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CARAITE


obscures. À en croire les rabbins modernes, cetle secte remonterait seulement au vnie siècle ; son fondateur serait Anan, fils de David. À la mort de son oncle Salomon (761), qui était r'ôs gelutâ, « chef de la captivité » de Babylone, la succession lui revenait comme de droit ; mais on lui préféra son frère cadet, Hanania, qui cependant lui était inférieur en mérites. Blessé de cette préférence, il se serait vengé en se séparant des rabbanites et en fondant avec ses partisans une secte nouvelle, qui reçut le nom d’ananites, puis celui de benê migra', et enfin celui de qaraïm, « caraïtes. » Il faut dire que les rabbanites en général parlent assez mal de leurs adversaires, et sont suspects dans leurs appréciations à leur endroit. Les caraïtes de leur côté disent que leur parti existait déjà au temps d’Anan, et que celui-ci ne fut pas accepté comme chef par lès rabbanites précisément à cause de ses idées, et parce que ces derniers, sous le gouvernement d’Hanania, espéraient avoir plus facilement raison de leurs adversaires. Embrassant alors avec chaleur la cause des caraïtes, Anan les défendit contre les violences de leurs ennemis et fut comme le restaurateur de la secte. En face de ces traditions contradictoires, on peut dire que l’esprit de la secte est certainement plus ancien que le vme piècle : la réaction contre les subtilités et les exigences tyranniques du rabbinisme dut se faire sentir beaucoup plus tôt. Les sadducéens autrefois avaient secoué le joug des pharisiens, dont les rabbins ont continué l’esprit. Probablement ce furent les idées plus larges et plus indépendantes d’Anan qui le firent écarter par les partisans des traditions talmudiques. À son époque, en effet, le mouvement d’opposition dut s’accentuer davantage, sous l’influence de la philosophie arabe sur les Juifs de Babylone. De plus, dès le commencement des Abbassides, un certain nombre de Juifs furent en faveur à la cour des califes ; ils profitèrent de leur position pour se soustraire à l’autorité du chef de la captivité, dont les prescriptions devenaient insupportables. Leur situation et leurs idées philosophiques les amenèrent peu à peu à secouer le joug de la tradition talmudique ; et lorsque Anan, favorable à leurs idées, fut mis de côté par les rabbanites, il trouva un parti tout prêt à le soutenir. — Bien qu’il y ait des rapports de tendance et d’idées entre les caraïtes et les sadducéens, il ne faut pas cependant les confondre avec ces derniers et les regarder comme la continuation de leur secte : certains points de doctrine les différencient nettement.

II. Doctrine. — Les caraïtes rejettent les traditions rabbiniques pour s’attacher à l'Écriture. Ce sont, comme on l’a dit, les protestants du judaïsme. Ils ne rejettent pas cependant toute tradition, mais toute cette superfétation de traditions minutieuses, souvent bizarres, qui forment le Talmud. Voici en résumé les principaux articles de leur croyance, dont plusieurs concernent les Écritures. Le monde a été créé ; il est l'œuvre d’un Dieu éternel, unique, personnel, qui a envoyé Moïse auquel il a donné sa loi parfaite. Dieu a inspiré aussi les autres prophètes. Le vrai croyant doit connaître le texte de l'Écriture et sa signification ; sa signification est claire par ellemême, sans qu’il soit besoin d’addition humaine. Dieu récompensera chacun selon ses œuvres, et au jour du jugement il ressuscitera les morts. En cette vie Dieu n’abandonne pas les hommes ; il les corrige et les améliore par les épreuves jusqu'à ce qu’ils soient dignes d'être sauvés par le Messie, fils de David. — Sauf le rejet des traditions, ce sont donc au fond les mêmes points de doctrine que les rabbanites, auxquels est attachée la majorité des Juifs. Il est à remarquer qu’ils ont toujours été moins opposés aux chrétiens que les autres Juifs. Quant à l’interprétation de l'Écriture, elle est en général plus littérale, plus rationnelle que celle des rabbanites des premiers temps. Négligeant les traditions talmudiques, ils se sont attachés davantage à l'étude du texte en lui-même, et ont fait progresser la science grammaticale et philologique de

l’hébreu ; et ils n’ont pas été sans influence sur le retour de certains rabbins célèbres à l'étude de la langue et du texte. Du reste, leurs principes d’interprétation se trouvent en réalité dans la Mischna ; mais ils ont eu le mérite de ne pas abandonner ces principes rationnels pour une exégèse purement morale ou cabalistique. — Dans les observances, il existe plusieurs différences entre les caraïtes et les rabbanites, notamment pour la fixation de la Pàque. Ils rejettent les phylactères, etc.

