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ÉVANGILES


matériaux historiques qui se rencontrent dans les deux | autres Évangiles. Il est plus vraisemblable de penser que c’est l’Évangile le plus court qui a été augmenté et complété, que de supposer qu’il est lui-même un résumé des deux plus longs. Du reste, on a découvert soit dans l’ordre des événements, soit dans le style lui-même du second Évangile, des indices de priorité. Si on le prend comme centre de comparaison, on constate que tantôt saint Matthieu le suit de plus près que saint Luc, tantôt, au contraire, saint Luc en est bien plus rapproché que saint Matthieu. De même, souvent l’expression est bien plus originale sous la plume de saint Marc que sous celles de saint Matthieu et de saint Luc. C’est l’opinion de Storr, développée par Lachmann, De ordine narrationum in Evangeliis synopticis, dans Sludien und Kritiken, 1835, p. 577 ; Weisse, Die Evangelienfrage in ihrem gegenicârtigen Stadium, Leipzig, 1856 ; Plitt, De compositions Evangeliorum synopticorum, Bonn, 1860. Wilke, Der Urevangelist, Dresde, 1838, place saint Luc immédiatement après saint Marc et avant saint Matthieu. La comparaison établie entre les Synoptiques rend très probable l’existence d’un rapport direct et immédiat entre saint Matthieu et saint Marc et entre saint Luc et saint Marc, et par le fait même celle d’un rapport indirect entre saint Matthieu et saint Luc. Mais à supposer qu’il n’y ait pas d’autre explication que la dépendance mutuelle des narrations, la relation adoptée, à savoir, Marc -Matthieu, ou Marc-Luc, est en opposition avec l’ordre chronologique traditionnel de l’apparition des Évangiles. De plus, elle n’est pas suffisamment déterminée par l’examen des caractères internes. On manque de critères certains pour fixer l’ordre des rapports mutuels des Synoptiques. De soi, le plus court de deux écrits qui dépendent l’un de l’autre n’est pas nécessairement antérieur au plus long ; car, si celui-ci peut être une amplification du premier, le plus court peut aussi être un résumé du plus long et par conséquent lui être postérieur. Saint Marc est considéré comme la source de saint Matthieu, parce qu’il est le plus court et parce qu’il est vraisemblable qu’ayant sous les yeux l’Évangile de saint Matthieu, il l’aurait résumé plus complètement. S’il en est ainsi, comment expliquer que saint Matthieu, qui, dans l’hypothèse, s’est servi de saint Marc, ait omis tant de passages du second Évangile ? Comment rendre compte des omissions semblables de la part dé saint Luc ? Les rapports inverses entre les Synoptiques seraient à la rigueur possibles, et, de fait, des critiques intelligents, se fondant sur l’examen interne des textes, les admettent. Cette divergence de conclusions prouve à tout le moins que les arguments présentés en faveur de la dépendance mutuelle des Évangiles et surtout de l’ordre de cette dépendance, ne sont pas par eux-mêmes assez rigoureux pour entraîner l’assentiment. Il semble en résulter en définitive que l’hypothèse de la dépendance mutuelle, sous aucune de ses formes, ne résout suffisamment le problème synoptique. Cf. Schanz, Die Markus-Hypothese, dans la Theologische Quartalschrift de Tubingue, 1871, p. 489 ; Semeria, La question synoptique, dans la Revue biblique, Paris, 1892, p. 548557.

2° Hypothèse de la tradition orale. — Pour expliquer les rapports d’harmonie et de divergence des Évangiles synoptiques, on a supposé l’existence d’une tradition orale, qui se serait formée de très bonne heure sur l’histoire de JésusChrist, mais qui ne fut pas absolument la même partout et qui présentât des variantes plus ou moins accentuées. Les trois premiers évangélistes mirent par écrit cette tradition orale, telle qu’elle s’était transmise dans les lieux où ils écrivaient. Il en résulta que leurs récits eurent un fond identique d’actes et de paroles de Jésus, et en même temps des diversités dans l’étendue et la diction, conformément aux développements pris en sens divergents par la tradition orale primitive. —

