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FRANÇAISES (VERSIONS) DE LA BIBLE


breuses, mais toujours sans les noms des auteurs. Les Rois, les Paralipomènes, Esdras et Néhémie, le second (troisième) livre (apocryphe) d’Esdras, Tobie, Judith et Esther ne sont pas glosés ; Job l’est brièvement. Le Psautier est la version gallicane normande du manuscrit de Montebourg ; les gloses qui l’accompagnent sont l’œuvre, fort médiocre, du nouveau traducteur. Les livres de Salomon sont suivis de ceux des Machabées. La version des Prophètes, qui n’est pas glosée, est bien faite, et l’histoire de Susanne est particulièrement bien traduite. La traduction des Evangiles, qui est accompagnée de très courtes gloses, est excellente de précision et de brièveté. Celle des Épitres de saint Paul, qui est brièvement glosée, est généralement d’autant meilleure qu’elle est plus libre. Elle est de valeur très inégale, et le traducteur n’a pas toujours compris l’original. Dans l’Épître aux Romains, elle est excellente. Les Actes et les Épitres catholiques sont rendus avec lourdeur. Le traducteur ne cherche pas à comprendre, et il emploie l’équivalent plus ou moins exact du mot latin, sans se demander s’il est à sa place et sans le choisir. L’Apocalyse est textuellement empruntée à l’ancienne version normande, que les copistes ont tellement défigurée, qu’elle est absolument inintelligible.

La Bible du xme siècle est donc une œuvre mêlée et inégale. Certaines parties, d’un fort bon style, proviennent d’un homme de talent ; d’autres ont été travaillées par un scribe sans mérite, par un vulgaire latinier, selon l’expression de la version elle-même. D’autre part, on remarque entre certains groupes de livres une sorte de parenté ; les mois y sont traduits de la même façon. Ainsi on trouve un égal mérite dans la traduction des Prophètes et des Évangiles ; les Actes et les Épitres catholiques sont au-dessous du médiocre. Ces remarques sont des indices de la diversité des traducteurs. Plusieurs manuscrits contiennent deux versions de l’Epître à Tite, qui sont copiées bout à bout. On peut en conclure que l’entrepreneur de la traduction, mécontent de son latinier, a fait recommencer la besogne par un meilleur traducteur. Il est probable, en effet, que les traducteurs travaillaient sous une même direction et peut-être dans l’atelier d’un libraire, sur plusieurs manuscrits latins, dont le principal était un exemplaire de la Vulgate éditée au début du xiiie siècle par les libraires de l’Université de Paris. Voir col. 1022. Cette Université n’a pas pris à cette traduction une part officielle ; ses étudiants se sont contentés de recevoir, avant le milieu du xiu" siècle, la version française exécutée, non parles Frères-Prêcheurs, voir col. 1468, mais par des libraires attitrés. Si on veut préciser la date de son exécution, on peut dire qu’elle a été faite après 1226, époque de la revision de la Bible latine sur laquelle elle a été opérée, et peut-être avant 1239, puisqu’il n’y est pas question de la sainte Couronne d’épines, transférée à Paris par saint Louis en cette année. La langue employée y est appelée « le françois » ; c’est en réalité un très beau français, tel sans doute qu’on le parlait à Paris et dans l’Ile-de-France. — Le Nouveau Testament de cette version est le premier texte français de la Bible qui ait été imprimé. Il le fut à Lyon, par Bartholomieu Buyer, sous la direction de deux religieux augustins, Julien Macho et Pierre Farget. Les rares exemplaires connus, qui n’ont pas de titre, sont d’éditions différentes, dont la première est rapportée par les bibliographes à l’année 1477 (fig. 694). Elle est informe, sans gravures et sans ponctuation. Elle est la reproduction servile d’un manuscrit contemporain, dont la famille n’est pas déterminée. L’Apocalypse n’a pas de gloses. Cf. E. Reuss, Fragments littéraires et critiques, dans la Revue de théologie, t. xiv, Strasbourg, 1857, p. 129-141.

