Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/1054

Cette page n’a pas encore été corrigée
2029
2030
ÉTHIOPIENNE (VERSION) DE LA BIBLE


qui furent collationnés avec le texte hébreu et une version arabe par un savant indigène nommé Mercurius. Dillmann, de son côté, admet pour les livres des Rois ( = Abbad. 35) et peut-être pour tout l’Octateuque un texte revu sur l’hébreu et qu’il appelle « version troisième ». Yet. Test, sethiop., t. ii, fasc. i, pars post., p. 5, avec la note 1. Le texte éthiopien qui aurait servi de base à cette recension serait, d’après le savant critique, non pas la Vulgate, mais la version ancienne eu primitive. Enfin M. Bachmann, op. cit., p. 8-9, semble vouloir étendre les mêmes conclusions aux livres des Prophètes.

2° Nouveau Testament. — Les textes éthiopiens offrent des traces de plusieurs recensions. Kn 1865, dans la préface de son Lexique, col. v et vi, Dillmann reconnaissait deux recensions, sinon deux versions proprement dites, dans ce qu’il appelait « version ancienne » et « version plus récente ». L’ancienne serait représentée par l’édition du Nouveau Testament de Rome, 1518 ; la moderne, par l’édition de Pell Platt, Londres, 1830. De qui seraient ces différentes recensions, à quelle époque ces textes auraient-ils été établis dans la teneur que nous leur voyons ? 11 serait difficile de le déterminer. Notons toutefois au passage la thèse de IL Guidi, qui place au xive siècle une quasi-recension ou correction des Évangiles. D’après le savant orientaliste, on doit reconnaître à côté d’une version primitive (= Parisiensis 32) un texte de cette même version ( = Parisiensis 33), qui aurait été revu ou corrigé peu à peu à différentes époques, à partir du xiv 8 siècle, sur une version arabe du xme, que M. Guidi nomme « recension alexandrine Vulgate ». Guidi, Le traduzioni degli Evangelii in araboe in etiopico, Rome, 1888, p. 35-37.

M. Conti Rossini a cru pouvoir préciser davantage et nous indiquer l’auteur même de la recension. Voici la thèse qu’il expose dans la Zeitschrift fur Assynologie, t. x, 1895, p. 236-241. Nous trouvons parmi les métropolitains que l’Egypte a toujours fournis à l’Ethiopie depuis saint Frumentius (rve siècle) un abba Salàmà, distinct du premier abba Salâmâ ou Frumentius. Voir Catalogue Zotenberg, n. 160, p. 263, col. a. Ce moderne Salàmà est appelé « traducteur de l’Écriture Sainte » (ibid.) ; c’est le même dont on célèbre la fête, non pas le 26 de hamelê, comme saint Frumentius, mais le 20 de nahasê. Dans sa légende, on lit encore qu’il est « celui qui a traduit de l’arabe en ghe’ez l’Écriture Sainte ». Catalogue Zotenberg, n. 128, p. 194, col. a. Or précisément ce Salàmà vivait à la fin du XIIIe et au commencement du XIVe siècle, et il est connu comme un lettré de valeur. Il est donc tout naturel de penser que, voyant les divergences du texte ghe’ez d’avec la version arabe d’Egypte, il en entreprit et exécuta la revision, et c’est sans doute ce travail de recension des Évangiles ghe’ez sur un texte arabe qui lui valut le nom de traducteur de l’Écriture Sainte.

Jusqu’ici la thèse de M. Conti Rossini paraît bien appuyée. Volontiers même nous croirions que c’est ce travail de recension sur l’arabe par le moderne abba Salàmà dont on avait gardé le souvenir en Ethiopie, qui trompa les premiers missionnaires portugais et Ludolf lui-même pendant quelque temps, en leur faisant croire que la version ghe’ez avait été faite de l’arabe par abba Salàmà, saint Frumentius. Mais conclure de là, avec Si. Conti Rossini, que saint Frumentius n’a en aucune façon concouru à traduire la Bible, c’est peut-être aller trop loin, comme nous le dirons tout à l’heure. Cf. Hackspill, Die àthiopische Evangelienïibersetzung, dans la Zeitschrist fur Assyriologie, 1897, t. xi, p. 194-195.

