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ABDIAS


savoir. Or il n’y a à cet égard que deux opinions sérieuses possibles : — je laisse de côté celles qui ont trait à l'Égyptien Sésac et au roi israélite Joas, qui pillèrent la ville en leur temps, III Reg., xiv, 25-26 ; IV Reg., xiv, 11-16 ; cf. II Par., xxv, 21-24, car il est évident que ce n’est pas de ces deux faits qu’il s’agit : — l’une, qui voit dans cet événement l’invasion des Philistins et des Arabes sous Joram, II Par., xxi, 16-17 ; l’autre, qui l’identifie avec l’invasion de Nabuchodonosor. Les partisans de celle-ci se font un argument surtout des rapports qu’ils constatent entre Abd., 1-7, et Jer., xlix, 7-22 : À l’Idumée. Abdias, disent-ils, a imité Jérémie. Donc il est venu après lui, et c’est bien la guerre chaldéenne qu’il a eue en vue. — Non, ce n’est pas Abdias qui a copié Jérémie ; c’est Jérémie, au contraire, qui s’est inspiré d" Abdias, comme on le prouve par les trois raisons suivantes : 1° Jérémie est un copiste avéré, A. Kueper, Jeremias sacrorum Librorum inlerpres atque vindex, Berlin, 1837, p. x et suiv. ; 2° sa prophétie n’a pas cette unité de conception et de rédaction qui distingue son devancier, et 3° enfin, — observation critique qui a sa valeur, — parmi les termes propres à Jérémie, pas un qui se trouve dans Abdias, tandis que parmi les termes communs à tous deux, pas un qui se trouve ailleurs en Jérémie. Cf. P. Caspari, Der Prophet Obadja, p. 5-13. Mais si Abdias est antérieur à Jérémie, ce n’est donc pas de l’invasion chaldéenne qu’il parle. Du reste, il y a entre celle-ci et le récit assez pâle du petit prophète des différences essentielles. Abdias ne dit rien de la destruction de la ville, de l’incendie du temple, de l’entière dépopulation du pays, qui précédèrent l’exil. Aurait-il gardé ce silence, s’il avait entendu raconter l’expédition de Nabuchodonosor ? Voir J. Knabenbauer, In Prophetas minores, t. i, p. 340 et suiv. L'événement qu’il rappelle est donc bien l’invasion qui eut lieu sous Joram, et dont il a été question plus haut. D’un autre côté, le rapport de notre prophétie à des textes de Joël et d’Amos est constant, tout le monde l’accorde. A. Johannes, Commentar zu der Weissagung des Propheten Obadja, p. 6-8. Il est vrai que plusieurs la font dépendre de ceux-ci, mais à tort, croyons-nous. Il est certain, au contraire, que c’est Joël et Amos qui dépendent d’Abdias : Amos, il n’y a pas de doute, si Joël en dépend ; Joël, on ne saurait le nier, car il l’avoue lui-même en citant notre petit Abdias avec ces mots significatifs : « Comme l’a dit le Seigneur. » Joël, ii, 32 (hébreu, iii, 5) ; cf. Abd., 17. Abdias a donc vécu avant Joël et Amos. D’où il suit enfin que notre prophétie fut écrite entre le règne de Joram, sous lequel l’invasion eut lieu, et l’apparition de Joël et d’Amos ; plus précisément encore, sur la fin de ce règne, vers l’an 865, car l’impression produite par les maux endurés paraît récente et comme toute vive. On peut confirmer cette date et par le style du prophète, style ancien, exempt de chaldaïsmes, style « lapidaire » du reste, car on dirait de cet oracle qu’« il a été taillé dans un roc de Pétra », et par la place qu’il occupe dans le recueil des douze petits prophètes : s’il ne tient pas la première, ce qui devrait être, si l’on avait suivi strictement l’ordre des temps, du moins est-il rangé parmi ceux qui ont paru avant l’exil, ce qui suffit à renverser l’opinion que nous combattons. — Mentionnons, uniquement pour les rejeter, l’opinion de F. Hitzig, ramenant notre prophétie à l’an 302, et celle de A. Kuenen, d’après laquelle notre prophète, qui aurait vécu du temps de Jérémie, « aurait reproduit à peu près sans y rien changer un texte plus ancien : » ce sont des hypothèses, sans aucune preuve qui les appuie.

III. Langue et style d’Abdias. — Le texte de la prophétie est très pur ; elle n’a que peu de variantes, et encore sont-elles assez insignifiantes. W. Schenz, Einleitung in die kanonischen Bücher des alten Testamentes, Ratisbonne, 1887, p. 242 ; J. Knabenbauer, In Prophetas minores, 1. 1, p. 346-355 et passim. — Quant à son style, il est difficile d’en juger, car elle est très courte. Il est « énergique, pressé, presque dur, dit P. Schegg, Die kleinen Propheten, Ratisbonne, 1862, t. ii, p. 365 ; il n’a aucune forme, aucun mot rappelant un âge récent ». Quelques interrogations rompent la monotonie de ce style.

