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BALAAM


plus vastes dans lesquels Daniel dépeindra les grands empires et le royaume messianique qui doit leur succéder. Seulement Balaam ne dit pas, comme Daniel, par qui sera ruiné le dernier de ces empires. Est-ce que sa vue prophétique ne s’est pas étendue jusque-là, comme le disent certains critiques modernes ? Nous ne le croyons pas. D’abord ces mots « pour toujours » prouvent qu’à ses yeux cette dernière ruine est due à une cause irrésistible, toute-puissante ; et ensuite comment supposer que Balaam n’a pas vu ce destructeur, lui qui a débuté par ces paroles : « Je le vois, mais pas maintenant ; je le contemple, mais pas de près 1° La ruine du dernier conquérant n’est que le coup final de Celui qu’il n’a pas cessé de voir triompher de tous ses ennemis les uns après les autres. Mais il importe peu du reste que Balaam ait saisi ou non la portée de ses prédictions ; leur caractère messianique est indépendant de l’idée qu’il pouvait s’en faire.

Si ce caractère messianique, que les Pères reconnaissent généralement à l’ensemble du quatrième oracle, n’est pas admis de tous, il n’est du moins contesté de nos jours par aucun des commentateurs chrétiens en ce qui regarde I’  « étoile de Jacob » et le « sceptre » du ꝟ. 17. Les anciennes traditions juives étaient constantes sur ce point ; on le voit par les Targums d’Onkélos et du Pseudo-Jonathan et par la paraphrase dite de Jérusalem. L’histoire nous fournit, de son côté, une preuve de cette tradition dans le crédit que, sous le règne d’Adrien, l’imposteur Simon trouva auprès des Juifs ses compatriotes ; il prit le nom de Bar-Chochébas, « le fils de l’Étoile, » et le succès qu’il obtint montre bien qu’à cette époque l’Étoile annoncée par Balaam n’était autre pour les Juifs que le Messie même. Nous avons un témoignage historique encore plus frappant de cette tradition dans l’Évangile de saint Matthieu, ri, 2-4. Lorsque les mages, arrivés à Jérusalem, demandèrent où était né Je roi des Juifs dont ils avaient vu l’étoile en Orient, Hérode ne fut nullement étonné ; il ne demanda pas de quel roi et de quelle étoile ces étrangers voulaient parler ; il le savait, puisqu’il s’informa seulement du lieu où devait naître le Christ. C’est que le Christ était pour lui, comme pour les Juifs, le roi annoncé par l’étoile, ou plutôt l’étoile même, aussi bien que le sceptre, Num., xxiv, 17 ; c’était le Messie désigné ou rappelé ailleurs en des termes analogues, qui font ressortir la signification de ceux-ci. Cf. Gen., xlix, 10 ; Mal., iv, 2 ; Zach., iii, 8 ; vi, 12 ; Is., ix, 2, etc.

La tradition chrétienne a continué celle de la synagogue, et si quelques-uns ont pensé autrement, au dire de Théodoret, Qussst. xir in Num., t. lxxx, col. 394, le sentiment commun des Pères tient le ꝟ. 17 pour une prophétie de l’avènement du Messie. Cf. S. Jérôme, Epist. ad Oceanum, t. xxii, col. 695 ; Kilber, Analysis biblica, Paris, 1856, t. i, p. 97. Une tradition analogue devait exister chez les nations de l’Orient qui connaissaient la prophétie de Balaam, comme l’indiquent les paroles des Mages, Matth., ii, 2, mais adaptée aux idées régnantes dans le paganisme. Les Mages, « qui connaissaient d’avance l’apparition de l’étoile par l’oracle de Balaam, dont ils étaient les successeurs, » dit saint Jérôme, In Matth, ii, t. xxvi, col. 26, les Mages paraissent avoir cru que l’étoile apparue en Orient était l’objet direct de la prophétie de Balaam, et qu’à son tour elle annonçait, conformément aux croyances superstitieuses de l’antiquité, la naissance du « roi des Juifs », de même que d’autres astres annonçaient la naissance des grands hommes. Justin, Hist. xxxvii, 2 ; Suétone, Jul. Csesar, 78. Préparés par cette antique tradition, ils reçurent docilement la révélation qui leur fut faite de la naissance de ce roi. Voir Maldonat, In Matth., ii, 2.

