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ABÈNESRA — ABERLE

le grand, l’admirable docteur, fut un des plus fameux rabbins du xiie siècle. Né à Tolède en 1092, il se distingua dans toutes les sciences, en philosophie, en astronomie, en médecine, en poésie, dans la connaissance des langues et de la grammaire, en exégèse sacrée. Les mathématiques et l’astronomie surtout lui doivent quelques progrès importants. Les vexations exercées contre les Juifs l’ayant forcé à quitter sa patrie, il s'établit à Cordoue. Bientôt il se mit à voyager pour étendre ses connaissances. On le voit à Narbonne (1139), à Rome (1140), à Salerne, à Mantoue et à Lucques (1145), à Vérone (1146-1147), à Béziers (1155-1156), à Rodez (et non pas Rhodes) (1157), à Londres (1158-1159), à Narbonne (1160), à Rodez ou à Rome (1166-1167). Il visita l’Égypte et les contrées environnantes, probablement la Palestine, soit de 1140 à 1145, soit plutôt de 1147 à 1155. Il partit de Rodez ou de Rome en 1166 ou 1167, pour revoir sa patrie ; mais il mourut en route avant d’avoir pu satisfaire son désir. Ce fut le lundi 1er jour d’adar, 1er de l’année 4927, qui correspond au 23 janvier 1167 de notre ère. Il était âgé de soixante-quinze ans.

Son œuvre la plus remarquable est son commentaire à peu près complet sur les Livres Saints, composé par parties, aux différentes étapes de ses voyages. Seuls les deux livres des Chroniques manquent ; mais en revanche, pressé par le besoin, il donna plusieurs recensions de son commentaire sur le Pentateuque. En même temps, dans un genre tout différent, Abenesra composa à la manière des cabalistes : Le livre des secrets de la Loi, pour expliquer les mystères du Pentateuque ; Le mystère de la forme des lettres, où il est traité des lettres de l’alphabet ; L’énigme concernant les lettres quiescentes, et Le livre du nom, Séfer haššêm, traité sur le tétragramme divin, c’est-à-dire sur le nom de Jéhovah. Parmi ses opuscules grammaticaux, citons : Le livre des balances de la langue sainte, Séfer mo’znê lešon haqqôdeš ; Le livre de la pureté (du langage), Séfer ṣàḥôṭ ; le ṡâfâh-berûrâh, Lèvre pure, Soph., iii, 9, ou essais de grammaire hébraïque, imprimés déjà plusieurs fois ; le Séfer hayyesôd ou Yesôd-dikduk, traité de grammaire longtemps inconnu et retrouvé depuis quelques années ; enfin le Sefaṭ yéṭer, Langage de noblesse, Prov., xvii, 7, opuscule sur les mots rares et difficiles de la Bible.

Ce fut pendant ses incessantes pérégrinations qu’Abenesra publia ses nombreux ouvrages ; ils portent aussi le reflet de sa vie instable. Tour à tour exégète rationnel et cabaliste, libre penseur et croyant rigide, il montre la plus extrême mobilité. Son étonnante fécondité a peu d’originalité ; elle est due surtout à une mémoire prodigieuse, qui lui permit de répandre et de vulgariser en pays latin et saxon les travaux de ses compatriotes andalous les plus célèbres des Xe et XIe siècles. Son esprit facile a su se les assimiler et les exposer clairement. Aussi est-il sans contredit un des plus habiles et des plus savants commentateurs juifs, et peut-être un des premiers interprètes du moyen âge. Dans son commentaire de la Bible, il s’attache au sens grammatical des mots, et explique le texte très littéralement ; on n’y trouve pas les allégories si familières aux rabbins, et les futilités de la cabale, qu’il développe avec plaisir dans d’autres ouvrages spéciaux cités plus haut. Il s’appuie avec discernement sur l’autorité des anciens ; cependant sa fidélité à la tradition rabbinique n’exclut pas chez lui une certaine indépendance de critique, qui va parfois jusqu’au rationalisme. Ainsi le premier il soutint que les Hébreux n’avaient pas traversé miraculeusement la mer Rouge, mais qu’ils profitèrent de la marée basse pour passer à l’extrémité du golfe. En exposant de telles hardiesses et ces nouveautés erronées, il sentait le besoin de voiler sa pensée ; aussi la cache-t-il sous des réticences et des expressions embarrassées. D’ailleurs il vise d’ordinaire à la concision, si bien que parfois la phrase devient obscure et énigmatique. C’est pourquoi il a fallu d’autres commentaires pour expliquer les siens. Toutefois son style est habituellement correct, clair, souple et élégant. Richard Simon va jusqu'à dire que « sa diction approche assez de celle de Salluste ».

