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CÈNE


deux membres de phrase que si Jésus a voulu dire : L’heure de ma mort approche ; il faut se hâter, demain il serait trop tard ; prépare donc ce qu’il faut pour que je célèbre aujourd’hui la Pàque chez toi avec mes disciples. Pour les synoptiques, aussi bien que pour saint Jean, le repas de Jésus précéda donc de vingt-quatre heures celui des autres Juifs. La suite de leur récit s’accorde parfaitement avec cette hypothèse. L’arrestation de Jésus, la réunion du sanhédrin pour le procès, les allées et venues chez Pilate et chez Hérode, l’épisode de Simon le Cyrénéen, les achats d’un suaire par Joseph d’Arimathie, de parfums par Nicodème et les saintes femmes : tout cela est incompatible avec le repos du grand jour de la Pàque. Sans doute le repos était moins strict que pour le sabbat : on pouvait acheter et préparer les aliments nécessaires ; mais c’est la seule différence qu’établit la Loi. Exod., xii, 167 Lev., xxiii, 7 : « Vous n’y ferez aucune œuvre servile, excepté en ce qui regarde la nourriture. » Quant aux jugements et exécutions, si on pouvait les faire pendant l’octave de la Pàque, on n’a jamais prouvé qu’on put s’en occuper le premier jour ou grand jour de la solennité. Tout semble donc exclure le jour de la fête et s’accorde très bien, au contraire, avec le jour de la préparation.

D’après cette opinion, Notre -Seigneur, devançant de vingtquatre heures le repas légal, ne fit pas la Pàque juive, mais institua la Pàque chrétienne, l’Eucharistie. Il accomplit, il est vrai, tous les autres rites du festin pascal, sauf la manducation de l’agneau ; mais le véritable Agneau de Dieu, celui qui était immolé en figure dans la Loi, était présent. Quelle fin plus sublime donner à la Pàque légale, abrogée pour toujours : Jésus substituant la vérité à l’ombre ! — Que Jésus fît la dernière Cène le soir du 13 au 14 Nisan, c’est la pensée des anciens Pères, d’Apollinaire, évêque d’Hiérapolis, t. v, col. 1298 ; de saint Hippolyte de Porto, t. x, col. 870 ; de Clément d’Alexandrie, t. ix, col. 758 ; de saint Irénée, t. iv, col.’10 ; de saint Pierre d’Alexandrie, t. xcii, col. 78 ; de Tertullien, t. ii, col. 973. Ces témoignages expriment le sentiment de nombreuses et célèbres Églises, et sont confirmés par les traditions juives, qui placent la mort de Jésus au 14 de Nisan. Talmud, Sanhédrin, ꝟ. 43 a, 67 a. Parmi les modernes, c’est le sentiment de Calmet, Commentaire littéral, in-4°, Paris, 1715, S. Matthieu, p. cxlv-clxi ; Sepp, Vie de Jésus, trad. Charles de Saint-Foi, Paris, 1854, t. i[, p. 90-102 ; H. Wallon, L’autorité de l’Évangile, in- 12, Paris, 1887, p. 392-401 ; P. Godet, Commentaire sur l’Evangile de saint Jean, 1877, p. 538-558, etc.

3° Troisième opinion. — Les affirmations des synoptiques d’une part, de saint Jean de l’autre, paraissent si catégoriques, que certains exégètes ou chronologistes renoncent à les fondre ensemble pour les ramener au même sens. Ils cherchent ailleurs la conciliation, en . s’efforçant de prouver avec plus ou moins de succès qu’on pouvait célébrer la Pàque le soir du 13 au 14 aussi bien que le soir du 14 au 15 Nisan. Jésus aurait fait la Pàque le 13-14 Nisan, et c’est ce que marquent les synoptiques, tandis que les Juifs l’ont célébrée le 14-15, un jour plus tard que le Sauveur, comme le témoigne saint Jean. (Selon quelques-uns, Notre -Seigneur aurait célébré la Pàque le soir du 14, et les Juifs l’auraient fait le 15, c’est-à-dire le soir du 15 au 16 de Nisan, l’expression des synoptiques : « premier jour des azymes, » leur paraissant plus naturelle dans cette hypothèse.) Les partisans de cette troisième opinion apportent les mêmes raisons que ceux de la seconde pour montrer que Jésus fit la dernière cène un jour avant les Juifs ; mais ils veulent de plus prouver que ce dernier repas fut cependant un repas légal, une vraie pâque, comme paraissent bien l’indiquer les synoptiques. À ce dessein, plusieurs hypothèses plus ou moins fondées ont été avancées. — D’après C. lken, Dissertationes theol. philolog., 1770, t. ii, p. 337, il y avait divergence entre les Juifs sur la

