Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/113

Cette page n’a pas encore été corrigée
207
203
CAPHARNAUM


a dans la construction de l’aqueduc de Tabagha cela de particulier, que, comme à celui qui descend des Vasques de Salomon à Jérusalem, la pente est insensible. Grâce à ce ménagement très habile du niveau, l’eau de Tabagah contournait et arrosait toute la. partie nord-ouest de la plaine, et l’expression StâpSsToa se trouve ainsi absolument fondée. La joie de D. Zéphyrin, l’aumônier qui garde la fondation récente du comité catholique autrichien à Tabagha, fut non moins vive que la nôtre devant cette constatation négligée jusqu’à ce jour. Restait une objection. Des deux grandes sources qui jaillissent à Tabagha, une seule est réellement apte à féconder les terres, ce n’est pas celle de la tour octogonale dite d’Ali-el-Daher, car elle est sulfureuse et alcaline, et on l’emploie uniquement à faire mouvoir des moulins ; mais bien celle de Tannour-el-Hasel, qui est un peu au nord-est et plus élevée dans les terres. La plupart des explorateurs de ce site ont cru que la première seule pouvait alimenter le canal se déversant dans la plaine de Génésareth, et dès lors ils rejetaient à priori la pensée qu’on eût jamais essayé de conduire au loin des eaux si peu favorables à la culture. Or ils se trompaient sur la source déviée dans l’antique aqueduc. De celle d’Ali-el-Daher jamais on ne s’est préoccupé, mais bien de celle de Tannourel-Hasel, qui, s’élevant dans sa tour jusqu’à sept mètres de haut, en un point qui domine toute la petite baie, allait contourner les collines de l’est à l’ouest, franchissait sur des piles dont les arasements subsistent encore deux lits de torrent, et atteignait enfin au bout du circuit le passage creusé dans le roc dont nous avons parlé tout à l’heure, pour déboucher dans la vallée de Génésareth.

Ce point important étant pour nous définitivement établi, nous sommes amené à conclure que la ville de Capbarnaùm, à laquelle la fontaine devrait son nom, fut soit à la source de Tabagha, soit à Miniyéh, où elle débouchait dans la plaine de Génésareth, sur l’un des deux versants, nord ou sud, du petit promontoire d’El-Arimah, à moins d’admettre, ce qui peut paraître très vraisemblable, que Capharnaûm fut sur le promontoire lui-même. La petite hauteur, en effet, a été jadis disposée en étages successifs, où, au milieu de débris de poterie, on voit la trace d’escaliers et de maisons. Les fouilles faites pour construire l’établissement du comité catholique autrichien viennent de prouver qu’il y avait eu sur le versant nord des constructions très anciennes. D’autre part, le petit port ensablé dont on voit encore le circuit près d’Ain et-Tin indique nettement qu’il y eut là un centre ou petit entrepôt de commerce. En plaçant Capharnaûm sur ce point, on comprend qu’il fût occupé par un détachement de soldats romains, car il commandait au nord la plaine de Génésareth, comme Magdala la fermait au sud. C’était aussi un excellent poste de douane, surveillant tout à la fois la voie romaine et le chemin de transit longeant le lac ; car à ce point il n’est plus possible de suivre la grève, la colline rocheuse s’avance abrupte dans les eaux, et il faut nécessairement la gravir pour franchir ce passage. Le petit port, qu’abritait le pro. inontoire, et la grande route des caravanes venant de Damas faisaient de Miniyéh un site privilégié et de première importance. C’est peut-être sur cette route des caravanes, où Sylla avait échelonné des troupes pour isoler Cana, que Josèphe tomba de cheval ; car il n’est nullement dit que l’accident lui soit arrivé aux portes de Julias, et il y a des endroits marécageux, après les pluies, ailleurs que sur les bords du Jourdain. En tout cas, Capharnaûm dut être le point où l’on aboutissait le plus aisément par une bonne route, ce qui était important pour un blessé, et la place défendue où l’on pouvait stationner sans redouter un coup de main de l’ennemi, ce qui ne paraît pas avoir été la moindre préoccupation du général, car, dès la nuit suivante, il voulut être transporté : à Tarichée.’Le nom de Capharnaûm s’est perdu, comme presque.

