Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/257

Cette page n’a pas encore été corrigée
495
496
CHAIR DES ANIMAUX


sagesse et quelle habileté, dans un. seul point de sa législation, Moïse a su satisfaire, et du même coup, tous les intérêts, religieux, politiques, hygiéniques et moraux de son peuple, le maintenir dans le culte du vrai Dieu, procurer son bien physique, et, en même temps, le diriger dans la voie de la civilisation. — Nous retrouvons cette prohibition chez quelques autres peuples : par exemple, chez les Arabes. Cf. Sale, Observations sur le mahométisme, Section v, dans Pauthier, Les Livres sacrés de l’Orient, Paris, 1843, p. 514. Mahomet l’a conservée dans le Koran, ii, 168 ; v, 4, etc., traduction Kasimirski, Paris, 1891, p. 25, 85. Les Arabes sont restés fidèles à cette loi, comme nous le voyons, pour le siècle dernier, par Niebuhr, Description de l’Arabie, traduction française, in-4°, Paris, 1779, t. i, p. 250.

4° Observation de cette défense. — Dans tous les temps, et même après leur dispersion dans le monde, nous voyons les Juifs très fidèles à observer cette prohibition mosaïque. Elle est consignée dans la Mischna, traité Kerithouth, v, édit. Surenhusius, t. v, p. 257, et, parmi les trente-six excommunications qui sont portées (dans ce même traité, i) contre différents délits, la vingtquatrième frappe ceux qui mangent du sang. Les auteurs qui ont écrit sur les lois ou coutumes juives s’accordent à reconnaître que les Juifs sont fidèles à la prescription de Moïse sur ce point. C’est le témoignage que leur rendent Buxtorf, Synagoga Judseorum, Bàle, 1641, xxvii, p. 399 ; Michælis, Mosaisches Recht, § 206, t. iv, p. 220 ; Saalschùtz, Dos Mosaische Redit, Berlin, 1853, k. xxix, p. 262 ; Léon de Modène, Cérémonies et coutumes des Juifs, ii, 7, Paris, 1081, p. 66-69.

5° Cette défense sous la Nouveau Testament. — La défense de boire le sang des animaux fut renouvelée par les Apôtres au concile de Jérusalem (année 51 ou 52), et étendue aux Gentils convertis à la foi. Act., xv, 20. Ce fut une époque mémorable dans l’histoire de l’Église naissante. Avant le concile, plusieurs judéo-chrétiens, zélés pour la loi de Moïse, disaient aux Gentils qu’ils ne pouvaient espérer de salut sans la circoncision, Act. xv, 1, et, par suite, sans l’observation de toute la loi à laquelle on s’engageait en recevant la circoncision. Act., xv, 5. , Les Apôtres et les Anciens se réunirent pour délibérer sur cette grave question, qui suscita de grands débats. Act., xv, 7. Les uns prétendaient qu’il fallait imposer aux Gentils le joug de la loi de Moïse ; Pierre fut d’un autre avis, alléguant la conversion de Corneille, qui avait reçu le don du Saint-Esprit, indépendamment de la loi de Moïse. Jacques, évêque de Jérusalem, proposa, entre les deux extrêmes, un moyen terme. Il appuya le principe posé par Pierre, mais il opina qu’il était à propos d’interdire aux Gentils devenus chrétiens les viandes immolées aux idoles, le sang, les viandes étouffées et la fornication. Toute l’assemblée adopta cet avis, et, en conséquence, elle écrivit aux Gentils convertis d’Antioche, de Syrie et de Cilicie, ces paroles : « Il a paru bon au Saint-Esprit et à nous, de ne pas vous imposer d’autre fardeau que celui-ci, qui est indispensable, de vous abstenir des mets immolés aux idoles, du sang, des viandes étouffées et de la fornication. » Act., xv, 28. Ainsi fut étendue à tous les membres de l’Église la défense de boire le sang des animaux. Pourquoi, dans le naufrage de toutes les observances mo- : saïques, cette loi spéciale fut-elle maintenue avec une ou deux autres seulement ? La raison en est évidente, après ce que nous avons dit des motifs de cette loi. Comme l’usage de boire le sang des animaux était, chez les païens, une pratique idolâtrique, il était très opportun, pour ne pas dire nécessaire, de l’interdire aux chrétiens, tant qu’ils vivaient au milieu des païens, soit afin d’écari ter pour eux le plus possible le danger de l’idolâtrie, soit afin de protester contre cette injure faite au vrai Dieu. Telle est la raison que donnent, du décret apostolique, Spencer. De Legibus Hebrseorum rituahbus, La Haye, ’1686, p. 449-472 ; Michælis, Mcsaisches Recht, § 206, i

