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claire, mais le passage tout entier est difficile, et d’une telle concision, qu’on est obligé de le paraphraser pour le faire comprendre. Les traducteurs grecs ont rendu les mots que nous venons de rapporter par ἐπὶ τὸ ἱερὸν βδέλυγμα τῶν ἔρημώτεων « dans le temple, l’abomination des désolations. » Saint Jérôme a interprété comme les Septante : Erit in templo abominatio desolationis, « l’abomination de la désolation sera dans le temple. »

Le prophète, dans un autre de ses oracles, s’est servi une seconde fois, xi, 31, pour prédire la profanation du temple de Jérusalem par Antiochus Épiphane, des mots haššiqqûṣ mešomêm, avec cette seule différence que le mot šiqqûṣ est ici au singulier et précédé de l’article, tandis qu’il est sans article et au pluriel, ix, 27. Dans cette nouvelle prophétie, le sens général n’offre aucune difficulté. « On souillera, dit-il, le sanctuaire de la force, on fera cesser le sacrifice perpétuel, et l’on y placera haššiqqûṣ mešomêm, xi, 31. » Ces derniers mots sont traduits par les Septante : βδέλυγμα ἤφανισμένον, « abomination désolée », et par la Vulgate : abominationem in desolationem, « l’abomination dans la désolation. »

En complétant cette prophétie et en fixant le temps que doit durer l’oppression, Daniel emploie une troisième fois les termes šiqqûṣ šômêm, avec cette légère variante que le substantif singulier šiqqûṣ n’a point l’article, et que le participe mešômêm, de la forme pohel, est remplacé par le participe du même verbe à la forme kal. Les deux expressions ont donc, dans ces deux derniers passages, le même sens, et l’on ne peut douter qu’elles n’aient aussi un sens analogue dans le premier. Quel est ce sens ? C’est ce que nous devons maintenant rechercher.

Le mot šiqqûṣ, pluriel šiqqûṣim, est assez fréquemment employé dans l’Ancien Testament. C’est un terme de mépris qui signifie étymologiquement « une chose abominable, digne d’aversion et d’exécration », et qui est toujours appliqué aux faux dieux et au culte idolâtrique. Nous lisons dans le troisième livre des Rois, xi, 7 : « Chamos, abomination (šiqqûṣ) de Moab ; Moloch, abomination des enfants d’Ammon ; » IV Reg., xxiii, 13 : « Astarté, abomination des Sidoniens, » etc. Le pluriel šiqqûṣîm désigne les faux dieux en général et les idoles ou les signes matériels qui les représentent, dans un grand nombre d’endroits : Deut., xxix, 16 (17) ; IV Reg., xxiii, 24 ; II Par., xv, 8 ; Is., lxvi, 3 ; Jer., iv, 1 ; vii, 20 ; xiii, 27 ; xvi, 18 ; xxxii, 34 ; Ezech., v, 11 ; vii, 20 ; xi, 18, 21 ; xx, 7, 8, 30 ; xxxvii, 23. — Nahum, iii, 6, parlant au nom de Dieu, dit aux habitants de Ninive : « Je jetterai sur toi les šiqqûṣim. » Zacharie, ix, 7, applique ce mot aux viandes offertes aux idoles, et Osée, ix, 10, à ceux qui leur rendent un culte. Ce sont là tous les passages dans lesquels la Bible hébraïque emploie cette expression. On voit que dans tous il est question des faux dieux et des insignes de leur culte abominable, ou de quelque chose qui s’y rapporte.

La seconde expression employée par Daniel, mešômêm ou šômêm, est diversement interprétée comme la précédente, et il est plus difficile d’en déterminer rigoureusement la signification ; mais elle n’a pas la même importance. Les uns en font un terme abstrait, comme les Septante et la Vulgate, « désolation, dévastation ; » d’autres le considèrent comme un nom d’agent, désignant une personne et non une chose, ce qui paraît plus conforme à la ponctuation massorétique et ce qui donne un sens plus clair et plus simple, « celui qui désole, ravage, le dévastateur, » c’est-à-dire les Romains ou leur chef dans la prophétie messianique, et Antiochus IV Épiphane dans la prophétie concernant la persécution de ce roi syrien. Du reste, quoi qu’il en soit, le sens général de Daniel reste toujours le même.

Le traducteur grec du premier livre des Machabées, i, 57 (52), a emprunté aux Septante, Dan-, xi, 31, et xii, 11, la version de šiqqûṣ mešômêm par βδέλυγμα ἐρημώσεως. Au chapitre vi, 7, nous ne lisons plus que le mot τὸ βδέλυγμα, ce qui montre que ce terme exprime l’idée principale, dans la pensée de l’auteur sacré.

