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second, il les aurait devancés d’un jour. On sait que d’après la loi, Exod., xii, 6 ; Lev., xxiii, 15 ; Num., xxviii, 10, l’agneau pascal devait être immolé dans l’après-midi du

14 Nisan, avant que le coucher du soleil ne commençât la journée du 15 Nisan, selon la manière de compter des Juifs. Mais c’est aux premières heures de cette nuit du

15 qu’on le mangeait ; on ne devait alors, et pendant les sept jours de la fête pascale, faire usage que de pains azymes. D’après la coutume, dès le 14 Nisan on s’abstenait de manger tout ce qui était fermenté, de sorte qu’on regardait quelquefois ce jour comme le premier des azymes. Voir Azymes, t. i, col. 1314. À ne considérer que les synoptiques, la dernière Cène aurait eu lieu « le premier jour des azymes, jour où l’on devait immoler la Pàque », c’est-à-dire après le coucher du soleil qui mettait fin au 14 Nisan, dans les premières heures de la nuit qui commençait le 15. Matth., xxvi, 17 ; Marc, xiy, 12 ; Luc, xxii, 7. D’après saint Jean, au contraire, xili, 1 ; xviii, 28 ; xix, 14, il semble évident que, la passion ayant eu lieu « le jour de la préparation de la Pàque, avant que les Juifs eussent célébré la fête », la dernière Cène doit être placée « avant la fête de Pâque », c’est-à-dire après la fin du 13 Nisan, aux premières heures de la nuit qui commençait le quatorzième jour. Cette apparente contradiction soulève un problème auquel on a donné diverses solutions ; mais aucune n’est encore définitive, faute de renseignements précis et certains sur les usages juifs touchant la célébration de la Pàque au temps de JésusChrist. Les nombreux systèmes imaginés se ramènent à trois principaux : le premier entreprend d’accorder les expressions de saint Jean avec le sens clair des synoptiques ; le deuxième, au contraire, explique les synoptiques d’après saint Jean ; le troisième enfin, laissant aux deux récits leur sens obvie et propre, cherche la solution ailleurs que dans leur combinaison.

1° Première opinion. — NotreSeigneur célébra la Pàque en même temps que les Juifs, dans la nuit qui suivit le 14 Nisan, comme il ressort du récit des synoptiques. Si saint Jean, xiii, 1, place la Cène « avant la t’éte de Pâque », c’est qu’il distingue entre la Pâque et la fête ou solennité de Pâque ; ou bien, comptant à la manière grecque et romaine, qui ne commence les jours qu’à minuit, il rapporte à la veille ce qui était pour les Juifs le commencement du jour. De plus, l’expression TtapauxEuri toû niaxx, Joa., xix, 14, appliquée au jour de la passion, semble indiquer la veille de la Pâque, mais peut aussi avoir un autre sens. Car le mot irapzaxEu/i désigne communément la préparation ou veille du sabbat, c’est-à-dire le vendredi. La irapï<rxeuï] toû iria-^a est tout simplement le vendredi dans l’octave pascale. Enfin la locution « manger la pâque », dans Joa., xviii, 28, ne doit pas être restreinte à l’agneau pascal, mais s’applique encore aux autres victimes qu’on immolait pendant la journée du 15, la chagigah. Deut., xvi, 2 ; II Par., xxx, 22-24 ; xxxv, 8-9. Il suit de là que si les Juifs refusent d’entrer dans le prétoire le matin du vendredi, « de peur de se souiller et de ne pouvoir plus manger la pâque », cela doit s’entendre non de l’agneau pascal, mais des autres victimes offertes dans cette fête. Les principaux partisans de cette opinion sont : S. Jérôme, In Matlh., 26, t. xxvi, col. 193 ; S. Augustin, Epist. xxxvi, 13, t. xxiii, col. 150 ; Luc de Bruges, In sacr. J. C. Evangelia comm., m*f°, Anvers, 1606, p. 447-450 ; Tolet, In sacr. Joa. Evangel. comm., in-4°, Cologne, 1611, t. ii, p. 5-18 ; Cornélius a Lapide, In Matth-, xxvi, 17, édit. Vives, t. XV, p. 549-550 ; F. X. Patrizi, De Evangeliis libri III, diss. L, in-4°, Fribourg, 1853, p. 458-515 ; J. Corluy, Commentarius in Evang^ S. Joannis, in-8°, Gand, 1880, p. 318 ; A. C. Fillion, Évangile selon saint Matthieu, p. 498-501 ; Bochart, Hierozoiçon, part. i, lib. ii, c. 50, Opéra omnia, 3 in-f°, Leyde, 1692, t. ii, p. 557-572 ; Reland, Antiquit. sacrse vet. Hebrseor., IV, iv, 7-8, in-8°, Utrecht, 1708, p. 226-228 ; Langen,

Die letzten Lebenstage Jesu, in-8°, Fribourg-en-Brisgau, 1864, p. 57, etc.

