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FRANÇAISES (VERSIONS) DE LA BIBLE


manuscrits n’ont pas été copiés l’un sur l’autre. Leur original commun était un Psautier triple, dont on avait glosé en français le Psalterium hebraicum. Des comparaisons critiques ont permis à M. Samuel Berger, La Bible française au moyen âge, in-8°, Paris, 1884, p. 5-7, de déterminer la famille de ce texte latin. Il ressemble à celui qu’a édité Martianay, Opéra S. Hieronymi, Prolegomena, Patr. lai., t. xxviii, col. 90-102, et il contient des scolies provenant d’un chrétien instruit dans la langue hébraïque et contemporain de Raban Maur, ibid., col. 1197-1128, et introduites dans trois manuscrits de la recension de Théodulfe. On peut penser que cet original latin est le produit d’une correction du Psautier faite en Normandie, peut-être dans l’école de Lanfranc. Le texte français a été édité par F. Michel, Le livre des Psaumes, ancienne traduction française publiée d’après les manuscrits de Cambridge et de Paris, dans les Documents inédits sur l’histoire de France, in-4°, Paris, 1876. Voici comme spécimen le verset 1 er du Psaume I er : « Beoneuret li heom ki ne alat et cunseil de feluns, e en la veie des pécheurs ne stoute en la chære des escharniseurs ne sist. »

La seconde version française des Psaumes a été faite vers le même temps sur le Psalterium gallicanum de saint Jérôme. Les manuscrits qui la contiennent (Psautier de Corbie, B. N. fonds latin, n° 768, du commencement du xme siècle ; Psautier de Munich, bibliothèque royale, n° 16, du xive siècle ; mss. de la bibliothèque Cottonienne, Nero, C. IV, de la fin du XIIe ou du commencement du xme siècle, qui provient peut-être de l’abbaye de Shaftesbury ; fragment de la même bibliothèque, Vitellius, E. IX, de la même époque que le précédent ; Psautier Arundel 230, au British Muséum, du XIIe siècle ; mss. Harléien 1770, du xive siècle, et Harléien 5102 ; Bible, B. N. fonds français, n° 5 ; Psautier du duc de Berry, B. N., fr. 13091 ; petit mss. fr. 2431 ; Psautier de Ludlow, Harl. 273 ; Psautier glosé de la Mazarine, et celui qu’accompagne la glose de Pierre Lombard, fr. 22892 ; ms. latin 1670 des nouvelles acquisitions de la Bibliothèque Nationale) se groupent autour du Psautier de Montebourg, conservé à Oxford, dans la bibliothèque Bodléienne, fonds Douce, n° 320, et écrit au plus tard aux environs de l’an 1200. Il a été publié avec les variantes de quelques autres par F. Michel, Libri Psalmorum versio antiqua gallicae cod. ms. in bïbl. Bodleiana asservato, etc., in-8°, Oxford, 1860. Citons encore comme exemple le verset 1°’du Ps. I er : « Beneurez li huem chi ne alat et conseil des feluns, et en la veie des peccheurs ne stout, et en la chære de pest-ilence ne sist. » Cf.J. H. Meister, Die Flexion imOxforder Psalter, in-8°, Halle, 1877 ; L. Delisle, Notice sur un Psautier latinfrançais du xii’siècle, dans les Notices et extraits des manuscrits, t. xxxiv, l re partie, 1891, p. 259-272.

En comparant ces deux traductions françaises du Psautier, M. S. Berger, op. cit., p. 30-34, a conclu que la langue est la même, qu’il n’y a aucune différence de vocabulaire ni de grammaire, et que les exceptions à cette identité de langage sont insignifiantes et ne portent que sur la prononciation et l’orthographe. La langue commune aux deux versions est le dialecte normand, plus récent que celui du Saint-Alexis et à peu près contemporain de la Chanson de Roland. Cette ressemblance de langage fait présumer à M. Berger que ces deux versions sont l’œuvre du même traducteur. Il est probable aussi que l’unique traducteur travaillait sur un Psautier latin à triple colonne, qui contenait les trois Psautiers hébraïque, gallican et romain de saint Jérôme. Enfin ce devait être un disciple de Lanfranc, qui vivait dans une abbaye, non pas de Normandie, mais de la Grande-Bretagne, et sans doute non loin de Cantorbéry. Une partie de son œuvre, la traduction du Psautier gallican, a eu une influence considérable ; elle est devenue le Psautier français de tout le moyen âge. Elle fut si populaire, que

jusqu’au xvie siècle on ne fit pas de nouvelle version des Psaumes. Les manuscrits glosés, dont nous parlerons plus loin, et le Psautier lorrain lui-même, ne sont que des remaniements de l’ancienne version de l’an 1100.

