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BEZ^E (CODEX) — BÈZE

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si vous ne prenez pas le corps du Fils de l’homme comme le pain de la vie, vous n’avez point la vie en lui, » addition commune au Codex Bezse et à deux manuscrits de la Bible pré-hiéronymienne, le Vercellensis et le Corbeiensis. Ailleurs ce sont des rédactions non moins singulières, surtout dans le texte des Actes, véritables gloses, qui ont fait dire à M. Paulin Martin que le Codex Bezse serait au texte vrai ce qu’un Targum est à l’Ancien Testament ! Le même auteur ne compte pas moins de dix-huit cent vingt-neuf leçons propres au seul Codex Bezse. — Il faut remarquer toutefois que le Codex Bezse est un manuscrit bilingue, et que, comme tous les manuscrits onciaux bilingues ( Boernerianus, Claromontanus, Laudianus), il donne un texte en partie-artificiel par le soin qu’a pris le copiste de conformer aussi rigoureusement que possible le grec au latin, et réciproquement. La critique en est donc fort délicate et conjecturale. Il semble qu’en ce qui concerne le Codex Bezse le texte grec a été adapté au texte latin, au lieu que le latin ait été adapté au grec : encore cette observation n’estelle pas rigoureusement vraie de toutes les variantes du manuscrit. MM. Westcott et Hort estiment que le Codex Bezse donne sans mélange un texte de la famille dite occidentale ; un texte tardif, puisqu’il est paléographiquement du vi" siècle, mais non dégénéré, et « substantiellement un texte occidental du IIe siècle avec quelques leçons accidentelles, probablement du ive siècle ». Ils ajoutent qu' « en dépit d’un nombre prodigieux d’erreurs, c’est un manuscrit inappréciable pour la reconstitution du texte authentique ; et qu’il donne une plus fidèle image de l'état dans lequel les Évangiles et les Actes étaient généralement lus au me et probablementau IIe siècle, qu’aucun autre manuscrit grec existant ». Le Codex Bezse a dû être écrit en Occident, mais on n’en a" aucun signalement jusqu'à la Renaissance. Au concile de Trente, en 1546, l'évêque de Clermont Guillaume Dupré (1528-1561) produisit un antiquissimum codicem grsecum, pour justifier la leçon qu’on lit dans Joa., xxi, 22 : si eum, au lieu de sic eum, âàtv aûtôv 9éX<o (ilvetv v.i’k. : or cette leçon ne se retrouve dans aucun autre manuscrit que le nôtre. M. Scrivener a émis l’opinion que le manuscrit ê', dont Robert Estienne cite les leçons en marge de son édition du Nouveau Testament grec, en 1550, et dont il dit, dans son épître préliminaire au lecteur, que des amis l’ont collationné pour lui en Italie, n'était autre que notre manuscrit ; mais cette opinion de M. Scrivener est aujourd’hui sérieusement contredite. Théodore de Bèze, au contraire, dans sa seconde édition du Nouveau Testament grec, publiée à Genève, en 1582, s’est sûrement servi de notre manuscrit, qu’il qualifie de meum vetustissimum exemplar. L’année précédente, 1581, Théodore de Bèze avait donné le manuscrit à l’université de Cambridge : le nom lui en est resté de Codex Bezse. Bèze, en devenant propriétaire du manuscrit, avait dû s’informer de sa provenance : « Cet exemplaire de vénérable antiquité, écritil à l’université de Cambridge, a été jadis tiré de la Grèce, ainsi qu’il apparaît aux mots barbares grées écrits dans les marges. » Ceci est une conjecture injustifiée de Bèze. Il poursuit : « Longtemps ce volume a dormi dans la poussière au monastère de SaintIrénée de Lyon, où il a été mutilé, et où il î été trouvé en 1562, au début de la guerre civile. » Ces explications manquent de clarté : on y peut comprendre cependant qu'à la faveur de la première guerre de religion, celle qui suivit Je colloque de Poissy (1561) et qui précéda la paix d’Amboise ( 1563), et celle-là même qui vit le sac de Lyon par le baron des Adrets, le couvent de Saint -Irénée ayant été pillé par les huguenots, Bèze se fit sur les dépouilles octroyer ce manuscrit. D’où vient alors que, dans son édition du Nouveau Testament grec de 1598, Bèze appelle ce même manuscrit Claromontanus ? On l’ignore ; mais il est permis de croire que cette indication n’est pas une inadvertance, et que notre manuscrit, qui fut produit au concile de Trente par l'é véque de Clermont, appartenait peut-être originairement à l'Église de Clermont. — Le Codex Bezse a été collationné en partie par Patrice Young, à la demande de l'érudit Claude Dupuy, conseiller au parlement de Paris, pour l’usage de Jean Morin et la préparation de ses Exercitationes, Paris, 1633 ; il a été collationné par l’archevêque Ussher, pour l’usage de Walton et la préparation de sa Bible polyglotte, Londres, 1657 ; collationné par Mill, copié parWetstein, collationné par ; Bentley, par Dickinson ; édité enfin par Kipling, en 1793, et par Scrivener, en 1864. Récemment M. Rendel Harris l’a étudié à nour veau, et signale, dans les marges et parmi les corrections et annotations d’une main grecque du IXe -Xe. siècle, de petites devises ou formules de bonne aventure, de celles que l’on appelait au moyen âge sortes sanctorum, et ces formules grecques du Codex Bezae sont étroitement apparentées aux formules latines que M. Samuel Berger a relevées dans le manuscrit g 1 ou Codex Sangermanensis de l’ancienne Bible latine, manuscrit du IXe siècle : on lit, par exemple, en marge du manuscrit de Bèze, la devise IIt<xTE’j<Tov oTr| to TcixpYfJia xa).ov eotiv (sic), et, dans le manuscrit de Saint-Germain, la devise Credere (sic) quia causa bona est, et ainsi des autres devises. M. Harris en conclut avec quelque vraisemblance que les deux manuscrits étaient au IXe -Xe siècle dans une même région, c’est-à-dire en France. Dans le même ordre de recherches, M. Harris a constaté que les annotations liturgiques du Codex Bezse étaient coordonnées non point à la liturgie grecque ou à la liturgie romaine, mais à la liturgie gallicane, c’est-à-dire à la liturgie en usage dans les églises franques avant la réforme liturgique du temps de Gharlemagne ; il a de même étudié les formes orthographiques barbares de tant de mots latins du Codex Bezse, et cru pouvoir conclure à la parenté de ce latin de copiste et du latin vulgaire gallo-romain du VIe siècle. Ce sont là des observations à vérifier. Enfin M. Harris a émis cette théorie extraordinaire que le texte latin du Codex Bezse était un texte montaniste, et que particulièrement le texte de l'Évangile de saint Luc et des Actes était le texte dont l’auteur des Actes de sainte Perpétue se servait. Nous signalons ce paradoxe à titre de simple curiosité.