Le commentaire sur les Livres Saints a été publié par Bomberg, à Venise, en 1526, et dans la Bible hébraïque de Buxtorf. Les différentes parties en ont été imprimées séparément, et plusieurs avec traduction latine, dans un grand nombre d’endroits et à plusieurs reprises. Voir Fürst, Bibliotheca judaica, art. Ibn-Esra. Ses autres ouvrages ont été souvent publiés ; la Bibliothèque nationale possède plusieurs manuscrits des œuvres de ce fameux rabbin. Voir sur Aben-Esra et ses ouvrages : Basnage, Histoire des Juifs, t. v ; Notice détaillée sur la vie d’Aben-Esra, dans Ersch et Gruber, Allg. Encyklopädie, 1. 1 ; Steinschneider, Abraham Ibn-Esra, 1880, dans la Zeitschrift für Mathematik und Physik, p. 59 et suiv. ; Wilhelm Bächer, Abraham Ibn-Ezra als Grammaliker, Budapest, 1881 ; J. Derenbourg, Revue des études juives, juillet-septembre 1882, p. 137 ; Friedländer, Essays on the writings of A. Ibn-Ezra, Londres, 1877.

ABERLE (Moritz von), théologien catholique allemand, né le 25 avril 1819 à Rottum, près de Biberach, en Souabe, mort le 3 novembre 1875 à Tubingue. Il avait été nommé professeur, en 1845, à l’Obergymnasium de Chingen ; en 1848, il devint directeur du Wilhelmstift, et, en 1850, professeur ordinaire à l’université de Tubingue, où il a enseigné jusqu'à sa mort, et où il s’occupa surtout du Nouveau Testament. À partir de 1851, il fut un des principaux rédacteurs de la Theologische Quartalschrift, organe de la faculté catholique de l’université de Tubingue. Parmi les articles qu’il a publiés, on peut noter : Ueber den Zweck der Apostelgeschichte, 1854, 1855 ; Zweck des Matthäusevangeliums, 1859 ; Zweck des Johannesevangeliums, 1861 ; Ueber den Tag des letzen Abendmahls ; Epochen der neutestamentlichen Geschichtsschreibung ; Prolog des Lukasevangeliums ; Abfassungszeit des I Timotheusbriefe, 1863 ; Beiträge zur neutestamentlichen Einleitung, 1864 ; Ueber den Statthalter Quirinius, 1865 ; Exegetische Studien, 1868 ; Die Begebenheiten beim letzten Abendmahl, 1869 ; Die Berichte der Evangelien über die Auferstehung Jesu, 1870 ; Ueber Gefangennehmung und Verurtheilung Jesu, 1871 ; Letzte Reise Jesu nach Jérusalem ; Die bekannte Zahl in der Apokalypse, 1872. Les idées principales développées dans ces articles sont résumées dans une œuvre posthume : Einleitung in das Neue Testament, von Dr M. von Aberle, herausgegeben von Dr Paul Schanz, in-8°, Fribourg-en-Brisgau, 1877.

Aberle était doué d’une mémoire tenace, il avait un esprit ingénieux et une grande érudition ; mais il s'était fait sur l’origine des écrits du Nouveau Testament des opinions personnelles qui n’ont pas été généralement acceptées. D’après lui, l'Évangile de saint Matthieu a été composé pour réfuter un écrit calomnieux publié par le sanhédrin, et répandu dans toute la Palestine pour discréditer le christianisme. Cf. S. Justin, Dial. cum Tryph., 108, t. vi, col. 725. C’est d’une manière analogue qu’il soutient que l'Évangile de saint Marc a été écrit pour les néophytes de Rome, qui, ayant été d’abord prosélytes juifs, étaient poursuivis après leur baptême par les Juifs, qui s’efforçaient de les ramener à eux. Il voit dans l'Évangile et les Actes des Apôtres de saint Luc un écrit apologétique destiné à défendre le christianisme au moment où l’appel de saint Paul au tribunal de César force l’empire romain à prendre un parti au sujet de cette religion, en la tolérant comme une espèce de judaïsme, ou en la persécutant comme une religion nouvelle. Saint Jean, d’après lui, a écrit contre le sanhédrin de Jabné, qui, après la ruine de Jérusalem, ne négligea rien pour infuser une vie nouvelle au judaïsme et ruiner le christianisme par les armes spirituelles. Ainsi les quatre Évangiles ont été écrits dans un but apologétique. Ce sont là des hypothèses qui ne sauraient être établies et qui ne concordent pas avec les