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EVANGILES


de Jésus. Toutefois la tradition orale devait avoir une certaine variété. Chaque prédicateur racontait l’histoire du Maître avec plus ou moins de détails ; celui-ci n’omettait aucun fait particulier ; celui-là exposait les événements les plus importants à sa manière, insistant sur les circonstances qui convenaient le mieux à son but et à l’intérêt de ses auditeurs ; tous joignaient à l’enseignement des actes et des discours de Jésus leurs réflexions personnelles. L’enseignement apostolique n’était donc pas, comme l’avait dit Gieseler, la reproduction uniforme d’une catéchèse orale, fixée par les Apôtres et rendue par eux obligatoire comme la formule de la tradition orale. Il était vivant et varié comme toute parole humaine. Oti comprend dès lors comment chaque évangéliste a reproduit les variations diverses d’un thème commun. Mais pour expliquer les omissions, la diversité de l’ordre des récits et les ressemblances de forme et de diction, de "Wette jugeait que la tradition orale seule n’était pas suffisante ; il y joignait soit la dépendance mutuelle et l’emploi réciproque des écrits évangéliques, soit le recours à des sources écrites communes. — Cette explication a été adoptée dans son ensemble par des critiques et des exégètes d’opinions bien différentes, qui ne lui ont fait subir que des modifications peu importantes. On a insisté cependant sur cette considération que les Apôtres s’accommodaient dans leurs prédications catéchétiques aux milieux très différents où ils les faisaient entendre, choisissant de préférence certains faits de la vie de Jésus et variant la manière de les exposer, selon les besoins et les dispositions de leurs auditeurs. On en a conclu que l’Évangile de saint Matthieu était la reproduction de l’enseignement apostolique tel qu’il était adressé aux chrétiens issus du judaïsme, particulièrement à Jérusalem et en Palestine ; que celui de saint Marc représentait la catéchèse de saint Pierre à Rome, et que celui de saint Luc était le reflet de la prédication de saint Paul aux païens convertis. Cette hypothèse a été et est encore aujourd’hui en faveur parmi les catholiques. Elle est acceptée par Sl3 r Haneberg, Histoire de la révélation biblique, trad. franc., Paris, ’1856, t. ii, p. 311-314 ; Friedlieb, dans YŒsterr. Vierleljahrsclirit fur kathol. Théologie, 1864, p. 68 ; Schegg, Evangelium nach Markus, Munich, 1870, t. i, p. 12-15 ; Bisping, Exeget. Handbuch, 2e édit, 1864, t. i, p. 15 ; Kaulen, Einleitung in die heilkje Schrift, 2e édit., Fribourg - en-Brisgau, 1887, p. 381-382 ; Cornely, Introductio in utriusque Teslamenti libros sacras, t. iii, Paris, 1886, p. 184-189 ; M’J r Meignan, Les Évangiles et la critique, 2e édit., Paris, 1870, p. 406-414 ; Le Cainus, La Vie de NotreSeigneur Jésus-Christ, 2e édit., Paris, 1887, t. i, p. 39-42 ; Fouard, Saint Pierre et les premières années du christianisme, Paris, 1886, p. 275-289 ; Saint Paul, ses dernières années, Paris, 1897, p. 123-125 ; Fillion, Introduction générale aux Évangiles, Paris, 1889, p. 45-46 et 51-53. Les protestants l’ont aussi adoptée : de Pressensé, Jésus-Christ, son temps, sa vie, son œuvre, 2e édit., Paris, 1866, p. 182-194 ; Godet, Commentaire sur l’Évangile de saint Luc, 3e édit., t. i, p. 36 ; Wetzel, Die synoplisclten Evangelien, Heilbronn, 1883 ; Westcott, Introduction to tlie Studg of the Gospels, 7e édit., Londres, 1888 ; Thomson, à l’art. Gospels du Dictionary of the Bible de Smith, 2e édit., Londres, 1893, t. i, p. 1214-1217. Néanmoins la tradition orale ne paraît pas aux partisans des autres hypothèses suffire à l’explication de l’étroite parenté littéraire des Synoptiques, et la plupart des critiques modernes ont recours à la supposition de sources écrites, qui ont précédé nos Evangiles actuels et ont fourni à leurs auteurs des matériaux communs et divers.