Voir A. Scrivener, Bezae Codex Cantabrigiensis, being an exact copy in ordinary type… edited with a critîcal introduction, annotations and facsimiles, Cambridge, 1864 ; Westcott et Hort, The New Testament in Greek, introduction, Cambridge, 1881 ; P. Martin, Introduction à la critique textuelle du Nouveau Testament, partie théorique, Paris, 1883 ; C. R. Gregory, Prolegomena ad Novum Testamentum Tischendorf., Leipzig, 1884, p. 369-372 ; J. Rendel Harris, À study of Codex Bezse, a study of the so called western text of the New Testament, Cambridge, 1891 ; Id., Crednerand the Codex Bezse, dans la Classïcal Review, 1893, p. 237-243. Dernièrement enfin M. Chase (The old Syrian élément in the text of Codex Bezse, Londres, 1893), a essayé d'établir que les particularités du texte de notre manuscrit, au moins en ce qui est des Actes des Apôtres, s’expliquaient au mieux par cette hypothèse qu’une série de scribes l’auraient interpolé en traduisant en grec un texte « vieux syrien », c’est-à-dire antérieur à la Peschito, et plein luimême de gloses : cette théorie a été jugée fort aventureuse et une façon d’expliquer ignotum per ignotius. Voyez G. A.Simcox, Academy, 1893, 16 décembre, p.551. Theologische Literaturzeitung, 1894, pi. 72-73.

P. Batiffol.

BÈZE (Théodore de), calviniste français, né àVézelay le 24 juin 1519, mort à Genève le 13 octobre 1605. Il appartenait à une famille noble, et tout enfant fut confié aux soins de son oncle, Nicolas de Bèze, membre du parlement de Paris. Vers l'âge de dix ans, il fut envoyé à Orléans, où il eut le malheur de rencontrer Melchior Wolmar, célèbre helléniste allemand, dont il suivit les cours, et qu’il rejoignit ensuite à Bourges. Lorsque son