Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/126

Cette page n’a pas encore été corrigée
233
234
CAPTIVITÉ


iraient prêcher l’Évangile aux païens, trouvassent dans toutes les grandes villes un centre tout préparé pour les recevoir et leur faciliter le moyen d’annoncer la bonne nouvelle.

III. Condition des exilés en Babylonie. — 1° Lieux de leur séjour. — La plupart des Juifs déportés, auxquels on laissa une certaine liberté, habitèrent à Babylone, sur la rive droite de l’Euphrate, dans la partie de la ville qui s’appelle aujourd’hui Hillah, et autrefois, d’après M. Oppert, Halalat, « la profane. » C’était comme la cité ouvrière, dans laquelle demeuraient tous ceux que les Chaldéens regardaient comme profanes. Voir le plan de l’ancienne Babylone, t. i, col. 1352 ; Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, t. iv, p. 326. La ville de Babylone avait une superficie immense, circonscrite par une grande muraille. Elle pouvait recevoir facilement une multitude de nouveaux habitants. L’Euphrate, qui traversait la ville entre des digues monstrueuses, se déversait dans des canaux sans nombre qui arrosaient Babylone et toute la basse Chaldée. Le principal portait le nom de Nahar Malka, « fleuve royal ; » il fut réparé par Nabuchodonosor même. Au sud de la ville, de grands lacs artificiels recevaient aussi les eaux du fleuve. Les exilés juifs habitaient sur le bord de ces canaux. Ils chantaient, dans un de leurs psaumes de l’exil :

Près des fleuves de Babylone nous sommes assis,

Et nous pleurons au souvenir de Sion ;

Aux saules de ses rives

Nous suspendons nos Jtinnorim.

Ps. CXXXVI (cxxxvii), 1-2.

Ezéchiel, i, 1, 3, se trouvait auprès du Chobar (Kebâr), « dans la terre des Chaldéens, » quand il eut sa première vision. Comme le prophète faisait partie des déportés de Juda, le fleuve Chobar ne saurait être identifié avec le Khabour ou Habor (Hâbôr), sur les rives duquel avaient été établis une partie des déportés de Samarie. Voir plus haut, I, 2°. Le Chobar, dont le nom dérive de kâbar, « être grand, long, » était sans doute un canal, peut-être le Nahar Malka, le grand canal royal, à supposer toutefois que ce canal royal passât à Babylone. Grætz, Geschichte der Isræliten, t. ii, 2° partie, p. 3. Voir Chobar. Sur les rives de ce canal, le prophète habitait au milieu des exilés, dans une localité appelée Tell Abib. Ezech., iii, 15. Baruch, 1, 4, parle de « ceux qui habitaient à Babylone, près du fleuve Sodi ». Sodi est encore évidemment le nom d’un des canaux de Babylone. Quant au fleuve Ahava, d’où les Juifs partirent avec Esdras pour retourner en Palestine, I Esdr., viii, 21, 31, peut-être n’était-il aussi qu’un canal babylonien. Il est possible cependant que ce nom soit celui d’un gué de l’Euphrate. Voir Ahava, t. i, col. 290. D’autres exilés durent se fixer dans des villages voisins de la capitale, Tell Melakh, Tell Harsa, Keroub-Addan, dont la position est restée inconnue. I Esdr., ii, 59. A Casphia, autre localité dont on ignore également la situation, s’étaient retirés des prêtres et des serviteurs du temple. I Esdr., viii, 17. Avec le temps, beaucoup de Juifs s’éloignèrent du séjour que Nabuchodonosor leur avait assigné dans sa capitale. Ils allèrent s’établir dans tous les centres importants de l’empire chaldéen, et plus tard de l’empire médoperse et des royaumes de Syrie et d’Egypte. Dan., viii, 2 ; Esth., ii, 5-6 ; ix, 2 ; II Mach., vn, "l ; Act., ii, 9-11.