IV. Accomplissement de la prophétie. — Les deux prophéties de ce petit livre se sont réalisées avec le temps. La réalisation de la première, 1-10, a commencé sous Nabuchodonosor. Il fit, cinq ans après la ruine de Jérusalem, une expédition en Egypte, en passant par les pays d’Ammon et de Moab, qu’il soumit. Or il ne put les soumettre sans subjuguer par là même les Édomites, qui se trouvaient sur son chemin. Cf. Jer., xxvil, 3, 6. Peut-être est-ce à ce moment que les Nabatéens, race puissante et ennemie, s'établirent dans Pétra et ses environs. Plus tard, Judas Machabée les défit et les chassa des villes palestiniennes du sud qu’ils avaient prises. I Mach., v, 3, 65. Mais c’est Jean Hyrcan qui détruisit leur nationalité ; il les força à se faire circoncire et à observer le reste de la loi mosaïque. Enfin, dans la guerre de Judée, sous Titus, Simon de Gérasa entra en Idumée par trahison et en fit un désert : « elle offrit, après son passage, l’aspect d’une forêt aux feuilles mangées par les sauterelles. » Quant aux autres qui étaient du parti de Simon, ils partagèrent le sort des Juifs vaincus. Les survivants se perdirent dans les tribus arabes. Et ainsi Édom périt à jamais. Abd., 10. Sa perte fut le châtiment divin de la haine qu’il eut constamment contre Israël. Quoique descendants des deux frères, ces deux peuples ne s’aimèrent jamais. L’histoire est pleine des preuves de la haine d'Édom, haine active, haine cruelle, haine constante. Num., xx, 15 ; xxi, 4 ; Deut, xxv, 17 ; Ex., xvii, 8 et suiv. ; Jud., xi, 17 ; I Reg., xiv, 47 ; II Reg., viii, 13, 14 ; III Reg., xi, 14 ; IV Reg., viii, 20 ; I Par., xx, 10 ; II Par., xxi, 8 ; IV Reg., xiii, 20 ; II Par., xxvin, 16 ; Joël, iii, 19 ; Am., i, 11 ; Ezech., xxv, 12 ; xxxv, 5, 15 ; Ps. cxxxvi, 7. Dieu se devait d’en tirer vengeance. Il fit prédire le châtiment et accomplit sa prédiction.

L’autre prophétie, 17-21, qui est messianique, s’est réalisée doublement, au sens littéral et au sens spirituel ; car elle a ces deux sens, selon les meilleurs interprètes. Au sens littéral, elle s’est accomplie par « les sauveurs », 21, Zorobabel, Esdras, les Machabées, qui rétablirent, après l’exil et le retour des captifs, le peuple juif dans ses anciennes possessions, jugèrent Ésaü et se l’assujettirent. Mais c’est surtout au sens spirituel que cet oracle s’est pleinement vérifié. Il s’entend des temps messianiques, c’est-à-dire de l'Église catholique. Par les « sauveurs », Jésus et les Apôtres qu’il a envoyés, elle s’est étendue à partir de Sion sur toute la terre ; elle a jugé, en se l’incorporant ou en le détruisant, Ésaù, « l’homme terrestre et sanguinaire ; » et lorsque tout sera accompli, alors l’empire sera à Jéhovah : Vehâyetâh layhovdh hammelûkâh, Abd., 21. Voir, pour l’accomplissement de ces deux prophéties, F. Keil, Die zwôlf kleinen Propheten, 1873, p. 269, 270, et T. T. Perowne, Obadyah, p. 20-24, avec leurs références à Josèphe ; et pour le rapport de la deuxième aux autres prophéties messianiques, J. Knabenbauer, op. cit., t. i, p. 354-356, et F. Delitzsch, Messianic prophecies, Edimbourg, 1880, p. 56, 57. — L’exégèse juive, exacte et solide tant qu’elle applique cette prophétie à l'Édom historique, s'égare ensuite peu à peu en l’interprétant : 1° de Rome et des Romains, qui ont anéanti la nation et ses fausses espérances ; 2° des chrétiens, qu’elle regarde comme des oppresseurs : « Une règle d’interprétation des Juifs modernes, dit T. T. Perowne, op. cit., p. 23, c’est que par les Édomites on entend les chrétiens. » Voir un spécimen de ce genre d’exégèse dans Dictionary of the Bible de W. Smith, au mot Obadjah.

V. Auteurs principaux ayant spécialement écrit sur Abdias. — M. del Castillo, Commentarius in Abdiam prophetam, in-4o, Salamanque, 1556 ; L. de Léon, Commentarius in Abdiam prophetam, in-4°, ibid., 1589 ; * J. Leusden, Obadias ebraice et chaldaice una cum Matara magna et parva et cum trium præstantissimorum