II. Dans le premier livre des Machabées. — L’auteur du premier livre des Machabées, comme nous venons de le voir, a reproduit dans son récit les expressions de Daniel. Ce langage de l'écrivain sacré et les mots qu’il a choisis nous prouvent qu’il a reconnu dans la profanation du temple de Jérusalem par l’impie Antiochus Épiphane l’accomplissement de la prophétie de Daniel, xi, 31 ; xii, 1 1. Nous devons examiner dans quel sens il a entendu le passage du prophète. Il nous dit en premier lieu que, par les ordres d’Antiochus Épiphane, on « bâtit sur l’autel βδέλυγμα ἐρημώσεως », ce que la Vulgate traduit : « Ædificavit rex Antiochus abominandum idolum desolationis super altare Dei. » I Mac, i, 57. Plus loin, vi, 7, nous lisons que « les Juifs fidèles détruisent τὸ βδέλυγμα qui avait été bâti sur l’autel des holocaustes de Jérusalem ». — « Diruerunt, dit la Vulgate, abominationem quam aedificaverat super altare quod erat in Jérusalem. » Que faut-il entendre ici par le βδέλυγμα du texte grec ? Le traducteur latin, qui l’a rendu par abominationem dans le second passage, a été plus précis dans le premier, et l’a expliqué comme signifiant une idole. À sa suite, beaucoup de commentateurs, Nicolas de Lyre et autres, ont entendu le mot βδέλυγμα dans le sens de statue représentant une idole, c’est-à-dire Jupiter Olympien, à qui, d’après II Mac, vi, 2, le temple de Jérusalem avait été consacré. Cependant il est difficile de justifier cette interprétation.

Le contexte démontre qu’il n’est pas question d’une statue ou d’une idole proprement dite, mais d’un « autel » idolâtrique, construit, « bâti » sur l’autel des holocaustes, qui est ainsi souillé et profané. Il est dit expressément, I Mac, i, 57 ; cf. vi, 7, qu’on « bâtit » (ᾠϰοδόμησαν) le βδέλυγμα ou abomination, terme qui ne peut s’appliquer ni à une statue ni à un cippe ou colonne ; et un peu plus loin, I, 62, nous lisons que « le vingt-cinquième jour du mois on sacrifiait sur l’autel qui était sur l’autel des holocaustes » ; ce qui montre bien que sur le grand autel des holocaustes, où l’on offrait au vrai Dieu les sacrifices sanglants, on avait construit un autel plus petit, destiné au culte des faux dieux. Josèphe l’a exactement compris ainsi : Έποικοιδομήσας ϰαὶ τὸ θσιασηρίῳ βωμόν, σύας ἐπ' αὔοῦ κατέσφαξε. « Antiochus, ayant fait bâtir un autel sur l’autel des holocaustes, y immola des pourceaux. » Ant. jud., XII, v, 4. Le second livre des Machabées, vi, 2, ne contredit nullement le premier ; il ne parle d’aucune statue, mais mentionne seulement que le temple de Jérusalem fut nommé du nom de Jupiter Olympien, c’est-à-dire dédié à Jupiter considéré comme le maître des dieux qui habitent l’Olympe.

L’ensemble du récit et la suite des faits montrent que cette profanation du temple du vrai Dieu par l'érection d’un autel sacrilège sur l’emplacement même où les enfants d’Aaron offraient les sacrifices prescrits par la loi, fut considérée comme une grande calamité nationale, en même temps que comme une injure sanglante au Dieu véritable et aux sentiments religieux de la nation juive. Ce ne fut que par une purification solennelle et par une nouvelle dédicace du temple qu’on put réparer un si abominable outrage. I Mac, iv, 41 -59. La profanation de la maison de Dieu par les Romains du temps de Titus ne devait pas exciter plus tard une moindre horreur dans le cœur des Juifs.

III. Dans l'Évangile. — Nous venons de voir que les mots « abomination de la désolation » ne désignent pas une idole, mais un autel idolâtrique, dans les dernières prophéties de Daniel et dans le premier livre des Machabées. Que désignent - ils dans la prophétie de Notre Seigneur ? « Quand vous verrez, dit le Sauveur, l’abomination de la désolation (τὸ βδέλυγμα τῆς ἐρημώσεως) qui a été prédite par le prophète Daniel, présente dans le lieu saint, que celui qui lit entende. » Matth., xxiv, 15 ; cf. Marc, xiii, 14. Ces paroles sont expliquées de diverses ma-