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CORINTHIENS (PREMIÈRE ÉPITRE AUX)


part de basse condition. Or, si les Juifs principalement subirent l’influence de leurs compatriotes judéochrétiens, venus d’Antioche avec des lettres de recommandation, les Grecs, légers, disputeurs, aimant les coteries, donnèrent bientôt dans la nouvelle communauté un libre essor à leurs défauts naturels. Quelques-uns même retombèrent dans leurs habitudes païennes, et l’impureté, ce vice si répandu en Grèce et surtout à Corinthe, se glissa dans la jeune Église. Bientôt la cène se transforma en un de ces banquets de fête, si nombreux chez les Grecs. Les femmes virent dans la liberté chrétienne une occasion de sortir de l'état de servage que leur imposaient les usages. Enfin, la faconde naturelle aux Grecs se traduisit par une abondance de dons spirituels, de ceux do la parole surtout, qui transformèrent bientôt les assemblées chrétiennes en clubs publics.

A ces ferments intérieurs vinrent se joindre des éléments extérieurs de discorde. Après le départ de Paul était arrivé à Corinthe un Juif alexandrin, Apollo, qu’Aquila et Priscille avaient converti à Éphèse. Aet., xvin, 26. Il était éloquent et connaissait à fond les Saintes Ecritures ; âme ardente, il enseignait avec soin ce qui concernait Jésus, J, 24-26. À Corinthe, il fut très utile à ceux qui avaient cru, ꝟ. 27 ; car il réfutait vigoureusement les Juifs en public, et démontrait par les Écritures que Jésus était le Christ, ꝟ. 28. Apollo affermit donc la foi de ceux qui croyaient, mais par son éloquence et par sa manière plus élégante de présenter la vérité, d’expliquer les doctrines chrétiennes, il entraîna à la foi les esprits les plus distingués, et attira l’attention de tous sur des considérations spirituelles très élevées, qu’ils n'étaient pas en état de faire avec fruit. Bien qu' Apollo n’ait pas eu en vue d’attaquer l’autorité de Paul dans l'Église de Corinthe, son influence plus extérieure diminua aux yeux des Grecs frivoles l’amour et la confiance qu’on témoignait précédemment à l’Apôtre.

Il était venu aussi d’Antioche des chrétiens judaïsants, munis de lettres de recommandation, qui contribuèrent puissamment à augmenter le trouble des esprits et la division des partis. Après les avoir écoutés, les uns se disaient les disciples de Céphas (Pierre), l’apôtre par excellence ; les autres prétendaient se rattacher directement à Jésus-Christ. I Cor., i, '12. Ces chrétiens judaïsants ne paraissent pas avoir ouvertement enseigné la nécessité de la circoncision et de l’observance de la loi mosaïque, mais avoir plutôt attaqué l’autorité de saint Paul et lui avoir dénié le titre d’apôtre. I Cor., ix, 1 ; xv, 9. Nous verrons plus loin les reproches qu’ils lui faisaient. C’est probablement parmi les Juifs convertis qu’ils trouvèrent surtout des adhérents. Ainsi se formèrent à Corinthe les partis dont parle saint Paul dans sa lettre, I Cor., i, 11-12 : « Il m’a été rapporté à votre sujet, mes frères, qu’il y a des contestations entre vous ; je veux dire ceci que chacun de vous dit : Moi, je suis de Paul, et moi d’Apollo, et moi de Céphas, et moi du Christ. »

On a beaucoup discuté sur cette question des partis à Corinthe. Y a-t-il eu deux ou quatre partis distincts ? Quel était le caractère de chacun de ces partis, et y avait-il entre eux des différences dogmatiques ? Il n’y eut pas probablement quatre partis absolument distincts, ni un véritable schisme dans la communauté. Les paroles de saint Paul indiquent plutôt les préférences que chacun montrait pour son maître dans la foi, les qualifications que chacun se donnait pour se rattacher à celui dont il se disait le disciple. C’est la même relation que celle de client à patron. Il ne semble pas qu’au moins dans la première Épitre saint Paul fasse même allusion à des divergences dogmatiques entre les disciples des différents maîtres. Plus tard les divisions s’accentuèrent, les esprits s’aigrirent, les attaques contre Paul devinrent plus violentes, le schisme entre chrétiens pauliniens et chrétiens judaïsants fut sur le point de se consommer, , et nous verions saint Paul lutter avec vigueur dans sa seconde Épître

contre les judaïsants. II Cor., x-xm. C’est en l'étudiant que nous aurons à caractériser plus nettement les partisans de Céphas et du Christ, ou plutôt ces derniers seulement, car il n’est plus question des partisans de Céphas.