2° État social des Juifs exilés. — Parmi les déportés, les uns furent réduits en esclavage, les autres conservèrent une liberté plus ou moins complète. — 1. Les esclaves. Nabuchodonosor s’assura bon nombre d’esclaves pour l’exécution de ses grands travaux. C’est dans ce but qu’il emmena spécialement de Jérusalem les ouvriers et les hommes jeunes et forts. Les officiers de son armée reçureut aussi des esclaves juifs en partage. On ignore suivant quelles règles se fit la répartition ; mais il y eut là naturellement beaucoup d’arbitraire, et la convenance

des vainqueurs servit de loi dans le traitement inlligé aux vaincus. En général, c’est au moyen des immenses razzias faites dans leurs expéditions guerrières que les Assyriens et les Chaldéens recrutaient les ouvrière et les esclaves dont ils avaient besoin. Les Juifs leur en fournirent une grande quantité. Les documents cunéiformes mentionnent assez souvent des esclaves juifs. Dans les textes juridiques, par exemple, il est question d’un Israélite du nom de Yukub ou Jacob, revendiqué par celui qui le possédait en vertu du droit de guerre ; d’un autre esclave juif appelé Bazuz, c’est-à-dire « enlevé », qui est vendu par une Babylonienne ; d’un Juif nommé Idihi-el, condamné pour avoir tué un esclave, etc. Oppert, Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres,

1887, t. xvi, p. 172, 227, 228. La condition des esclaves était loin d’être aussi dure chez les Chaldéens que dans beaucoup d’autres contrées. « Ce qui nous surprend, écrit M. Oppert, La condition des esclaves à Babylone, Paris,

1888, p. 4, c’est l’extrême liberté dont jouissent ces esclaves, qui, loin d’être une res, comme à Rome, sont des personnes à Babylone, pouvant contracter indépendamment de leurs maîtres, et encore plus pouvant obliger des hommes nés libres. » Ces esclaves étaient traités comme des serviteurs ; on rétribuait leurs services, et Us avaient la faculté de se libérer avec l’argent gagné par leur travail. Le prix de leur libération s’appelait iptiru, et eux-mêmes prenaient le nom significatif de abdu iptiru, « esclaves pouvant se racheter à prix d’argent. » Oppert, loc. cit., p. 5. Les Juifs, naturellement industrieux, surent à merveille profiter des facilités que leur ménageait la coutume chaldéenne, et si les contrats de vente désignent beaucoup d’esclaves dont les noms reflètent une origine palestinienne, on peut être assuré que la grande majorité d’entre eux parvinrent à reconquérir leur liberté, comme plus tard le firent si habilement à Rome les Juifs emmenés en captivité par Pompée. À Babylone, un homme né libre ou de noble origine pouvait être temporairement esclave ; mais, dans certaines circonstances, il reconquérait sa liberté, en fournissant la preuve de sa noblesse. On a retrouvé les pièces d’un curieux procès relatif à un Juif nommé Barachiel. Vendu, puis mis en gage et ensuite racheté, il s’enfuit, mais fut repris. Il chercha alors à recouvrer sa liberté en se prétendant né de condition libre. Le juge lui demanda de prouver son « état de fils d’ancêtre ». Barachiel assura qu’il avait rempli une fonction sacrée dans un mariage babylonien de haute lignée, fonction réservée aux hommes libres. L’assertion fut reconnue inexacte, et Barachiel subit les conséquences de son mensonge. Oppert, loc. cit., p. 6. On voit toutefois par là que les déportés de Juda savaient mettre en jeu tous les moyens pour reconquérir leur liberté. C’était l’usage de changer les noms des captifs d’origine étrangère. Les textes babyloniens le prouvent, et ce qui se passa pour Daniel et ses compagnons, Dan., i, 7, ne fut pas une exception. Oppert, loc. cit., p. 7. — 2. Les hommes libres. Les Juifs auxquels on avait laissé la liberté et ceux qui l’avaient reconquise à prix d’argent vivaient à Babylone à peu près avec les mêmes droits que le reste de la population chaldéenne. L’histoire de Suzanne, qui date d’une époque où Daniel était encore jeune, Dan., xiii, 45, par conséquent des premières années de la captivité, fourni quelques renseignements sur la situation de certaines familles juives de Babylone. Joakim, l’époux de Susanne, est très riche. Il possède un magnifique jardin, avec un bassin dans lequel on peut se baigner. Susanne a tout un personnel à son service. Dan., xiii, 4, 15, 17. La maison de Joakim sert de rendez-vous à ses compatriotes, et c’est là que deux vieillards de race sacerdotale, désignés chaque année, rendent la justice à leurs compatriotes et peuvent même porter des sentences de mort, exécutées sans que l’autorité locale en prenne ombrage. Dan., xiii, 4-6, 41, 02. Les anciens du peuplé continuaient donc à exercer leurs fonctions sur la terre d’exil. Jer., xxix, 1 ; Ezech., XX, 1.