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COSMOGONIE MOSAÏQUE


pour la masse des hommes le trait saillant et caractéristique ; or ce qui constitue pour tout le monde, même pour les savants, le trait caractéristique de l'époque primaire, c’est évidemment sa végétation. À côté du spectacle grandiose qu’elle présente, les humbles poissons qui nageaient dans les mers de l'époque peuvent passer inaperçus.

4° jour. — L'événement rapporté à cette date par l'écrivain sacré, l’apparition du soleil, de la lune et des étoiles, ne relève point de la géologie et échappe à peu près au contrôle scientifique. Il est conforme cependant aux données de la science. Il est tout naturel, en effet, que l’air épuré par l’abondante végétation de l'époque précédente ait permis aux rayons lumineux émanés des astres de pénétrer pour la première fois jusqu'à notre planète. Ce n’est donc plus seulement une lumière diffuse que reçoit la terre à partir de ce moment ; désormais le soleil, la lune et les étoiles seront visibles, au moins par intervalles. C’est sans doute dans ce sens, bien plutôt, nous l’avons dit, que dans le sens d’une création véritable, qu’il faut prendre le texte sacré. Il serait contraire aux vraisemblances scientifiques que tous les astres eussent été créés en même temps et à cette époque tardive. Aussi, on l’a vu ci-dessus, la Genèse ne nous parlet-elle nullement d’une création. Le mot bârâ', « créer, » qui n’a encore été employé qu’une fois, à propos de l’apparition première de la matière, ne le sera plus qu'à propos des animaux et de l’homme ; ce qui est encore conforme aux exigences d’une saine philosophie.

Le quatrième jour génésiaque n’a pas dû avoir une durée aussi considérable que les précédents. On ne peut le placer géologiquement qu’entre la période carbonifère et l'époque secondaire, qui correspondent visiblement l’une au troisième jour, l’autre au cinquième jour biblique. De fait, l’unique événement auquel il est consacré, l’apparition des astres, a dû être presque instantané : une déchirure produite dans les nuées épaisses qui voilaient le ciel a suffi pour révéler aux êtres terrestres, encore si infimes, les merveilles célestes. Toutefois un temps considérable a dû s'écouler avant que ce spectacle, d’abord exceptionnel et très rare, fût offert presque constamment à la terre, et ce temps, qui constitue le quatrième jour, peut être identifié avec la période permienne, la dernière de l'époque primaire. La végétation carbonifère, qui se continuait alors, il est vrai, avec moins d’exubérance, dut avoir pour résultat d’achever d'épurer l’atmosphère en même temps que de préparer la venue des animaux à respiration pulmonaire.

5e jour. — L'œuvre de ce jour est double ; elle consiste dans la création successive des reptiles aquatiques et des oiseaux. Chose remarquable, ce sont ces mêmes animaux que nous présente dans le même ordre l'époque secondaire de la géologie. Dès la période triasique, qui en constitue la première partie, nous voyons apparaître divers reptiles de l’ordre des « sauriens nageurs ». De Lapparent, Traité de géologie, 2e édit., in-8°, Paris, 1885, p. 878. Toutefois les plus monstrueux de ces reptiles, tels que l’ichthyosaure (fig. 368), par exemple, n’apparaissent que plus tard, à l'époque jurassique. Quant aux oiseaux, on n’a guère trouvé leurs débris ou leurs empreintes que dans les terrains crétacés, c’està-dire à la partie supérieure des couches secondaires. Ils n’y sont pas très nombreux, il est vrai ; mais ils ne le sont pas davantage aux époques suivantes. Cette rareté relative tient sans doute à la délicatesse de leurs ossements, qui n’ont guère pu résister à l’action destructive du temps. Elle tient aussi, suivant Pictet, Traité . de paléontologie, in-8°, Paris, 1853, t. i, p. M2, à leur pesanteur spécifique, qui, inférieure à celle de l’eau, les a dérobés à la fossilisation en les faisant surnager en cas d’inondation, et en les offrant ainsi à la voracité des poissons et des autres animaux carnassiers. Il convient du reste d’observer que le mot hébreu *py, 'ôf, ici employé et généralement traduit par « oiseau », n’a point cepen dant exclusivement ce sens ; il signifie « être volant », et peut s’appliquer par conséquent aux reptiles ailés, tels que le ptérodactyle (fig. 370) et le ramphorhijnchus (fig. 371), aussi bien qu’aux oiseaux proprement dits.