L’Apôtre fut mis au courant de cette situation de divers côtés. Il avait écrit à la communauté de Corinthe une lettre, I Cor., v, 9, aujourd’hui perdue, où il stigmatisait la conduite de ceux qui, devenus chrétiens, gardaient les vices du paganisme, et recommandait aux fidèles de n’avoir aucun rapport avec ceux-là. L'Église de Corinthe montrait par sa réponse qu’elle avait mal interprété cette lettre et qu’elle avait trop étendu l’interdiction portée par saint Paul. De là elle concluait à une trop grande liberté, I Cor., vij 12, et voyait même sans indignation un incestueux parmi ses membres. I Cor., v, 1. En outre, elle posait à l’Apôtre diverses questions sur le mariage et le célibat, vii, 1 ; sur les viandes offertes aux idoles, viii, 1 ; sur l’exercice des dons spirituels et en particulier de la prophétie et du parler en langues, XII, 1. On peut retrouver dans la réponse de saint Paul quelques mots qui rappellent certains passages de cette lettre. I Cor., vii, 1, 40 ; vm, 1 ; x, 29 ; XI, '2. En outre, Stéphanas, Fortunat et Achaïque, peut-être porteurs de la, lettre des Corinthiens dont nous venons de parler, étaient venus à Éphèse pour entretenir l’Apôtre sur les diverses questions qui agitaient les esprits à Corinthe, et lui demander la conduite qu’on devait tenir dans les circonstances troublées où se trouvait la jeune communauté. Ils lui apprirent probablement plus en détail ce qui.se passait : la présence d’un incestueux parmi les chrétiens de Corinthe, I Cor., v, 1 ; les procès entre frères portés devant les tribunaux, I Cor., vi, 1 ; les abus dans la célébration de la cène, I Cor., xi, 1-17 ; la tenue peu convenable des femmes dans les assemblées chrétiennes, I Cor., xi, 2-16 ; xiv, 34, 35, et la résurrection des corps, niée par quelques-uns. I Cor., xv, 12. Enfin « les gens de Chloé », I Cor., i, 11, lui avaient appris que divers partis s'étaient formés dans la communauté. II. est possible aussi qu’Apollo, de retour à Éphèse, l’ait instruit plus en détail sur ces divisions et leurs causes. — Emu de ces nouvelles, Paul avait envoyé son disciple Timothée à Corinthe pour rappeler aux fidèles ses enseignements et sa conduite. I Cor., iv, 17 ; Act., xix, 22. Mais afin de tout régler avant l’arrivée de son envoyé, de préparer les Corinthiens à la venue de celui-ci et de bien les disposer en sa faveur, il écrivit notre première lettre, qui fut probablement envoyée directement par mer. Il ne voulait pas encore aller à Corinthe pour n'être pas obligé de se montrer trop sévère, II Cor., i, 23 ; mais il fallait répondre aux questions qui lui étaient posées, et remédier par des mesures énergiques à tous les désordres qui s'étaient introduits dans l'Église de Corinthe. Il le fit par la lettre aux Corinthiens que nous appelons la première.

III. Date et lieu de composition de l'Épître. — Cette lettre fut écrite à Éphèse, vers la fin du premier séjour de l’Apôtre dans cette ville. Saint Paul dit lui-même, I Cor., xvi, 8 : « Je demeurerai à Éphèse jusqu'à la Pentecôte. » Nous savons par les Actes, xix, 22, que c’est à cette époque que furent envoyés en Macédoine Timothée et Éraste. Peu après eut lieu la sédition provoquée par Démétrius. Act., xix, 23. C’est donc en l’an 57, peu avant la Pentecôte, probablement au temps de Pâques, ainsi que l’indiquent les allusions aux pains azymes, à la Pàque, I Cor., v, 6, 7 ; xv, 20, 23 ; xvi, 15, à la résurrection de Jésus-Christ, xv, 4, 12, qu’a été écrite la première Épitre aux Corinthiens. Cornely, Comm. in i am ad Corinthios, p. 6, dit qu’elle l’a été en 58. Quant au porteur de la lettre, il est inconnu. Ce ne peut être Timothée, comme on l’a soutenu, puisqu’il était déjà parti pour la Macédoine, I Cor., iv, 17 ; xvi, 10, 11 ; il n’est pas impossible que, suivant la note placée dans le texte reçu à la suite de l'Épître, Stéphanas, Fortunat et Achaïque en aient été porteurs. Ce serait plus probablement Tite, Il Cor., viii,