III. DÉVELOPPEMENT DE LA SECTE ET PRINCIPAUX ÉCRIVAINS. — Animée d’un ardent prosélytisme, la secte se répandit rapidement en Babylonie et en Perse. Dans ce dernier pays, vers 820, Benjamin Nahâwendi se fit connaître par un commentaire du Pentateuque et un sêfér ham-mifevôt, « livre des préceptes, » où il suit la méthode et l’esprit d’Anan. — La colonie de Jérusalem remonte à Anan lui-même, qui fut obligé par ses adversaires de s’y réfugier ; elle prit une telle importance, que, jusqu’en 1099, ce fut la résidence de leur patriarche ou nasî, pris du reste dans la famille d’Anan. Dans la première moitié du xe siècle, Yapheth ben Heli de Bassora y donna un commentaire des Psaumes. Au XIe siècle, une école s’y forma autour de Josué ben Juda, Aboul Faradj ; elle s’occupa de traduire les œuvres caraïtes écrites en arabe, pour les répandre dans d’autres contrées. Après la prise de Jérusalem par les croisés (1099), ils se dispersèrent les uns à Alep, d’autres en Egypte, à Constantinople et en Espagne. Ce fut un élève de Josué ben Juda, un zélé caraïte du nom de Ibn Altaras, qui transporta en Espagne avec les ouvrages de son maître les principes de sa secte ; ils s’y multiplièrent et y acquirent une influence qui fut sur le point de ruiner l’autorité des rabbanites ; mais cette influence fut passagère, car après Ibn Ezra on n’en entend plus parler. Il n’en fut pas de même en Egypte, où ils s'étaient établis vers la même époque. Le Caire fut pendant longtemps, après Jérusalem, le siège de leur chef, et leur communauté y fut très florissante. Un des plus célèbres écrivains caraïtes y vécut et y mourut (1369), Aaron ben Élie ; il y donna son 'Es j/ayîm, « Arbre de vie, » traité de philosophie religieuse qui rappelle le Guide des égarés de Jlaimonide. Aussi l’a-t-on nommé quelquefois le Maimonide du caraïsme. Ses principes d’interprétation, qui furent ceux de sa secte, sont exposés dans cet ouvrage. Constantinople, plus encore que le Caire, fut le centre littéraire du caraïsme après leur émigration de Jérusalem, au xie siècle. Vers 1150, Juda ben Élie Hadassi, y donne son 'Eskol hakkofér, où sont formulés avec précision les dogmes du caraïsme et les différences qui le séparent du rabbanisme. Là aussi vécut, au xme siècle, le premier des auteurs de la secte, Aaron ben Joseph, célèbre par ses commentaires sur la plus grande partie de la Bible, ses essais de grammaire et de critique sacrée et son livre des prières à l’usage des caraïtes. Ceux-ci ont encore une communauté à Constantinople. Mais ils sont plus nombreux en Lithuanie, en Moldavie, en Valachie, en Galicie surtout, où ils jouissent d’immunités grâce à une charte remontant au roi Etienne de Hongrie (1578) ; ils sont exemptés de certains impôts que payent les autres Juifs. Les caraïtes ont aussi de nombreux établissements en Crimée, où ils paraissent s'être établis dès le XIIe siècle, lorsqu’ils furent chassés de Castille. Au xvii 8 siècle, cette colonie était florissante. Ils y ont encore une très belle synagogue à Bàkhtchisaraï ; c’est à celle de Tschufuttkale que fut trouvé le Codex Babylonicus Petropolitantis (t.i, col. 1359). — On estime actuellement le nombre des caraïtes à six mille environ. Ils n’ont plus de patriarche unique ; chaque communauté s’administre isolément, sous la direction d’un Ijdkâm, qui remplit les fonctions de rabbin chez les autres juifs.

IV. Bibliographie. — Les caraïtes étaient restés longtemps inconnus en Occident, en France, en Italie, en Allemagne ; ce sont les travaux du P. Moriii, Exerci-