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CANTIQUE — CANTIQUE DES CANTIQUES


l’autre, semble faire entre les deux expressions une différence, qu’on a cherché à expliquer de plusieurs manières. Canticum psalmi serait le psaume précédé d’un prélude des instruments, et Psalmus cantici celui où les voix précèdent l’accompagnement. Mais si nous nous en tenons au texte, nous reconnaissons qu’en réalité les deux termes sont simplement apposés ; la double formule hébraïque équivaut à Canticum, psalmus, et Psalmus, canticum, soit « voix et instruments », « accompagnement et chant, » sans que l’ordre dans lequel les rédacteurs des titres des psaumes ont disposé ces mots suffise à justifier la différence de signification qu’on veut établir entre les deux formules.

Dans l’usage liturgique, « cantique » est l’appellation donnée 1° aux pièces poétiques de l’Ancien Testament dont l’Église fait un emploi analogue à celui qu’elle fait des Psaumes. Tels sont les cantiques de Moïse, Exod., XV, 1-19 ; Deut., xxxir, 1-43 ; d’Isaïe, xii ; d’Ezéchias, Is., xxxviii, 10-20 ; d’Anne, I Sam., ii, 1-10, et d’Habacuc, m, 2-19, à l’office de Laudes des six jours de la semaine.

— On l’applique 2° à des morceaux semblables aux précédents, mais dont le texte original ne fut peut-être pas rigoureusement soumis à la facture métrique. Ce sont le cantique des trois enfants dans la fournaise, Dan., iii, 57-88, et les trois cantiques du Nouveau Testament, le Benediclus, le Magnificat et le Nunc dimittis, employés aux heures de jour de l’office romain. Le Missel contient en outre aux messes des samedis de Quatre-Temps, sous la rubrique Hymnus, les versets 52-50 du chapitre cité de Daniel, disposés, comme la psalmodie antique, avec une antienne qui se répète à chaque verset. En plus de ces cantiques en usage dès l’origine en Orient comme en Occident, l’Église grecque emploie la prière de Jonas, n, 2-9 ; celle d’Isaïe, xxvi ; celle d’Azarias, Dan., iii, 26-45, et même des extraits des livres extra-canoniques, comme la prière de Manassès.

Saint Paul et les anciens écrivains ecclésiastiques mentionnent « les psaumes, les hymnes et les cantiques », iLSciç, Ephes., v, 19 ; Col., iii, 16, ce qu’il faut entendre probablement du recueil du psautier ; des cantiques des prophètes ou du Nouveau Testament, et des chants de l’Église primitive. J. Parisot.

CANTIQUE DES CANTIQUES. — I. Nom. - Ce livre est intitulé en hébreu : Sir haS-sirîm. Cette appellation, reproduite par les versions (Septante : ’Affjja àa(titwv ; Vulgate : Canticum canticorum), est une forme de superlatif, employée pour désigner un cantique plus remarquable que les autres par son excellence. Des expressions analogues sont familières aux écrivains hébreux. Ils disent « Dieu des dieux », Ps. xlix, 1 ; « Seigneur des seigneurs, » Ps. cxxxv, 3 ; « Roi des rois, » I Tim., vi, 15, en parlant du Tout -Puissant, etc. Ce titre indique donc déjà à lui seul que l’on doit s’attendre à trouver dans le livre une doctrine d’ordre supérieur.