La même observation s’applique plus rigoureusement encore aux poissons, dont il est d’usage de rapporter la création au cinquième jour. En réalité, il n’est pas question de poissons à cette date, mais seulement de monstres marins et d’animaux qui rampent dans l’eau. Aussi n’estce point par ses poissons, mais bien par ses monstres marins et ses reptiles aquatiques, que l'époque géologique dite secondaire se fait remarquer. C’est au point qu’on l’a appelée 1' « âge des reptiles ». Mais, chose à laquelle on n’a point jusqu’ici fait suffisamment attention, ces reptiles sont tous ou presque tous plus ou moins aquatiques. Des divers ordres qui composent cette classe, un seul, celui des ophidiens (serpents), a des mœurs à peu près exclusivement terrestres ; aussi n’est-il point représenté à l'époque secondaire, tandis que les autres abondent dans les terrains de cet âge.

Il semble donc que tous les reptiles secondaires hantaient les mers, les lacs ou Jes rivières : ce qui est en conformité avec le récit biblique, qui fait du cinquième jour l'ère des animaux aquatiques. Observons toutefois que si l’on venait à constater parmi ces reptiles quelques espèces terrestres, la véracité de l'écrivain sacré n’aurait point à en souffrir. Il resterait toujours vrai que les monstres marins et les reptiles aquatiques ont constitué, avant et avec les oiseaux, le trait saillant du cinquième jour, et nous aurions mauvaise grâce à demander à un écrivain qui s’en tient aux grandes lignes de signaler de si minimes exceptions.

6e jour. — La sixième et dernière partie de l'œuvre créatrice correspond sans nul doute à l'époque tertiaire des géologues. D’après la Bible comme d’après la science, cette époque est par excellence l'âge des animaux terrestres. Sans doute parmi les mammifères alors si nombreux, il existe quelques espèces qui, comme nos cétacés actuels, vivaient dans la mer ; mais, outre qu’elles ne font que continuer le groupe des animaux aquatiques apparus à l'époque précédente, elles sont relativement rares, surtout si l’on tient compte de la facilité avec laquelle leurs débris ont dû se conserver au fond des eaux. Ce qui domine dans cette faune tertiaire, ce sont avant tout les pachydermes et les ruminants. Ce sont eux qui ont donné à cette époque sa physionomie propre, et il était tout naturel qu’un écrivain qui néglige les détails et n’a aucune prétention scientifique concentrât sur elle son attention. Nous ne prendrons pas la peine de les énumérer. Pour avoir une idée de leur importance et de leur variété, il suffit de jeter les yeux sur un traité quelconque de géologie.

Mais une œuvre plus importante encore est attribuée au sixième jour : l’homme est créé. Cette fois il s’agit bien d’une création véritable. L’expression employée est ce mot bârâ', qui signifie « tirer du néant », et que nous n’avons encore rencontré que deux fois, à propos de l’apparition de la matière et de la venue du premier animal : double circonstance où la saine raison, appuyée sur la science, réclame, en effet, l’intervention créatrice de Dieu.

Une petite difficulté se présente au sujet de l’identification du sixième jour génésiaque avec l'époque tertiaire. La Bible rattache la création de l’homme au sixième jour, ] tandis que la géologie ne nous montre l’homme qu'à i l'époque quaternaire. — Nous pourrions répondre que | certains savants ont prétendu trouver dans les terrains. | tertiaires des preuves manifestes de l’existence de notre 1 espèce ; mais leur opinion est aujourd’hui presque unanimement rejetée. Voir Adam, t. i, col. 196. Il nous suffira d’observer, en réponse à cette objection, que l'époque quaternaire a été séparée arbitrairement et sans raison suffisante de l'époque précédente. Elle en est si peu distincte