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ÉTHIOPIENNE (VERSION) DE LA BIBLE


Éthiopiens et cent autres peuples ont traduit dans leur langue propre les dogmes » contenus dans l’Évangile de saint Jean. In Joa. homil. xxii, t. lix, col. 32. Mais qui prouvera jamais que par ce mot d’  « Éthiopiens », toujours si vague chez les anciens, Chrysostome entendait parler de nos Abyssins ? Le premier argument sérieux qu’apportent les auteurs est le suivant. Il est certain qu’à la fin du ve siècle l’Église d’Abyssinie était fondée et que déjà elle était grande et prospère. Or une Église ne peut rester longtemps sans une traduction des Écritures. Il la faut à l’apôtre qui doit narrer au peuple l’histoire de la révélation et particulièrement l’histoire de Jésus-Christ et de ses premiers disciples. Il la faut encore pour le service de la prière et surtout pour les offices liturgiques, qui ne tardaient jamais alors à se faire dans la langue familière au peuple que l’on évangélisait. Nul doute par conséquent qu’il ait existé, à la fin du ve siècle, une version ghe’ez en Abyssinie. — Un second argument est tiré du témoignage des écrivains d’Ethiopie. Nous avons entendu plus haut abba Georges nous dire que l’Ancien Testament avait été traduit de l’hébreu en ghe’ez dès le temps de la reine de Saba. Évidemment ni la Bible ghe’ez n’a pour source immédiate l’hébreu, ni surtout elle n’a pu se faire à l’époque de Salomon. Mais quand il dit que le Nouveau Testament a été traduit par les neuf saints de Rome, si célèbres en Ethiopie, nous avons tout lieu de croire qu’il y a là une tradition fort respectable et que réellement les neuf saints ont concouru au travail de traduction des Écritures, et sans doute aussi bien de l’Ancien que du Nouveau Testament. Ces moines illustres étaient certainement qualifiés pour traduire du grec tous nos Livres Saints. Or à quelle époque vivaient les neuf saints de Rome ? Précisément à la lin du Ve siècle, c’est-à-dire juste à cette époque où l’on convient que la version ghe’ez était indispensable au bon fonctionnement de l’Église éthiopienne.

Ainsi raisonnent la grande majorité des critiques et des exégètes : Ludolf, Hist. seth., Francfort, 1681, 1. iii, c. iv ; Comment, ad hist., Francfort, 1691, ad lib. iii, cap. iv, ’n. xxvi ; Jean Mill, Novum Test, grsecum, Rotterdam, 1710, Prolegomena, p. 121 ; Michælis, § ix Prsefationis ad Evangelium secundum Matth. ex versione ssthiopici interpretis, editum a Bode, Halle, 1749 ; Bode, Prsefatio ad Novi Testamenti versionis ssthiopici interpretis latinam translationem, Helmstadt, 1755 ; Dillmann, Aethiopische Bibelûberselzung (dans Herzog’s Real - Encyklopàdie ) ; Westcott et flort, The New Testament in the original Greek, Cambridge et Londres, 1881, Introduction, p. 86 ; Gregory, Nov. Test, grsece, recensuit Tischendorf, editio 8 a major, t. iii, Prolegomena, p. 894 ; Edouard Ktinig, Einleitung in das alte Testament, Bonn, 1893, p. 113 ; Goldschmidt, Bibliotheca sethiopica, Leipzig, 1893, p. 7 ; Cornill, Einleitung in das alte Test., Fribourg, 1890, p. 338 ; Scrivener, À plain Inlrod. to the criticism of the New Test., Cambridge, 1883, p. 409 ; Jûlicher, Einleitung in das Neue Test., Fribourg, 1894, p. 388 ; chez les catholiques de notre temps : Vigoureux, Manuel biblique, t. i, n. 150 ; Kaulen, Bibelubersetzung [âlhiopische], dans Wetzer et Welte’s Kirchenlexicon, t. ii, 1883 ; Cornely, Cursus Scriplurse Sacrée, Introd., t. i, 1885, u. 142 ; Guidi, Le traduzioni degli Ecangelii in arabae in etiopico, Rome, 1888, p. 33 et suiv. ; Hackspill, Die àthiopische Evangelienûberselzung, dans la Zeitschrift fïir Assyriologie, t. xi, 1897, p. 150 et suiv. Bien plus, avec ces mêmes auteurs, sauf pourtant MM. Guidi et Hackspill, dont nous nous séparons ici, nous pensons que la version ghe’ez fut commencée avant l’arrivée des neuf saints et qu’il faut la faire remonter en partie à la seconde moitié du ive siècle, parce que la traduction des principaux passages des Écritures et notamment des Évangiles s’impose dans la fondation d’une ! nouvelle Église.