III. La Bible historiale. — Elle se présente à nous en deux états différents, telle qu’elle sortit des mains de son auteur et telle qu’elle fut complétée par l’insertion de versions textuelles. — 1° La Bible historiaulx est la traduction libre de YHistoria scolastica de Pierre Comes tor, faite par Guyart Desmoulins, chanoine d’Aire en Artois. L’Hystoire escolâtre du « Mangeur » était un résumé de toute l’histoire biblique avec quelques syncb.ronismes de l’histoire profane. La phrase originale de la Bible y était librement traduite, et elle était souvent surchargée de notes ou d’explications exégétiques qui faisaient de YHistoria scolastica une compilation en elle-même assez indigeste, mais parfaitement appropriée au goût du temps. C’est cette œuvre, introduite dans les écoles, que Guyart entreprit de traduire en français, comme étant plus populaire que la Bible du xme siècle. Il commença son travail au mois de juin 1291, et il l’acheva en février 1294 (ancien style). Le traducteur ne s’était pas proposé de reproduire intégralement les « histoires escolâtres », et s’il a parfois abrégé son modèle, il l’a d’autres fois complété en insérant dans l’histoire la traduction du texte biblique. Il choisit donc, il change et il ajoute. Ainsi entre le quatrième livre des Rois et l’histoire de Tobie, il a placé « les Paraboles Salemon molt abregies et le commenchement et le fin de Job, qui molt est beaus ». L’histoire de Tobie est suivie d’un résumé de Jérémie ; celle d’Esther l’est de diverses histoires dont la première est celle du roi Ochus. Le premier livre des Machabées est une traduction libre de la Vulgate, dans laquelle sont insérées des gloses tirées du Maître en histoires. Le deuxième est suivi d’extraits de récits en partie empruntés à Josèphe et inexactement intitulés « Histoire évangélique ». L’Harmonie évangélique n’est pas la simple traduction de l’œuvre de Comestor ; Guyart a mêlé aux récits de son modèle la reproduction littérale de certains passages des Évangiles. La traduction des Actes est la version du xme siècle mise en dialecte picard. Elle est suivie de morceaux de l’Ancien et du Nouveau Testament pris dans la même version du xm 8 siècle, et dont le langage est mélangé de français et de picard. Guyart écrivait dans le dialecte de sa province, et sa traduction n’est pas sans une certaine saveur originale et personnelle.

Cette traduction se trouve dans les manuscrits avec ou sans préfaces, parce qu’elle a eu deux éditions. La première, qui n’a pas les préfaces, date de 1295. On pense la reconnaître dans le manuscrit 532 de la bibliothèque Mazarine. Bien que l’écriture paraisse de la seconde moitié seulement du xive siècle, c’est le seul bon manuscrit picard de la Bible historiale. Le manuscrit fr. 152 et la Bible d’Iéna, qui contiennent des morceaux français et picards, ne sont peut-être que des débris altérés de cette première édition sans préfaces. La seconde édition avec préfaces est de 1297. Elle est représentée par trois manuscrits. Le manuscrit fr. 155, tout entier en langue française, contient cette seconde édition, refaite en français, mais conservée dans sa forme primitive. La Bible 19 D m du British Muséum est, au point de vue du texte, la perle des manuscrits de Guyart ; elle est datée de 1411, et il n’y manque que quelques appendices insignifiants. La Bible d’Edouard IV (15 D i et 18 D ix et x au British Muséum) a été faite à Bruges, en 1470 ; mais, quoique récente, elle contient un texte ancien, l’œuvre de Guyart sans aucune addition. La valeur de ces trois manuscrits est considérable, parce qu’ils sont le type d’une famille innombrable, qui comprend toutes les Bibles historiales complétées.

2° La Bible historiale complétée est l’édition de l’œuvre de Guyart, augmentée de la traduction textuelle d’une partie de la Bible. Guyart avait déjà introduit à propos, dans Y Histoire escolâtre, le texte de quelques livres bibliques. Ce mélange ne fut pas jugé suffisant, et il fut diversement retouché et complété dès l’origine. Chaque lecteur voulait, semble-t-il, une part plus grande de version littérale, et nous ne possédons pas un seul manuscrit qui ne contienne quelque addition à l’ouvrage primitif. Sans parler ici des essais partiels de développement de la Bible historiale, le premier complément