Déjà Eckermann, Theolog. Beitràge, 1796, t. v, p. 155 et 205 ; Erklârung aller dunklen ijtelten des X. T., 1806, t. i, prcef., p. xi et xii, et Kaiser, Biblische Théologie, 1813, t. i, p. 224, avaient essayé de ramener les analogies des Synoptiques à la tradition orale, répandue dans toutes les communautés chrétiennes sous des termes identiques. MaisJ. C. L. Gieseler, Historisch-kritischer Versuch itber die Entstehung und die frûhesten iSchicksale der scriftlichen Evangelien, in-8°, Leipzig, 1818, donna à cette hypothèse des développements considérables et intéressants. Si les auteurs des Synoptiques ont puisé leurs renseignements sur Jésus dans la tradition orale, s’ils n’ont, eu d’autre but que de transcrire ce qui se racontait généralement, dans le milieu où ils vivaient, de la vie et de l’enseignement du Seigneur, ils ont dû dans bien des points rapporter les mêmes faits et les mêmes discours dans un ordre à peu près identique, la tradition s’étant à l’origine fait un thème, sinon absolument invariable, du moins arrêté dans son ensemble et ses parties les plus essentielles. Quant aux différences des Synoptiques, on peut croire ou bien que chacun de leurs auteurs ne prit dans la tradition que ce qui convenait le mieux au temps, au lieu, au but particulier qu’il avait en vue, ou bien que la tradition n’était pas répandue partout avec la même abondance et ne fournissait ni tous les mêmes faits ni les mêmes traits de détail. Les ressemblances de style s’expliquent par ce fait que dans la bouche des Apôtres, hommes simples et sans culture, les enseignements et les actions du Maître ont pris une forme identique, commune et en quelque sorte stéréotypée. Ils s’étaient entretenus souvent des faits dont ils avaient été les témoins ; ils aimaient à répéter les paroles qu’ils avaient entendues. Cette répétition de souvenirs communs donna à leurs récits une forme semblable. Les docteurs d’Israël avaient coutume de graver dans leur mémoire les paroles de leurs maîtres et de les transmettre ensuite à leurs propres élèves telles qu’ils les avaient reçues. Ainsi procédèrent les Apôtres. Ils propagèrent tous dans les contrées qu’ils évangélisèrent le thème identique de leurs souvenirs communs. Il se forma de la sorte comme un cycle de récits sur la vie de Jésus, transmis de bouche en bouche, dans un langage en quelque sorte consacré. Quand on voulut les fixer par écrit, on rédigea les Évangiles actuels, qui reproduisent l’Évangile oral primitif. — Cette explication parut simple et naturelle, et on l’accueillit dans toute l’Allemagne avec une faveur extraordinaire ; elle eut donc de nombreux partisans. Mais, quand on l’étudia avec plus de calme, on ne put s’empêcher de remarquer qu’elle ne rend pas compte de tous les éléments du problème synoptique. Si elle explique assez bien les ressemblances de fond, elle ne justifie pas la disposition de certaines parties des Évangiles, la séparation dans un récit des discours qui sont réunis dans un autre et qui sont rapportés à des occasions différentes ; elle n’explique pas suffisamment les différences ni mêmeles ressemblances lexicographiques et grammaticales. Cf. Michel Nicolas, Études critiques sur la Bible, Nouveau Testament, Paris, 1864, p. 70-82. On dut y apporter des perfectionnements.

En 1826, de Wette, Lehrbuch der historisch-kritischen Einleitung in die kanonischen Bûcher des Neuen Testaments, 4e édit., Berlin, 1842, p. 139-166, fit observer que l’enseignement de Jésus-Christ se transmettait oralement comme une parole vivante. En Palestine et en Syrie, il se donnait en langue araméenne ; dans le monde grécoromain, il se distribuait dans le langage populaire des Juifs de la dispersion, dans le grec hellénistique. Celte diversité de langue n’empêchait pas l’identité générale du fond. Les ressemblances de l’Évangile de saint Jean avec les Synoptiques et les récits évangéliques, reproduits dans les Actes des Apôtres et les Épîtres de saint Paul, prouvent clairement la communauté de fond et d’expression dans les narrations traditionnelles de la vie