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CHAIR DES ANIMAUX


leur faire observer cette défense avec plus de fidélité et par des vues plus élevées, Moïse prétend leur inspirer pour le sang un certain respect religieux, soit en les assurant que Dieu lui-même se réserve le sang comme une offrande expiatoire pour leurs péchés, soit en leur répétant, sous toutes les formes, que le sang c’est la vie même des animaux. Lev., xvii, 14 ; Deut., xii, 23. Cf. Rosenmùller, In Lev., xvii, 11, Leipzig, 1824, t. ii, p. 108. Cette dernière pensée était familière aux écrivains sacrés, on sait que les anciens mettaient dans le sang le siège de la vie. Voir Virgile, JEn., i, 116-119 ; ix, 349 ; etc.

— 2. Un passage du Lévitique, xix, 26 : « Vous ne mangerez rien avec le sang, vous n’userez pas d’augures, vous n’observerez pas les songes, » nous fait entrevoir un . autre motif d’interdire l’usage du sang aux Israélites. C’est que le sang, à cette époque, était employé à des pratiques magiques, superstitieuses et idolâtriques ; boire le sang était unepratique du culte des idoles. C’était une croyance répandue dans les premiers siècles de notre ère, et qui venait évidemment d’une tradition très antique, que le sang était la nourriture des dieux ou des démons. Nous avons, comme témoins de cette croyance, des auteurs extrêmement graves. Origène dit ces paroles remarquables : « Quant à ce qui regarde les chairs étouffées, comme le sang n’en est pas exprimé, et que le sang, dit - on, est la nourriture des démons, qui se repaissent des parties qui s’en exhalent, l’Écriture nous interdit le sang, afin que nous ne nous nourrissions pas de la nourriture des démons. Car peut-être, si nous mangions des chairs étouffées, quelques-uns de ces esprits en mangeraient avec nous ; voilà aussi pourquoi nous nous abstenons du sang ». Conl. Cels., viii, 30, t. xi, col. 1559. Et le savant docteur ne dit pas cela une fois en passant, il le répète en beaucoup d’autres endroits. Cont. Cels., IV, 32, t. xi, col. 1075 ; vii, 5, col. 1417 ; viii, 60, col. 1607 ; vin, 62, col. 1610 ; viii, 63, col. 1611 ; Exkort. adMartyr., 45, t. xi, col. 622-623. Comme on le voit par ce dernier passage, et par d’autres, par exemple, De PHncip., Proœm., 8, t. xr, col. 120, Origène pensait que les démons, c’est-à-dire les faux dieux des païens, ont un corps aérien, et que, pour soutenir ce corps, ils ont besoin d’une certaine nourriture. Or, d’après l’opinion dont il est le témoin, cette nourriture consiste surtout dans les exhalaisons qui s’échappent du sang des victimes. La même opinion est rapportée par Tertullien, Apolog., 22, 23, t. i, col. 407, 415 ; Athénagore, Légat, pro christ., 26-27, t. vi, col. 952-953, et plusieurs autres ; cf. Wetstenius, note sur Origène, dans Migne, t. xi, col. 621-625. Ces auteurs avaient emprunté cette opinion aux païens, chez qui elle était commune ; leurs sages l’enseignaient, au témoignage de Celse, dans Origène, Cont. Cels., viii, 60, t. xi, col. 1607. C’est ce qui excitait la bonne humeur de Lucien, De Sacrificiis, Opéra, Paris, 1615, p. 185. Dans Homère, non seulement les dieux, mais encore les âmes des défunts, aspiraient et buvaient le sang des victimes, comme on peut le voir Odyss., x, 35 et suiv. Maimonide, parlant des Zabiens, partisans du mazdéisme, dit qu’ils boivent le sang des animaux, parce que, selon eux, c’est la nourriture des dieux. More Nebochim, iii, 46, traduction Buxtorf, p. 484. Voilà pourquoi, dans les sacrifices des païens, on versait en abondance le sang des victimes, afin d’apaiser et de satisfaire les dieux, en les régalant ; voilà pourquoi aussi les païens buvaient le sang des victimes, afin, pour ainsi dire, de partager la nourriture de leurs dieux, et de témoigner par là une union plus étroite et plus intime avec eux. D’après llichælis, Mosaisches Recht, 206, t. iv, p. 220-221, c’était une coutume, chez les nations païennes de l’Asie, de boire du sang des animaux dans les sacrifices offerts aux idoles et dans la prestation des serments. En Perse, particulièrement, l’usage du sang comme boisson dans les sacrifices était tellement reçu que, dans les temps de persécution, on forçait les chrétiens d ? ce pays à boire du