2° Seconde opinion. — Le Sauveur fit la Cène vingt-quatre heures plus tôt que les Juifs ; après les dernières heures du 13 de Nisan. Tous les évangélistes s’accordent à appeler le jour du crucifiement la Parascève, c’est-à-dire le jour de « la préparation », Matth., xxvii, 62 ; Marc, xv, 42 ; Luc, xxiii, 54 ; Joa., xix, 31, en d’autres termes la veille du sabbat ou vendredi. Mais cette fois la veille du sabbat avait un caractère particulier, car saint Jean, xix, 14, l’appelle la Parascève delà Pâque. Nul doute qu’il ne faille entendre par là un vendredi précédant immédiatement la solennité pascale. Aussi saint Jean, xix, 31, remarque-til que cette année le jour du sabbat était grand : grand sans doute par sa coïncidence avec le jour de la Pàque. D’ailleurs il eût été étrange d’appeler le grand jour de la fête de Pâque simplement « la préparation de la Pâque ». C’est donc le 14 Nisan, veille de Pâque et du sabbat, qu’on doit placer le jour du crucifiement. Il suit de là que Jésus, expirant au moment où les agneaux de la Pâque étaient immolés, a du faire le repas légal vingt-quatre heures plus tôt que les autres Israélites. Cette conclusion s’accorde parfaitement avec le langage des évangélistes. La dernière cène eut lieu « avant la fête de Pàque », dit saint Jean, xiii, 1. Or, si le repas avait été au soir du 14 au 15 Nisan, comme il se faisait aux premières heures de la nuit qui commençait le quinzième jour, il aurait eu lieu le jour de la fête de Pàque. <c Avant la fête de Pàque, » Joa., xiii, 1, correspond donc au soir du 13 au 14 Nisan. Qu’on ne dise pas que saint Jean comptait à la manière grecque ou romaine : car plus loin, xix, 31, il suit la coutume juive en faisant commencer le sabbat le vendredi soir. De plus, le lendemain matin, saint Jean, xviii, 28, nous montre les sanhédrites évitant de pénétrer dans le prétoire pour ne point se souiller, « afin de pouvoir manger la pâque. » Or le sens naturel de cette expression est « manger l’agneau pascal ». L’application qu’on a voulu en faire aux autres victimes immolées le 15 Nisan et surtout à la chagigah, ni>in, repose sur deux textes, Deut., xvi, 2 ; II Par., xxx, 22, mal compris. R. Cornely, Introductio in Novi Testamenti libros, 1886, p. 271. Le témoignage des synoptiques n’est pas en réalité contraire aux textes de saint Jean. Le premier jour des azymes, où on immolait l’agneau, s’entendait souvent non pas seulement des dernières heures du 14 Nisan, mais de toute cette journée, Josèphe, Bel. jud., V, iii, 1, qui commençait en réalité la veille, au coucher du soleil ; c’est précisément à ce moment, entre six et sept heures du soir, qu’on allumait les lampes pour fouiller les coins les plus obscurs de la maison, et faire disparaître les moindres parcelles de levain ; aux dernières heures de ce même jour, d’après la manière juive de compter, on immolait l’agneau. Les évangélistes semblent donc désigner le soir du 13 au 14 pour la célébration de la Cène. (Par leur expression « le premier jour des pains sans levain », ils ne distinguent pas entre le premier et le second soir de ce jour.) Car si Notre -Seigneur l’avait célébrée le 14 au soir, ou plus précisément au commencement du 15, les synoptiques n’auraient pu appeler ce jour « le jour où ou immolait la Pâque », l’agneau devant être immolé dans l’après-midi du 14. Il suffit du reste d’étudier l’ensemble de leur récit pour reconnaître que la Cène de Jésus ne fut pas la Pâque légale. Ce n’est pas le malin du 14 seulement que les Apôtres se seraient préoccupés du lieu où il fallait préparer la Pàque. Luc, xxii, 7. L’affluence était trop considérable à Jérusalem dans cette fête pour qu’on différât jusqu’au matin du jour où devait se faire le repas pascal le soin de retenir un local. De plus, Notre -Seigneur fait dire à l’hôte qui doit le recevoir : « Mon temps est proche ; que je fasse la Pàque chez toi avec mes disciples. » Matth., xxvi, 18. Il n’y a de rapport entre ces