumukin, « en le jetant dans une fournaise incandescente. » Smith, History of Assurbanipal, Londres, 1871, p. 163 ; J. Menant, Annales des rois d’Assyrie, p. 263. Le même monarque raconte comment il avait imité son aïeul Sennachérib, en faisant jeter aux lions un certain nombre de révoltés. Smith, Assurbanipal, p. 166 ; F. Talbot, Illustrations of the Prophet Daniel from the Assyrian writings, dans les Transactions of the Society of Bïblical Arcliseology, t. ii, 1873, p. 361. Les édits de Nabuchodonosor sont conçus exactement dans la forme officielle que révèlent des édits analogues. Cf. I Esdr., iv, 17 ; vu, 12 ; G. Smith, History of Assurbanipal, p. 252. Les conceptions religieuses de Nabuchodonosor sont d’une vérité historique frappante, comme il apparaît de sa reconnaissance du Dieu très-haut au sein de l’idolâtrie et de l’incrédulité babyloniennes. En particulier, iv, 29, répond parfaitement aux idées que l’on se faisait en Babylonie de l’action des dieux dans le monde. F. Lenormant, Les premières civilisations, 2e édit., Paris, 1874, t. ii, p. 166, 1. Que si Nabuchodonosor, enivré, s’écrie ^N’estce pas là cette grande Babylone, » etc., IV, 27, c’est une phrase qu’on lit presque mot à mot dans une inscription de ce roi. Voir Schrader, Keilinschriftliche Bibliothek,