sang, comme on les forçait ailleurs à brûler de l’encens ; l’un et l’autre étaient également des signes d’apostasie. On buvait aussi également le sang des victimes dans les temples de la Grèce et de Rome. Valère Maxime, V, yi, 3, édit. Lemaire, 1822, t. i, p. 395 ; Acta Fratrum Arvalium, édit. Henzen, Berlin, 1874, p. 21, 23-24 ; Prudence, Perist., x, 1011-1040, t. lx, col. 520-523. Tous les auteurs s’accordent à signaler l’existence de ce rite idolâtrique chez les nations païennes. Kuinoel, In Acta Apostolorum, xv, 20, Leipzig, 1827, p. 520 ; Spencer, De Legibus Hebrseorum Ritualibus, La Haye, 1686, p. 450-451.

— Dès lors l’obligation de s’abstenir du sang, pour les Israélites, s’éclaire d’un nouveau jour. Tout le monde sait qu’un des buts principaux de Moïse, dans ses lois, c’était d’écarter à tout prix l’idolâtrie de son peuple ; afin d’atteindre cette fin plus sûrement, il-ni défend, et avec une grande sévérité, non seulement l’idolâtrie proprement dite, mais encore les pratiques qui, quoique permises absolument par le droit naturel, faisaient cependant partie du culte idolâtrique chez les nations païennes, voisines d’Israël. Tel était l’usage de boire le sang des animaux. Voilà pourquoi Moïse défend cette pratique avec tant de rigueur, et c’est là ce qui explique, soit l’insistance avec laquelle il intime cette défense, soit la gravité des peines dont il menace les délinquants, soit le caractère universel de cette loi, qui atteignait non seulement les Juifs proprement dits, mais encore, à la différence de beaucoup d’autres lois, les étrangers qui vivaient parmi les Juifs. Aussi plusieurs auteurs disent que le motif que nous exposons fut la raison principale qui fit défendre aux Israélites l’usage du sang. Maimonide, cité plus haut, fait même cette remarque, que Dieu n’a prononcé que deux fois ces terribles paroles : « Je poserai ma face contre lui ; » une fois contre le père qui immole son fils à Moloch, Lev., xx, 3 ; l’autre fois contre celui qui boirait du sang, Lev., xvii, 10. More Nebochim, endroit cité, p. 484. — 3. Un troisième motif, qui n’est pas le principal, et qui n’est pas indiqué dans le texte, mais qui certainement n’a pas échappé au législateur, c’est le point de vue hygiénique. Ce motif est signalé par d’anciens commentateurs, par exemple, Pererius, In Genesim, Lyon, 1610, t. 2, p. 335-336, et même par saint Jean Chrysostome : « Le sang des animaux, dit ce Père, est lourd, terrestre, mélancolique, et le principe d’un grand nombre de maladies ; c’est pourquoi Moïse l’a interdit. » In Genesim, Hom. xxvii, 5, t. lui, col. 246. Notre langage est différent aujourd’hui, mais le fond est le même. Parlant de ces prohibitions de Moïse, le docteur Guéneau de Mussy s’exprime ainsi : « C’est dans le sang que circulent les germes d’un grand nombre de maladies infectieuses ; les animaux doivent (d’après la loi de Moïse) être saignés, avant d’être appelés pour servir à l’alimentation. » Étude sur l’hygiène de Moïse, in-8°, Paris, 1885, p. 8-9, dans F. Vigoureux, Les Livres Saints, 1887, t. iii, p. 617. Il n’est personne qui ne reconnaisse la sagesse de cette loi mosaïque, au point de vue hygiénique en général, et plus spécialement pour l’Orient, où la question de l’alimentation réclame des soins très particuliers. D’après plusieurs auteurs, c’est même là le motif pour lequel Moïse a écarté absolument, même du culte du vrai Dieu, l’usage de boire du sang dans les sacrifices. En effet, Moïse, dans ses prescriptions liturgiques, a adopté certains rites en usage chez les païens, en les rapportant et en les consacrant au culte de Jéhovah. Pourquoi n’aurait-il pas fait de même pour l’usage du sang ? C’est que cet usage paraît contraire au sentiment naturel de l’homme, qu’il peut avoir une influence fâcheuse même sur le moral, et que, spécialement, au point de vue de la santé, il peut être nuisible, et même, dans certains cas, mortel. Michælis, Mosaisches Recht, § 206, t. iv, p. 221-223. — Tels sont les trois motifs qui ont engagé le législateurhébreu à faire cette prohibition sévère ; et l’on ne’peut s’empêcher d’admirer avec quelle