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CERETHEENS


et la tribu des Céréthiens est déjà mentionnée I Reg., -XXX, 14. Cf. Baur, dans Riehm, Handwôrterbuch des Eiblischen Altertums, Leipzig, 1884, t. i, p. 241.

La plupart des modernes, à la suite d’Ewald, Kritische Grammatik der hebràischen Sprache, Leipzig, 1827, p. 297 ; Geschichte des Volkes Israël, Gœltingue, 1864, t. i, p. 353, expliquent Kerêti et Pelêti par des noms de peuples. Les Céréthiens sont les Philistins comme originaires de Crète ; le mot Pelêti serait une abréviation populaire pour Pelisti, « Philistin. » Les Céréthiens et les Phéléthiens étaient des soldats mercenaires comme le furent plus tard les Germains qui servirent de gardes du corps aux empereurs romains, et les Suisses qui devinrent gardes du corps des rois de France. Après David, la garde royale put conserver le même nom, quoiqu’elle ne fut plus composée de Philistins, de même que certaines gardes suisses purent être composées de soldats qui n’étaient pas originaires des cantons helvétiques. — En ce qui concerne Kerêfl, cette opinion, au point de vue strictement exégétique, s’appuie principalement suri Reg., XXX, 14 ; Ezech., xxv, 16 ; Soph., ii, 5. Quant à l’origine des deux noms, voici comment on l’explique au point de vue historique. On distingue une double émigration des Philistins en Palestine. La première colonie vint de la côte égyptienne, où elle s’était d’abord arrêtée, en quittant Caphtor ou l’Ile de Crète. Elle fut faible jusqu’à l’époque des patriarches, mais prit peu à peu de la force pendant le séjour des Hébreux en Egypte. La seconde arriva immédiatement de Crète, vers la seconde moitié de la période des Juges, et donna à la puissance du peuple philistin cet essor subit qu’indique le livre des Juges à partir du chap. xm. Selon toute vraisemblance, le nom de Pelêti ou Pelisti désigna primitivement la plus ancienne, et celui de Kerêti la plus récente ; et cette double dénomination, s’appliquant à tout l’ensemble de la population, passa aux gardes du corps que David prit dans la nation vaincue. Comment se fait-il maintenant que le saint roi prit ces troupes à son service ? Cela s’explique non seulement par ses anciens rapports d’amitié avec les Philistins, I Reg., xxvii ; mais encore par la nature même de ce dernien État. Celui-ci, en effet, une espèce de Pays-Bas de l’ancien monde, ne pouvait, dans les limites étroites où il était resserré, arriver à un certain développement de puissance qu’en appelant des mercenaires de l’ancienne patrie, et ces soldats à gage, suivant leur coutume, se mirent au service de leur nouveau maître, après la défaite des Philistins, aussi volontiers qu’ils l’avaient fait pour les anciens. Cf. Riehm, Handwôrterbuch, p. 241.

On a soulevé contre cette opinion les objections suivantes : 1° Kerêti n’indique pas plus les Cretois que Pelêti ne représente les Philistins. Donner, en effet, ce dernier mot comme une corruption de Pelis(im est une assertion sans fondement, un fait inconnu des langues sémitiques. — 2° Cette alliance de deux noms synonymes pour désigner la garde royale est tout à fait singulière ; c’est comme qui dirait les Anglais et les Bretons en parlant des habitants de la Grande-Bretagne. — 3° Les gardes du roi furent appelés plus tard hak-kàri ve-hàrâsim, IV Reg., xr, 4, 19, hak-kâri correspondant à hakkerêti, comme II Reg., xx, 23, et hâ-râsim à happelêfi ; ce dernier mot n’est donc pas plus un nom de peuple que râsim, « coureurs ; » et il en est de même pour les deux autres. — 4° L’hypothèse de l’émigration des Philistins de l’Ile de Crète s’appuie simplement sur les vagues données de Tacite, Hist., v, 3, 2 : Judseos Creta insula profugos novissima Libyse insedisse memorant, et d’Etienne de Byzance, qui rapporte que la ville de Gaza s’appelait autrefois Minoa, de Minos, roi de Crète : assertions qu’on a justement traitées de fables, surtout en regard des témoignages historiques de l’Ancien Testament, Deut., ii, 23 ; Am., ix, 7, qui font vej nir les Philistins de Caphtor. — 5° Enfin il est tout à j

fait invraisemblable qu’un patriote comme David, qu’un pieux roi attaché comme lui au culte du vrai Dieu, ait entouré sa personne d’étrangers et de païens. Cf. Gesenius, Thésaurus, p. 719 ; Keil, Samuel, p. 287-288, notes.