tous les autres, sur ces bords du lac où la désolation la plus complète règne depuis tant de siècles ; cependant on a cru, non sans quelque vraisemblance, y retrouver une allusion dans le mot Miniyéh, dénomination haineuse que les Juifs lui auraient substituée. Communément on dit que Miniyéh, diminutif de Minah, signifie « petit port » -Mais, dans sa racine hébraïque et araméenne, il signifie « la chance », et dans le Talmud sont appelés Minai les sorciers, les jeteurs de sort. Cette injurieuse épithète se trouve, dès les temps les plus reculés, appliquée aux Juifs devenus chrétiens, et il est curieux de voir dansla littérature rabbinique les pécheurs, Huta, appeléstantôt « fils de Capharnaûm », tantôt « Minaï ». Voir Buxtorf, Lexicon rabbin., in-f°, Bàle, 16W, col. 1200. Cf. Midrasch Koheleth, fol. 85, 2. L’expression était même passée dans le langage usuel, et quand, en 1334, Isaac Chelo va de Tibériade à Kcfr-Anam, il laisse à sa droite, en entrant dans l’ouadi el-Amoud, les ruines de-Capharnaûm à deux kilomètres environ, en observant que là habitèrent jadis les Minaï, sans doute parce quelà Jésus avait fait ses premiers prosélytes. Voir Carmoly, Itinéraires, p. 259 et 260.

On pourra contester l’importance de la tradition juivesur ce point, mais l’unanimité avec laquelle elle place-Capharnaûm à Miniyéh n’en est pas moins frappante. Quant à la tradition chrétienne, tout en paraissant au premier coup d’œil peu précise, elle finit, dans son immense majorité, par conclure dans le même sens. Ainsi, à commencer par saint Jérôme, l’indication qu’il donne en mettant Corozaïn au second milliaire après Capharnaûm (sans compter qu’elle peut être inexacte, car pour corriger l’erreur d’Eusèbe, qui avait dit au douzième, il a supprimé rondement la dizaine) s’accommode mieux du site de Miniyéh que de celui de Tell-Houm ; car de Miniyéh au point où il fallait quitter la voie romaine pour descendre aux ruines actuelles de Khorazéh, il n’y a guère plus de deux milles. De Tell-Houm aucune voie romaine n’allait sur Khorazéh, et si la distance est un peu moins grande que de Miniyéh, les communications étaient plus difficiles, et en tout cas impossibles à déterminer par des bornes milliaires. Dans le livre de Théodose, De silu Terres Sanctse, an 530, il est dit qu’il y a de Tibériade à Magdala deux milles, de Magdala aux Sept-Fontaines (probablement la fontaine Ronde) deux milles (dans le De Terra Sancta il dit cinq, peut-être parce qu’il visele lieu de la multiplication des pains), des SeptFontaines à Capharnaûm deux milles, de Capharnaûm i Bethsaïde six. Voir Itinera, édit. Tobler, t. i, p. 72 et 83.

Quoi qu’il en soit de la distance entre les SeptFontaines et Capharnaûm, au moins celle de Capharnaûm à Bethsaïde est acquise. Or très certainement il n’y a pas huit kilomètres de Tell-Houm au Jourdain où fut Bethsaïde. Antonin le Martyr ne précise rien ; mais dans le voyage d’Arculfe, édit. Tobler, p. 183, il est dit qu’on va de Tibériade, en laissant à gauche le chemin qui mène au lieude la multiplication des pains (probablement de l’endroit mentionné dans Théodose), à Capharnaûm, et qu’à partir de ce chemin de bifurcation on y arrive bientôt tout en suivant la plage. Arculfe n’y arrive pas, mais il voit de sur la montagne la petite ville, allant de l’ouest à l’est et resserrée entre une colline au nord et le lac au sud. Son récit est vague, comme celui d’un homme qui a vu de loin. UHodœporicon de saint Willibald, Itinera, édit. Tobler, t. ii, p. 261, constate qu’en partant de Tibériade et en longeant le lac, on arrive d’abord à Magdala, ensuite à Capharnaûm, de là à Bethsaïde où l’on couche, pour se rendre le lendemain à Chorozaïn. Ceci devient catégorique en faveur de Miniyéh. Le dominicain Brocard, dans le récit du voyage qu’il fit, en 1282, met seulement une lieue entre le mont des Béatitudes et Capharnaûm, qu’il trouve misérable, réduit à sept maisons de pauvres pêcheurs. Voir Locorum Terrx Sanctse Descriptio, c. iv, Il et 12, dans Ugolini, Thésaurus, t. vi, col. mxxxiv. Ces