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CRÈCHE

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graisser » le bétail. Il s’agit en général du lieu où l’on engraisse les animaux. Aussi W. Robertson, Thésaurus linrjux sanctse, Londres, 1680, p. 4, et Gesenius, Thésaurus linguse hebrœss, Leipzig, 1835, p. 17, pensent-ils que le sens de crèche pourrait aussi convenir à 'êbûs, qui a les deux sens de crèche et d'étable en arabe et en chaldéen. Hab., iii, 17 : « Point de troupeaux dans les crèches, » hébreu : dans les étables à bœufs [refâtîm). — 3° Dans son instruction sur l’observation du sabbat, Notre-Seigneur remarque qu’on détachait le bœuf ou l'âne de la çaTvï|, même ce jour-là. Luc, xiii, 15. Ici encore, le mot peut avoir le sens d'étable.

II. La crèche de Notre -Seigneur. — 1° D’après l'Évangile. — Saint Luc, ii, 7, 12, 16, raconte que NotreSeigneur, à sa naissance, fut couché dans une crèche. Les mots ci™?) et prsesepium peuvent désigner indifféremment une crèche ou une étable. Le premier sens s’impose, au moins aux versets 12 et 16. La crèche dans laquelle fut placé l’Enfant Jésus était une mangeoire à l’usage des animaux. Au y. 16, saint Luc nomme la crèche avec l’article : êv Tîj çitMir), « dans la crèche. » Quelques auteurs en ont conclu qu’il s’agissait d’une crèche déterminée, bien connue des bergers comme étant la crèche qui offrait habituellement un refuge aux troupeaux de Bethléhem. Mais les grottes pouvant servir d'étable ne manquaient point autour du village. Il est donc assez probable que l’article du ꝟ. 16 se réfère seulement à la crèche nommée aux y-, 7 et 12. Toutefois, d’après un grand nombre de manuscrits, cf. Griesbach, Novum Testamentum grsece, Halle, 1786, 1. 1, p. 265, l’article se lit également au y. 7, ce qui confirmerait la première hypothèse. Sur la présence de l'âne et du bœuf à la crèche, voir Ane, t. i, col. 572, et Bœuf, t. i, col. 1837.

2° Description de ta crèche. — Les paroles de saint Luc, au sujet du divin Enfant « placé dans la crèche », ne peuvent pas vouloir dire que la Sainte Vierge posa le nouveau-né sur le sol même de l'étable. Dans cette étable se trouvait une mangeoire ou crèche proprement dite, qui devint le berceau du Sauveur. Ainsi l’ont entendu les anciens dans leurs écrits et dans leurs monuments. Cf. Pératé, L’archéologie chrétienne, Paris, 1892, p, 160, 312 ; Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, Paris, 1877, p. 101, 104. Voir t. i, col. 1693, la description de l'étable ou grotte de la Nativité. La basilique de SainteMarie-Majeure, à Rome, possède la principale relique de la crèche. En juin 1893, des réparations durent être faites à l’urne qui contient le précieux dépôt, et le P. Lais, sous-directeur de l’Observatoire du Vatican, put en profiter pour examiner scientifiquement ce qui reste de la crèche. Voici le résultat de son examen. Deux des cinq morceaux de bois que l’on vénère mesurent, en comptant certaines parties distraites en 1606, 991 millimètres de long, et environ 35 millimètres sur 50 de section. Ils sont percés d’un trou au tiers de leur longueur, et ont des mortaises aux deux extrémités. Ces deux pièces de bois devaient former un montant en forme d’X. À leur extrémité inférieure se voient encore des restes de fermoir métallique et un anneau où s’attachait la chaîne qui réglait l'écartement. Les trois autres morceaux de bois n’ont que Il millimètres d'épaisseur, ce qui leur permet d’entrer dans les mortaises signalées plus haut. Ces planches sont trop entamées pour qu’on puisse juger de leurs dimensions primitives ; mais il est probable qu’elles remplissaient l’angle supérieur du montant. Celui-ci devait être accompagné d’un autre qui a disparu. Les deux montants en étaient réunis, à la distance voulue, par une pièce de bois tourné qui passait dans les trous dont nous avons parlé. Des fragments de bois tourné, répondant à cette destination, ont été trouvés sous l’autel majeur de la basilique et sous l’urne, à l'époque de Benoît XIV. Le bois n’appartient pas au genre des conifères, comme celui de la vraie croix. Il vient d’un érable sycomore, dont la Palestine offre près de vingt variétés, « Pour résumer, les reliques