t. iv, p. 224 ; Kuinoel, In Act. Apost., xv. 20, Leipzig, 1827, p. 520. Aussi nous voyons le décret du concile de Jérusalem, sur le point qui nous occupe, observé parles chrétiens, et, au besoin, rappelé par les premiers pasteurs, tant que le paganisme fut debout ; Canon 62 des Apôtres ; Canon 2 du concile deGangres’vers 362), dans-Mansi, Concilia, Florence, 1759. t. ii, col. 1101 ; Clément d’Alexandrie, Pœdag., iii, 3, t. viii, col. 592^ sainte Byblias, martyre, dans Eusèbe, H. £., v, 1, t. xx, col. 417 ; Tertullien, Apolog., ix, t. i, col. 323-324-Minucius Félix, Octavius, xxx, t. iii, col. 335 ; S. Augustin, Contra Faustum, xxxii, 13, t. xlii, col. 504. Il survécut quelque temps à la chute du paganisme, au moins dans quelques pays ; au VIIe siècle, il fut renouvelé par le concile in Trullo (692 <, can. 69 ; au IXe, par l’empereur Léon le philosophe (886-911), Nou. -58. Cf. Noël Alexandre, Historia ecclesiastica, Bingen, 1786, t. iv, p. 318-3-25.

III. Chairs étouffées. — 1° Notion et prohibition.

— Les mots « chairs étouffées » ne se trouvent pas dans l’Ancien Testament ; nous trouvons seulement le verbe hânaq, au pihel et au nipltal, signifiant « étrangler, étouffer ». Nahum, ii, 13 ; II Sam. (Reg.), xvii, 23. Les Septante, Nahum, ii, 13, ont traduit ce mot parle verbe n-nym ; c’est aussi le mot correspondant dans le Nouveau Testament ; nous le trouvons Matth., xiii, 7, où il est dit des épines, qui « étouffent » le bon grain ; xviii, 28, où il est dit du méchant serviteur qui « serre » la gorge à son débiteur ; Marc, v, 13, où il est dit des animaux qui périssent « étouffés » dans la mer. De ce verbe est dérivé l’adjectif uvixtov, Act. xv, 20, 29 ; xxi, 25, que l’on traduit ordinairement par « viandes étouffées ». — On entend par « viandes étouffées » les chairs des animaux tués parle fait de l’homme sans effusion de sang. La légitimitéde cette définition résultera de tout ce que nous dirons dans ce paragraphe. Il ne s’agit donc pas des animaux qui sont, morts ou de leur mort naturelle ou déchirés par les bêtes, mais des animaux tués par l’homme directement ou indirectement, autrement que par l’effusion du sang. La loi qui concerne ces « viandes étouffées » est renfermée Lev., xvii, 13-14. Il y est strictement défendu de manger la chair des animaux ou oiseaux pris ou tués à la chasse, si l’on n’a point préalablement versé le sang, de ces animaux, et si on ne l’a pas enfoui dans la terre. Ce qui est ordonné ici spécialement des animaux ou oiseaux pris à la chasse, est étendu ensuite indistinctement à tous les animaux. Deut., xii, 1$1-$26 ; 23-24 ; xv, 23. Quand on veut manger leur chair, il faut les tuer par l’effusion du sang ; ou, s’ils ont été tués autrement, il faut verser leur sang, et répandre ce sang sur la terre « comme de l’eau ». C’est ce que fit exécuter Saùl, I Reg., xiv, 32-34.

Telle est la loi portée par Moïse ; elle est le développement et l’extension de la précédente qui concerne le sang des animaux. Moïse ne veut pas que les Israélites mangent ou boivent le sang, soit séparé de la chair, soit renfermé encore dans les veines de l’animal ; il veut qu’on verse ce sang, et qu’on le répande sur le sol. Cette loi ne. remonte pas au delà de Moïse ; le précepte contenu Gen., ix, 4, regarde seulement, comme nous l’avonsexpliqué, la chair « avec son âme ou sa vie », c’est-à-dire la chair encore vivante ; la manducation des « chairs étouffées » ne fut défendue que plus tard et aux seuls Israélites. Nous croyons donc fausse l’opinion de saint Jean Chrysostome, d’après lequel manger « la chair avec le sang », ce qui est défendu Gen., ix, 4, ce serait manger des « viandes étouffées ». S. Jean Chrysostome, In Gen., Hom. xxvii, 5-6, t. i.m. col. 246-247.

Afin d’observer plus fidèlement la loi de Moïse, prohibant les « chairs étouffées », les Israélites ont perfectionné l’art de tuer les animaux, afin que le sang s’écoulât plus complètement et qu’il n’en restât que le moins possible dans la chair de l’animal. Les prescriptions rab-