VII. Funeste conseil donné par Balaam. — Sa mort.

— Sa prophétie terminée, Balaam reprit le chemin de Péthor. Dieu ne lui avait donc pas permis de maudire son peuple : il ne fallait pas que plus tard les Israélites, coupables et châtiés par le Seigneur, pussent attribuer

leurs malheurs à la malédiction d’un sorcier, dit Théodoret, Qusest. xuiin Num., t. lxxx, col. 390. Mais’Dieu permit qu’il leur nuisît d’une autre manière. Balaam, s’étant mis en route pour revenir dans son pays, s’arrêta chez les Madianites, voisins et alliés des Moabites. Les Madianites s’étaient joints aux Moabites pour solliciter son intervention contre Israël ; c’est sans doute ce qui détermina Balaam à séjourner chez eux en quittant le pays de Moab : il pouvait compter qu’ils écouteraient docilement ses avis, et l’événement justifia ses prévisions. Soit par un sentiment de haine contre le peuple de Dieu, soit plutôt dans l’espoir de recevoir de l’argent pour prix de ses services, il donna aux Madianites un conseil dont les effets devaient être, dans sa pensée, plus funestes aux Hébreux que n’auraient pu l’être ses malédictions ; car, s’ils avaient le malheur de tomber dans le piège qu’on allait leur tendre, ils seraient aussitôt privés du secours de Dieu, et attireraient sur eux ses vengeances. Num., xxxi, 16 ; cf. Apoc, ii, 14. À son instigation, les femmes de Moab et celles de Madian, dont certaines appartenaient aux plus grandes familles, Num., xxv, 2, 15 ; xxxi, 16, vinrent au camp des Israélites, sous le prétexte peut-être de leur offrir les marchandises dont faisaient commerce les caravanes madianites, et elles séduisirent le peuple et même un grand nombre d’entre les chefs, les faisant tomber dans le désordre, et par là ensuite dans le culte idolâtrique de Béelphégor. Num., xxv, 2-3. Le châtiment des coupables fut terrible : vingt-quatre mille d’entre eux furent passés au fil de l’épée. Num., xxv, 9.

Balaam ne jouit pas longtemps du succès de son mauvais conseil, lui-même en fut bientôt victime : par l’ordre de Dieu, les Israélites attaquèrent les Madianites et les exterminèrent, hommes et femmes, n’épargnant que les jeunes filles et les petits enfants. Leurs cinq princes furent aussi massacrés, et avec eux Balaam ; il périt ainsi sous les coups de ceux à qui il avait tant voulu nuire. Num., xxxi, 7-8, 17-18.

VIII. Ce qu’était Balaam. — - On s’est demandé si Balaam était un prophète ou un devin. Il fut certainement prophète le jour où il parla et annonça l’avenir au nom et par l’ordre de Dieu. Cf. Mich., vi, 5. Mais, selon le sentiment le plus commun, il ne fut pas un prophète au sens propre du mot. On n’est pas compté parmi les prophètes, dit saint Augustin, De diversis qusest. ad Simplvcianum, n, 1, n. 2, t. XL, col. 130, pour avoir prophétisé une fois. Tel est aussi le sentiment d’Origène, Hom. xinin Num., t. xii, col. 671 ; de saintBasile, en plusieurs endroits, entre autres Epist. 189 ad Eusthatium, t xxxii, col. 691, et de beaucoup d’autres, dont saint Thomas, 2°, 2*, q. 172, a. 6, ad 1°™, résume les doctrines d’un seul mot : Balaam fut « prophète des démons ». Cf. Tertullien, Adv. Marcion. , iv, 28, t. ii, col. 430 ; S. Jérôme, Qusest. hebraic. in Gènes., xxii, 20, t. xxilt, col. 971 ; In Job, xxxii, 2 ; Expositio interlinearis libri Job, t. xxvi, col. 1450 ; Epist. ad Fabiolam de 43 mans. in deserto, XL, t. xxiii, col. 722 ; Epist. Lxxrn, Epitaph. Fabiolse, t. xxii, col. 695 ; Estius, Annotât, in Num., xxii, 5. L’opinion commune peut invoquer en sa faveur l’Écriture elle-même. En effet, l’écrivain sacré ne donne pas à Balaam le nom de « prophète », nâbV ou hôzéh ; mais de « devin », haq-qôsêm, Jos., xiii, 22, mot toujours pris en mauvaise part. Deut., xviii, 10-12 ; I Reg., xv, 23, etc. Saint Pierre, il est vrai, l’appelle prophète, II Petr., ii, 16, mais c’est à l’occasion de l’événement dans lequel il le fut en effet. Ce nom d’ailleurs est quelquefois appliqué, dans la Bible, à des hommes qui ne sont point réellement prophètes. Deut., xiii, 1, 3, 5. — Voir A. Tholuck, Die Geschichte Bileam’s, dans ses Vermischte Schriften, 2 in-8% Hambourg, 1839, t. i, p. 406-432 ; "W. Hengstenberg, Die Geschichte Bileams und seine Weissagungen, in-8°, Berlin, 1842. E. Palis.

2. BALAAM (hébreu : BU’dm ; Septante : Ie|j16Xâav),