de la crèche, conservées à Sainte-Marie-Majeure, ne seraient pas à proprement parler la crèche ou mangeoire des animaux, dans laquelle aurait été couché le Sauveur du monde, mais le support de ce berceau. » Analecla juris pontifiai, Paris, t. ii, janvier 1895, p. 74, 75. — Quant à la crèche elle-même, de quelle matière étaitelle formée ? Les anciens sont muets à cet égard. Voici cependant une indication qui pourrait mettre sur la voie. Dom Germain Morin, bénédictin de Maredsous (Belgique), a recueilli et reconstitué un certain nombre d’homélies de saint Jérôme éparses dans différents recueils. L’une d’elles, sur la fête de Noël, publiée parmi les œuvres de saint Jean Chrysostome dans l'édition de Venise, 1549, t. ii, fol. 273, contient le passage suivant, à propos du texte reclinavit eum in prxsepio : « Oh ! s’il m'était permis de voir la crèche même où le Sauveur fut couché ! À présent, nous autres, chrétiens, mus par un sentiment de vénération, nous avons enlevé la crèche faite d’argile (luteum), et nous l’avons remplacée par une autre d’argent ; mais, pour ma part, j’attache plus de prix à celle qu’on a enlevée. De l’argent et de l’or, c’est bon pour des gentils : la foi chrétienne trouve mieux son compte dans la crèche d’argile ( luteurn illud preesepe). Celui qui est né dans cette crèche condamne l’or et l’argent. Je ne condamne pourtant pas ceux qui ont agi ainsi par honneur pour le Christ. » Anecdota maredsolana, Maredsous et Oxford, t. iii, 2e part., 1897, p. 393. Celte homélie aurait été prononcée au monastère de Bethléhem, et nul n'était plus à même que saint Jérôme de savoir ce qu’il fallait penser de la précieuse relique. Lui-même témoigne ailleurs que, de son temps, la crèche avait été remplacée par un autel, c’est-à-dire qu'à l’emplacement primitif de la crèche, on avait dressé un autel. Epist. cxi.vn, ad Sabinianum, 4, t. xxii, col. 1199. La représentation de la crèche se voyait donc à un autre endroit de la grotte. Quand Antonin de Plaisance fit son pèlerinage, en 570, il trouva dans la grotte une crèche ex aura et argento ornatum, « avec des ornements d’or et d’argent ». Itinerarium, 29, t. lxxii, col. 909. Cette crèche était apparemment celle dont parle saint Jérôme dans les mêmes termes. Quant à la crèche d’argile, était-elle la vraie crèche dans laquelle le Sauveur avait été placé à sa naissance ou n'étaitelle qu’un fac-similé de la crèche primitive ? De quelle manière avait-elle été conservée pendant plus de trois siècles ? Que sont devenues par la suite soit la crèche du Sauveur, soit la crèche d’argile que signale saint Jérôme ? Autant de questions auxquelles il est impossible de répondre. Observons cependant qu’il n’y a nullement lieu de s'étonner en entendant parler d’une crèche du Sauveur en argile. En Palestine, comme d’ailleurs en Egypte, on s’est toujours servi de cette matière, plus abondante, plus économique et plus facile à travailler que le bois, pour fabriquer un bon nombre d’ustensiles, et il est bien probable que plus d’une fois on l’a employée pour faire des mangeoires d’animaux. En tout cas, le texte de saint Jérôme démontre ou que la crèche véritable du Sauveur a été d’argile, ou du moins que, quand on a voulu la rappeler aux visiteurs de Bethléhem, durant les trois premiers siècles, on s’est cru autorisé par la tradition et par les usages du pays à la représenter au moyen d’un fac-similé d’argile.

3° Histoire de la relique conservée à Rome. — Les parties principales de la crèche, si tant est qu’elles aient été conservées à Bethléhem jusqu'à l'époque de sainte Hélène, ont probablement été transférées à Constantinople. L’histoire se tait à ce sujet. Mais la manière dont s’exprime saint Jérôme, dans le texte cité plus haut, donne à penser que le transfert fut l'œuvre d’un personnage qui commandait le respect par sa piété et par son importance personnelle. Les restes conservés à Rome ont dû y être apportés, conjecturet-on, sous le pontificat du pape Théodore (642-645). De fait, c’est sous ce pape que