3° Hypothèse des sources écrites. — Cette hypothèse, imaginée à la fin du siècle dernier, a passé par des phases bien diverses. Sous ses différentes formes, elle a gardé ce principe général, que les ressemblances et les divergences

des Synoptiques proviennent de l’emploi par leurs auteurs de documents écrits, communs ou particuliers. Les variations du système ont porté sur le nombre, l’étendue, la nature et la qualité des sources consultées et mises à profit. Leclerc, Hist. eccl., Amsterdam, 1716, p. 429, avait émis l’idée que les trois premiers Évangiles avaient été composés d’après des écrits antérieurs. Quand on la reprit, on préféra à l’hypothèse des sources multiples et diverses celle d’un document unique, qui fut pour plusieurs l’Évangile des Hébreux, Lessing, Neue Hypothèse i’tber die Evangelisten, 1778 ; Niemeyer, Conjecture ad illustrandum plurimorum N. T. scriptorum silentium de primordiis vitse Jesu Chris ti, 1790 ; Weber, Beitràge sur Geschichte des neutest. Kanons, 1791, p. 21 ; pour d’autres, ce fut l’Évangile hébreu de saint Matthieu, Schmidt, Entwurf einer bestimmten Unterscheidung verschiedener verloren gegangener Evangelien. Mais après Semler, Anmerkungen zur Thomson’s Abhandlungen iiber die vier Evangelien, ’1783, t. ii, p. 146, 221 et 290, Eichhorn, Allgemeine Bibliolek des biblisclien Literatur, t. v, 1794, p. 759, supposa l’existence d’un Evangile primitif, Vrevangelium, qui fut composé de bonne heure en langue araméenne ou syro-chaldaïque, par un auteur inconnu, et qui circula aussitôt parmi les chrétiens. Il fut retouche, et on en fit diverses recensions en araméen, qui le remplacèrent bientôt et le firent disparaître de la circulation. Il y en eut quatre principales, qu’Eichhorn désigne par les lettres A, B, C, D. C’est sur elles que furent traduits en grec ou mieux refondus nos trois premiers Évangiles actuels. L’Évangile de saint Matthieu est la traduction de la recension A, retouchée à l’aide de la recenyion D. Celui de saint Luc reproduit B, modifié par D. Enfin celui de saint Marc est fait sur la recension C, qui est elle-même une combinaison de À et de B. On se rend dès lors facilement compte des ressemblances et des différences de fond et de forme des Synoptiques. Tous les récits qui leur sont communs se trouvaient dans l’Évangile primitif, et avec quelques légères modifications dans les quatre revisions qui en avaient été faites. Ceux qui appartiennent à deux Évangiles seulement proviennent d’une recension spéciale, qui ne fut connue que de leurs auteurs. Les passages propres sont tirés de la recension que chaque auteur eut seul à sa disposition, ou d’autres sources encore. — On objecta avec raison à cette explication qu’un original araméen ne pouvait expliquer la ressemblance textuelle du grec dans les trois Évangiles, notamment dans les citations de la version des Septante ; on remarqua aussi que les Synoptiques ne présentent en aucune manière le caractère de traductions. Ces défauts de l’hypothèse d’Eichhorn furent corrigés par Marsh, évêque anglican, Translation of Michælis Introduction to N. T., t. iii, p. 2, dans une addition traduite en allemand par Rosenmûller, Einleitung in die gôtllichen Schriften des Keues Eundes, Gœttingue, 1803, t. ii, p. 284. Marsh supposa que l’Évangile primitif avait été traduit en grec avant qu’il n’eût été lui-même retouché en araméen, et que saint Marc et saint Luc s’étaient servis de cette traduction grecque. Il supposa aussi que le traducteur grec de l’Evangile de saint Matthieu consulta l’Évangile de saint Marc et en partie celui de saint Luc. Il établit avec ces éléments nouveaux la généalogie suivante des textes : 1. l’Évangile primitif araméen, n ; 2. sa traduction grecque, Ng ; 3. une copie de x, altérée et contenant des additions, N + s + À ; 4. une autre copie de ii, avec d’autres altérations et de nouvelles additions, N + 3 + B ; 5. une troisième copie contenant les additions des deux précédentes, .s -(- ; + T ; 6. une collection de discours, paraboles et paroles de Jésus, compilée sans ordre chronologique,

; . Les Évangiles canoniques ont été la résultante

de différentes combinaisons de ces éléments divers : l’Évangile araméen de saint Matthieu a été formé de N + 3 + a + À + Y + r ; l’Évangile de saint Marc pro-