Tous les Psautiers qui ont été précédemment énumérés contiennent aussi la traduction des cantiques qui font partie des offices de l’Église et qui sont pour la plupart tirés de l’Écriture, à savoir les cantiques d’Isaïe, xii ; d’Ézéchias, Is., xxxviii, 10-20 ; d’Anne, I Reg., n ; de Moïse, Exod., xv ; d’Habacuc, iii, 2-19 ; de Moïse, Deut., xxxii, 1-43 ; des trois jeunes gens, Dan., iii, 57-90 ; de Zacharie, Luc, i, 68-79 ; de Marie, Luc, i, 46-55 ; de Siméon, Luc, n, 29-32, et l’oraison dominicale. Matth., vi, 9-13. La traduction des six premiers cantiques est identique dans les deux séries de manuscrits, sauf pour Isaïe, xii, dont les textes varient en français aussi bien qu’en latin ; elle est faite sur la traduction latine de saint Jérôme. Pour les autres cantiques, dont le texte n’existe pas en hébreu, la traduction est la même dans les manuscrits d’Eadwin et de Corbie ; le Psautier Cottonien en diffère à tous égards et contient la version d’un mauvais texte latin. Quant au Notre Père, il est traduit selon la formule traditionnelle, qui ne correspond exactement ni au texte de saint Matthieu ni au texte de saint Luc. Cette version normande du xip siècle était reproduite en Angleterre au xme siècle et en France au xive. Les variétés qu’on y remarque sont le fait de la transmission orale de l’oraison dominicale. Cf. G. Peignot, Quelques recherches sur d’anciennes traductions françaises de l’oraison dominicale, in-8°, Dijon, 1839, p. 22-31.

2° L’Apocalypse. — Cinquante ans après le Psautier, dans la seconde moitié du xiie siècle, l’Apocalypse fut traduite à son tour dans les États normands et dans le dialecte qu’on y parlait. On la trouve dans un groupe de manuscrits ornés avec soin qui forment famille pour la décoration aussi bien que pour le texte. L’original normand est reproduit dans le manuscrit de la Bibliothèque nationale fr. 403, du commencement du xme siècle qui a appartenu à Charles V, roi de France ; il a été publié par P.Mayer en 1900. Cette version a joui au moyen âge d’une grande faveur ; elle est reproduite dans quatre-vingts manuscrits et en différents dialectes, en français et en anglonormand. Malgré ses imperfections, elle a été imprimée bien des fois aux xv « et xvi 8 siècles, soit à la fin de la Bible historiale, dont il sera question plus loin, soit à part, in-4°, Paris, chez Michel Lenoir, 1502. Deux versions de l’Apocalypse un peu divergentes, celle qui est contenue dans un manuscrit de 1313, fr. 13096, et celle du manuscrit fr. 1036, du XIIIe siècle, se ramènent facilement à la source normande. La première reproduit à peu près exactement le texte original, et la seconde n’est qu’une paraphrase du même texte faite dans le dialecte de l’Ile-de-France. Un autre texte de l’Apocalypse qui est transcrit dans deux manuscrits, l’un à Cambridge, Trinity Collège, en dialecte anglo-normand assez corrompu, et l’autre à la Bibliothèque Nationale, fr. 1768, en dialecte wallon, présente, il est vrai, des divergences évidentes, mais une parenté plus évidente encore avec la version normande, de laquelle dérivent donc toutes les traductions françaises de l’Apocalypse.

3° Les livres des Rois. — Au même temps que paraissait 1° version normande de l’Apocalypse, un homme de goût composait, dans l’Ile-de-France ou la Normandie, une traduction poétique des quatre livres des Rois, qui est un des plus beaux monuments de notre ancienne langue. On n’en a connu d’abord que deux manuscrits. Le plus important, dit des Cordeliers, est à la bibliothèque Mazarine, n° 70, et date du milieu du xiie siècle. Le texte a été publié par Leroux de Lincy, Les quatre livres des Roi* traduits en français du xii’siècle, dans la Collection des documents inédits sur l’histoire de France, in-4°, Paris, 1841, p. 1-438. L’autre manuscrit est à la bibliothèque de l’Arsenal, n’5211, à Paris ; il est du milieu