manière de déterminer la nouvelle lune, les uns la fixant d’après le calcul astronomique, les autres par l’observation empirique des phases de la planète ; il pouvait y avoir par certains temps nuageux une erreur d’un jour dans cette constatation : de là un retard pour la célébration de la Pâque. Mais Maimonide, Conslitut. de sanct. novilun., dans Ugolini, Thésaurus, t. xvii, col. cclviii. nous apprend que ce double mode d’observation commença seulement après la ruine du Temple et la dissolution du sanhédrin. — Selon d’autres, les Juifs du dehors pouvaient manger la pàque le 13-14 Nisan, tandis que les Juifs de Jérusalem la mangeaient le 14-15. Malheureusement c’est là une pure hypothèse, qui n’est appuyée sur aucun document. On fait remarquer seulement l’impossibilité matérielle d’immoler en trois heures de temps environ, si tout le monde faisait la Pàque le même jour, les deux cent cinquante mille agneaux au moins, Josèphe, Bell, jud., VI, ix, 3, nécessaires pour la multitude des pèlerins : ce qui ferait plus de deux mille à sacrifier par minute. — On a proposé une solution plus satisfaisante en s’appuyant sur les inconvénients qu’entraînait pour les pharisiens, stricts observateurs du repos sabbatique, l’occurrence de la Pàque avec un vendredi. Une des cérémonies du soir de cette fête consistait à aller hors de Jérusalem couper le’ômér ou la gerbe sacrée, prémices de la moisson nouvelle. Or l’on attendait pour cela que le jour de la fête fût expiré ; et on moissonnait alors assez d’épis pour faire une gerbe pouvant donner trois sata de grain. Lorsque la fête tombait un vendredi, il fallait donc en plein sabbat faire la moisson. Comment un pharisien l’auraitil souffert, lui qui regardait comme un crime de rompre quelques épis en un tel jour ? On ne pouvait éviter cette fâcheuse occurrence qu’en transférant la fête à un autre jour, du vendredi au samedi ; or c’est précisément ce que nous voyons autorisé dans le calendrier juif (Surenhusius, Mischna, de Syned., part, iv, p. 210), par la règle Badu, laquelle prescrit, lorsque la Pâque tombe un vendredi, de retarder d’un jour le 1 er du mois. Sous le second Hillcl, cette règle était reçue par toute la nation, sauf par les anti-talmudistes. Il esta croire qu’elle n’a pas été décrétée tout d’un coup ; elle s’est introduite peu à peu par l’influence du pharisaïsme ; cet ascendant étant déjà considérable au temps de Jésus-Christ, on peut présumer que la loi, elle aussi, était en vigueur. Ideler, Handbuch dermath. Chronologie, Berlin, 1825, t. i, p. 519 ; Jlémain, La connaissance des temps évangéliques, in-8°, 1886, p. 482-480. Par suite de cette translation, on célébrait en réalité la fête le 16 ; mais ce jour portait, pour les partisans de cette mutation, le nom de quinzième jour, car le changement se faisait en retardant d’un jour le 1 er du mois. Notre-Seigneur et tous les Juifs qui n’admettaient pas encore les exagérations pharisaïques sur le sabbat, auraient suivi le vrai calendrier et célébré la Pâque au jour où elle tombait régulièrement. — Reste une difficulté à résoudre. Si Jésus fit la Pàque un jour plus tôt que les Juifs, comment les Apôtres purent-ils se procurer avant le temps l’agneau que la Loi prescrivait de sacrifier dans le Temple au soir du quatorzième jour ? La Loi, Deut., xvi, 2, 5, 6, prescrit d’immoler l’agneau pascal dans Jérusalem, mais non dans le Temple. Ce n’est qu’à partir de Josias que cette obligation nouvelle fut imposée à tous. Jésus, excommunié par les prêtres, put revenir à la pratique ancienne, d’après laquelle l’agneau était immolé dans chaque maison. Phi-Ion, De vita Mos., 3, Opéra, édit. de 1742, p. 686 ; De Decal., p. 766, suppose même que tout Israélite pouvait le faire, quand la multitude des pèlerins était trop considérable. — Les principaux partisans de cette opinion sont : Paul de Burgos, Addit. ad Lyran., In Matlh., 20, in-f°, Venise, 1588, p. 82 ; A. Salmeron, In Evangel. historiam comment., in-f », Cologne, 1613, t. ix, tr. 4, p. 23-31 ; Jansénius de Gand, Comm. in concordiam, cap. cxxviii,