Faut-il conclure de là que saint Frumence lui-même,

le premier apôtre qui évangélisa l’Ethiopie, peu après 326, employa son zèle à traduire ou à faire traduire partie des Écritures ? Ludolf et d’autres après lui l’ont pensé. Et cela n’est pas déraisonnable. Sans doute rien dans les traditions de l’Abyssinie ne confirme sûrement cette opinion ; le Salàmâ que l’on appelle, en Ethiopie, traducteur des Écritures est bien plutôt le patriarche du même nom, qui revisa les Livres Saints au début du xive siècle, que le Salàmâ du iv s, autrement dit Frumentius. Mais les arguments tirés de la nécessité d’une version ghe’ez pour l’évangélisation de l’Abyssinie gardant toute leur force, à notre avis, aussi bien pour la fin du IVe siècle que pour la fin du ve, pourquoi ne penseraiton pas que l’apôtre Frumentius commença lui-même ce beau travail ou en prit du moins la haute direction ?

Il est enfin un dernier point sur lequel nous nous séparons de plusieurs de ceux qui, comme nous, pensent que la version ghe’ez a été faite, en partie du moins, par les neuf saints de Rome. On a affirmé, et c’est, pensons-nous, M. Dillmann qui l’a dit le premier, que les traducteurs de la Bible éthiopienne, c’est-à-dire les neuf saints de Rome, étaient des monophysites ; d’autres ont précisé davantage et ont dit, comme M. Gildemeister, que les traducteurs étaient des monophysites syriens (dans Gregory, Prolegomena, loc. cit.) ; enfin M. Guidi, Traduzioni, p. 34, et M. Hackspill, jEthiop. Evang., p. 153, ajoutent qu’ils ont dû venir d’Arabie. En réalité, les neuf saints venaient d’Egypte et non d’Arabie, et de plus ils n’étaient pas monophysites. La Chronique des rois d’Abyssinie nous le fait entendre, en les appelant Saints de Rome et d’Egypte (R. Basset, Études sur l’histoire d’Ethiopie, Paris, 1882, p. 97). Ce titre de Saints de Rome donné à des moines égyptiens n’a rien qui nous doive surprendre. En Abyssinie, comme dans tout l’Orient, les Romains et les Grecs de l’empire byzantin sont appelés Roumis ; le grec même y est parfois nommé langue romaine, et l’empereur de Constantinople roi de Rome. (Voir Bibl. Nat., fonds ghez, n. 113, fol. 63-64, et d’Abbadie, Catalogue, n. 34.) Le fait que le nom de moines romains ait été donné et si religieusement conservé à ces saints personnages, par une Église qui s’est séparée des Grecs ou Roumis Melchites pour suivre les Jacobites d’Alexandrie, nous persuade non seulement qu’à cette époque l’Église d’Abyssinie était toujours fidèle à la vraie foi, mais que de plus ces moines eux-mêmes n’étaient pas des monophysites, comme l’a pensé M. Dillmann (Zur Geschichte des axumit. Reichs, Berlin, 1880, p. 26). Le passage des Chroniques, où il est dit que les saints de Rome « réformèrent la foi », selon la traduction de M. Dillmann, n’est pas de nature à infirmer notre opinion, car il faut tout lire. Le texte du n. 141 de la Bibliothèque nationale dit en effet : (OM’ti ! t(h s IfiWi-t « (OPCA* ï 9 t "itP-h t î i ua’asetarate’u hâyemânôta uasere’âta menekuesenâ, ce qui peut se traduire par : « Ils réglèrent ce qui concerne la foi et l’observance monastique. » Ce sens, à supposer qu’il faille tant tenir compte d’une appréciation venue après coup à l’esprit d’un rédacteur monophysite, est d’autant plus admissible que, par rapport à l’observance monastique, les saints de Rome n’eurent pas à réformer, mais à établir. Jusque-là, le monachisme n’avait pas pénétré en Abyssinie, et c’est avec les neuf Saints que nous voyons apparaître les ordres religieux. Aussi tous les monastères d’Abyssinie se réclament-ils d’abba’Aragâuî, l’un des neuf Saints, comme de leur premier fondateur. Nous avons d’ailleurs une autre preuve qui nous paraît décisive dans la question. L’un des neuf Saints, abba Panetalèuôn, fut regardé comme un homme de Dieu et consulté dans les cas les plus graves par le roi Ivaleb, autrement dit Élesban. Or, l’orthodoxie d’Élesban, honoré comme saint chez les Latins aussi bien que chez les Grecs, ne saurait être mise en suspicion. Il n’est donc pas probable qu’abba Panetalèuôn, l’ami et le conseiller du saint roi, ait été un mo-