On peut répondre à ces difficultés : 1° Quelle que soit l’origine des Kerêtim, ils sont certainement donnés,

I Reg., xxx, 14, comme une tribu du sud-ouest de la Palestine, et probablement, Ezech., xxv, 16 ; Soph., ii, 5, comme synonymes de Philistins. Quant au mot Pelêtl, plusieurs auteurs admettent qu’il peut être une corruption populaire de Pelistim, destinée à mettre sa prononciation d’accord avec celle de Kerêti. Voir Phéléthiens.

— 2° L’alliance des deux noms synonymes s’explique par leur origine historique, que nous avons mentionnée plus haut, de même que les dénominations d’Anglais et de Bretons supposent dans un même pays différentes couches de peuples. — 3° Les gardes du corps pouvaient s’appeler râsim en raison de leur fonction de « messagers », et Pelêti en raison de leur origine, comme en France nous disons « Suisses » et « portiers ». Cf. F. de Hummelauer, Comment, in libros Samuelis, Paris, 1886, p. 333. Quoique plusieurs auteurs prennent Kârî pour le nom des Cariens, qui auraient également fait partie de la garde royale, il est possible aussi que ce mot soit une faute de copiste pour Kerêti, par la simple omission du n, thav, t-s, >rro, comme au ketïb de II Reg., xx, 23.

Dans ce dernier passage, les massorètes ont ponctué H3,

Kerêî ; mais les Septante et la Vulgate ont bien lu Xepeôi, Céréthiens ; et la version latine a lu de même. IV Reg., xi, 19. — 4° Malgré l’obscurité qui entoure l’origine des Philistins, bon nombre d’auteurs les font venir de Crète. Cf. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient, 4e édit., Paris, 1886, p. 312 ; Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 5e édit., Paris, 1889, t. iii, p. 338. Voir Philistins. — 5° Qui nous dit que les Céréthiens ne devinrent point prosélytes, en s’attachant à la personne de David ? Les janissaires turcs étaient de jeunes captifs, nés de parents chrétiens, qu’on élevait dans l’islamisme. D’un autre côté, le saint roi ne crut jamais manquer au patriotisme en choisissant des héros étrangers, comme Éthaï le Géthéen, II Reg., xv, 19, 22 ; xviii, 2 ; Sélec l’Ammonite, xxiii, 37 ; Urie l’Héthéen, xxiii, 39 ; Igaal de Soba, xxiii, 36, et les six cents Géthéens, xv, 18.

II suivit en cela l’exemple de Saùl, qui, « dès qu’il voyait un homme vaillant et apte à la guerre, se l’attachait, » I Reg., xtv, 52, ce qui n’exclut pas le choix des étrangère, mais le suppose plutôt. Cf. F. de Hummelauer, Comment, in lïb. Sam., p. 333. C’est, du reste, un usage qui a été assez fréquent chez les rois orientaux. Le khalife de Bagdad, par exemple, fut obligé, depuis le IXe siècle, de prendre à son service des soldats turcs, parce qu’aucun Arabe ne voulait se prêter à emprisonner un Arabe, encore moins à le mettre à mort. Cf. F. Hitzig, Vrgeschichte und Mythologie der Philistàer, in-8°, Leipzig, 1845, p. 17-28.

Les Céréthiens et les Phéléthiens avaient pour chef, non point un des leurs, mais un Israélite de la plus grande distinction et de la meilleure naissance, Banaias, fils du grand prêtre Joïada. II Reg., viii, 18 ; xx, 23 ; I Par., xviii, 17. Ils marchaient devant David quand il s’enfuit de Jérusalem, au moment de la révolte d’Absalom. II Reg., xv, 18. Ils poursuivirent, avec les vaillants d’Israël, un autre révolté, Séba. Il Reg., xx, 7. Opposés également aux tentatives d’Adonias, ils prirent part au sacre de Salomon. III Reg., i, 38, 44. La Vulgate les mentionne encore dans l’histoire d’Athalie et de Joas. IV Reg., xi, 19 ; mais nous avons vu que le texte original donne une leçon qui prête matière à difficultés. Telle est en résumé toute l’histoire de cette troupe d’élite. — Voir J.-B. Carpzov, Dissertatio de Crethi et Phlelhi, dans Ugolini, Thésaurus, t. xxvii, col. ccccxrv - ccccu ;