Avant de terminer cette question, je veux signaler aux critiques une dernière recension, qui paraît encore peu connue. Elle est due aux missionnaires jésuites portugais du XVIIe siècle. Voir Histoire de ce qui s’est passé au royaume d’Ethiopie es années 16’21, Î62b~ et 1626. Tiré des lettres écrites et adressées au R. P. Mutio Yiteleschi par le P. Gaspar Pæz, S. J. Traduit de l’italien en françois

par P.-J.-B. de Machault, S. J., Paris, 1629. p. 225 et suiv. Il semble bien résulter de cette lettre du P. Pæz que les missionnaires des débuts du XVIIe siècle ont non seulement traduit un certain nombre denos Livres Saints en amharique ou corrigé le texte amharique antérieur de ces livres, mais encore qu’ils ont revu les Évangiles ghe’ez et les ont conformés à notre Vulgate. Nos bi bliothèques peut-être ou celles d’Ethiopie recèlent des exemplaires de cette recension. Ne serait-ce pas aux mêmes travailleurs qu’il faudrait attribuer cette traduction des deux livres des Machabées, faite du latin en ghe’ez, il y a deux ou trois siècles, on ne sait par qui ?

VI11. Date de la version éthiopienne primitive. — Selon Cayet ( Pierre - Victor Palma, 1525-1610), nous devrions faire remonter notre version jusqu’aux temps apostoliques. (Paradigmata de quatuor linguis orientalibus prgecipuis, arabica, armena, syra, setliiopica, Paris, 1596, p. 160.) Mais il n’en donne aucune preuve solide. Voir Le Long, Bibliotheca sacra, pars l a, cap. 2, sectio 6°. Brian VValton, dans les Prolegomena de sa Polyglotte, cap. xv, De lingua setldopica et Scripturse versione ssthiopica, a soutenu également que la version ghe’ez remontait à l’époque des Apôtres. Son opinion repose tout entière sur les deux points d’histoire suivants, que l’on suppose démontrés : la reine Candace du chap. vin des Actes est une reine des Abyssins, et l’eunuque baptisé par le diacre Philippe convertit les Abyssins à la foi chrétienne. Malheureusement ni l’un ni l’autre de ces faits ne peut se soutenir. Voir Candace.

Si quelques écrivains ont trop vieilli la Bible ghe’ez, d’autres, par contre, l’ont trop rajeunie. Personne dans cette voie nouvelle n’est allé si loin que Paul de Lagarde. D’après lui, — nous avons déjà eu l’occasion de le dire, — la version éthiopienne aurait été traduite de l’arabe ou du copte après le xive siècle. Lagarde, Ankùndigung einer neuen Ausgabe der griechischen Uebersetzung des alten Testaments, 1882, p. 28. C’est là une grossière aberration, bien étonnante dans un savant de cette valeur. AU xive siècle, nous avons rencontré un travail de recension ; mais cette recension ne peut être confondue avec la version primitive. Gildemeister, dans une lettre à M. Gregory, datée du 20 avril 1882 (Prolegomena ad Rovum Testamentum grsece, editio 8 a, Tischendorf, t. iii, p. 895), exprimait l’avis que notre version serait due à des Syriens monophysites du VIe ou du vue siècle. Sur quoi se fonde cette opinion ? Principalement sur les deux arguments suivants. Et d’abord les chrétiens ne commencèrent guère à être nombreux en Abyssinie avant le vie ou le vne siècle ; et donc le besoin d’une Bible ghe’ez ne dut pas se faire sentir avant cette époque. En second lieu, certains mots de la version éthiopienne paraissent avoir une origine syriaque ou aramaïque, ce qui. fait supposer que les traducteurs étaient des Syriens, et sans doute des Syriens monophysites. Dans cette argumentation, on regrettera que la conséquence ne sorte aucunement des prémisses. On ne voit pas bien, en effet, pourquoi la Bible n’aurait dû être traduite qu’après une conversion en masse du peuple d’Abyssinie ; et quant aux mots d’origine syriaque, même en admettant qu’ils soient bien d’origine syriaque plutôt que d’origine ghe’ez, qui nous prouve qu’ils sont entrés dans la langue ghe’ez précisément par les traducteurs de la Bible, et surtout quelle nécessité y a-t-il de supposer que ces traducteurs prétendus araméens étaient des monophysites du VIe et du VIIe siècle ?

La grande majorité des auteurs, depuis Ludolf jusqu’à nos jours, s’accordent à dire que la version éthiopienne ne peut pas descendre plus bas que la fin du Ve siècle, et, ainsi formulée, cette thèse paraît bien assurée. Ce n’est pas certes que les témoignages historiques abondent pour la démontrer. Car nul auteur, soit grec, soit latin, ne peut nous renseigner sur ce sujet. On a bien cité quelquefois le passage où saint Jean Chrysostome nous dit que & les Syriens, les Égyptiens, les Indiens, les Perses, les