II. Unité du livre. — Richard Simon interprète le titre dans le sens de « livre de cantiques », Histoire entique du Vieux Testament, l. i, ch. 4, édit. de 1685, t. iv, p. 30, ce qui donnerait à croire que le Cantique est une collection de morceaux détachés, mis par quelques scribes à la suite les uns des autres comme l’ont été les Psaumes ou les Proverbes. Certains rationalistes (Herder, Paulus, Eichhorn, Wellhausen, Reuss, etc.) n’ont pas manqué de tirer cette conclusion. Ainsi Reuss, tout en reconnaissant que « tous les éléments du livre appartiennent au même auteur », déclare cependant que « c’est un recueil de petits poèmes lyriques », qui se « compose d’un certain nombre de morceaux détachés ». La Bible, Poésie lyrique, le Cantique, Paris, 1879, p. 51. Cette manière de concevoir les choses permet d’attaquer plus aisément l’authenticité et le caractère sacré du livre. On peut, en effet, invoquer en faveur de cette opinion la variante i^rt-zT., « cantiques, » qui se lisait dans quelques manuscrits grecs, et que repro duisait probablement la plus ancienne traduction latine. Mais Origène, traduit par Rufin, In Canl., Prol., t. xiir, col. 82, témoigne que cette leçon était fautive, et qu’on doit lire, « au singulier, Cantique des cantiques. » Sans doute on constate une assez grande variété de forme dans les morceaux qui composent l’ouvrage. Les dialogues y alternent avec les monologues, et de temps en temps intervient un groupe de jeunes filles qui jouent un rôle assez analogue à celui du chœur dans les tragédies grecques. La facture poétique présente elle-même une notable variété. G. Bickell, Carmina Veteris Testamenti melrice, Inspruck, 1882, p. 103, a reconnu dans le poème des vers de quatre, de six et de huit syllabes, combinés suivant neuf agencements strophiques différents. Faut-il conclure de là que le Cantique n’est qu’une sorte d’anthologie, composée de fragments plus ou moins disparates ? Les raisons suivantes, tirées du fond même du livre, s’y opposent invinciblement : 1° Les mêmes personnages sont en scène du commencement à la fin : un époux, qui est roi de Jérusalem, Cant., r, 3 (hébreu, 4) ; iii, 7, 11 ; viii, 11 ; une jeune épouse, qui est vierge, a sa mère, ses frères, sa vigne, Cant., 1, 5 ; ii, 15 ; iii, 4 ; VI, 8 ; viii, 2, 8, 12, 13, et est l’objet de l’amour de l’époux, 11, 6, 16 ; iii, 4 ; vi, 2, 8 ; vu, 10, etc. ; enfin un groupe de jeunes filles de Jérusalem, 1, 4 ; ii, 7 ; iii, 5 ; v, 8, 16 ; viii, 4. — 2° Les mêmeslocutions caractéristiques se retrouvent dans tout le Cantique : l’époux est comparé à un faon de biche, Cant., ii, 9, 17 ; viii, 14 ; il habite au milieu des lis, Cant., ii, 16 ; iv, 5 ; vi, 2 ; les filles de Jérusalem sont adjurées dans les mêmes termes, Cant., ii, 7 ; iii, 5 ; viii, 4 ; l’épouse est appelée par elles la plus belle de toutes les femmes, Cant., 1, 8 (hébreu) ; v, 9 ; vi, 1 (Vulgate, v, 17) ; les formes interrogatives sont identiques, Cant, iii, 6 ; vi, 9 ; viii, 5 ; le relatif apocope ur, M, est seul employé dans tout le

poème, etc. — 3° Les auteurs qui ne veulent voir dans le livre qu’un assemblage de fragments disparates ne peuvent arriver à s’entendre pour fixer les coupures. Celles-ci pourtant devraient être aisément reconnaissables, si le lien entre les prétendus fragments était purement artificiel.

L’unité de l’oeuvre demeure donc certaine. Loin de nuire à cette unité, la variété des formes ne sert qu’à la faire ressortir davantage. Sans doute on chercherait en vain à caractériser le Cantique par un de ces noms qui désignent les compositions classiques. Il n’y a là, à proprement parler, ni un drame, ni une idylle, ni une églogue. C’est un poème tout oriental, qu’on ne peut juger d’après les règles posées par les Grecs. Les interlocuteurs s’y succèdent sans ordre logique. L’action à laquelle Us prennent part est tout imaginaire, et absolument irréductible aux proportiohs harmonieuses d’un développement scénique. La fantaisie du poète se donne libre carrière dans l’expression multiple d’une idée fondamentale, qui est l’amour réciproque de deux jeunes époux. Les différentes répliques de ses personnages ne sont reliées entre elles par aucun récit. Peut-être devaient-elles être chantées. L’auditeur avait alors à suppléer d’imagination les transitions absentes. Il pouvait y réussir facilement, étant donné le thème général sur lequel roule tout le poème. Il y a donc unité dans le Cantique, mais unité entendue à la manière orientale, c’est-à-dire beaucoup plus dans la pensée inspiratrice que dans l’exécution de l’œuvre.

III. Authenticité. — Le titre complet est ainsi formulé en hébreu : sir has-sirîm’âSér lislomôh, « Cantique des cantiques lequel (est) de Salomon. » Ce titre existait à l’époque du traducteur grec, qui l’a conservé. L’indication qu’il fournit sur l’auteur du poème est exacte.

— 1° L’examen des particularités caractéristiques du Cantique le justifie pleinement. — 1. Il fallait que l’auteur vécût avant le schisme pour parler comme il le fait de certaines localités, Jérusalem, Thersa, Cant., vi, 4 (hébreu), Galaad, Hésébon, le Carmei, le Liban, l’Hermon, ete. Ces