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AUMONE


comme font les hypocrites… ; mais, quand vous faites l’aumône, que votre main gauche ne sache pas ce que fait votre main droite, afin que votre aumône soit faite en secret ; et votre Père, qui voit dans le secret, vous en donnera la récompense. » Matth., vi, 2-4. Il faut faire l’aumône d’une manière prévoyante et opportune : si le pauvre a faim, qu’on le nourrisse ; s’il est nu, qu’on le couvre ; s’il est captif, qu’on le visite ou qu’on le délivre, etc. Carpzov, De eleemosynis, p. 745 ; Bloch, La foi d’Israël, p. 332. Quant aux aumônes demandées publiquement par les pauvres eux-mêmes, c’est-à-dire la mendicité, voir ce mot.

5. Bienveillance spéciale à l’égard des pauvres. — La Bible recommandait instamment aux Juifs la bienveillance envers les pauvres ; voulant resserrer de plus en plus les liens qui doivent unir ces deux parties de la société, les riches et les pauvres, Moïse désirait que les Hébreux invitassent quelquefois les pauvres à leurs repas. C’est ce qui devait se faire particulièrement dans la ville qui serait le centre du culte ; d’après Deut., xiv, 22-27, chaque chef de famille israélite était tenu d’y porter une seconde dîme en nature ou en argent ; cette dime devait être employée surtout en festins religieux. Or c’était à ces festins que les Juifs devaient inviter soit les lévites, soit les pauvres. Deut., xii, 5-6, 12, 17-18 ; xiv, 22-27 ; xvi, 6, 11-14. Cf. Rosenmûller, In Deut., xii, 7 ; xiv, 22, p. 517-518, 525 ; Michælis, Mosaisches Recht, § 143, t. ii, p. 476-479.

Il est digne de remarque que les Arabes ont sur l’aumône une législation tout à fait semblable à celle des Juifs : même distinction entre les aumônes légales et les aumônes volontaires ; même nom, sadaqatun, « justice, » donné aux aumônes ; "même obligation de prélever l’aumône sur tous les fruits de la terre, des arbres, des animaux, etc. Voir G. Sale, Observations sur le makométisme, dans Pauthier, Les livres sacrés de l’Orient, Paris, 1841, p. 507. Mahomet s’est empressé de consigner et de préciser ces traditions dans le Koran ; voir surtout les passages suivants : ii, 211, 255, 266, 269-275 ; iii, 86, 128 ; IX, 60, 68, 99-100 ; xxx, 38 ; lvii, 7, 10 ; lviii, 13-14 ; lxiii, 10 ; lxiv, 16-17. Plusieurs de ces versets sont tellement semblables à ceux que nous avons cités du Lévitique ou du Deutéronome, qu’évidemment l’auteur du Koran les a copiés dans la Bible.

II. Aumône chez les chrétiens. — Par quelques mots, JésusChrist transporta l’aumône comme dans un monde nouveau, et offrit à ses disciples, pour les porter à secourir les pauvres, un motif d’une élévation et d’une efficacité prodigieuses ; il déclara qu’il regarderait comme fait à lui-même tout ce que l’on ferait, pour l’amour de lui, au plus petit des siens. Matth., xxv, 34-45 ; cf. x, 42 ; xviii, 35 ; Marc, ix, 48. Ce fut là le grand et principal mobile de toutes les manifestations de la charité chrétienne dans tous les temps et chez tous les peuples. Voir saint Jean Chrysostome, De pcenitentia, Hom. vii, 7, t. xlix, col. 334-336 ; In Matth., Hom. lxvi et lxxix, t. lviii, col. 629, 718.

1° Noms de l’aumône dans le Nouveau Testament. — Les paroles citées de Notre -Seigneur donnèrent, dès le commencement de l’Église, la plus haute idée de l’aumône. Outre son nom ordinaire, èXe^tio^ivri, eleemosyna, que nous trouvons Act., xxiv, 17, et d’où vient notre mot « aumône », on lui en donna plusieurs autres qui font bien ressortir son caractère, pour ainsi dire, sacré. Jésus-Christ lui-même l’appelle quelquefois, comme les Juifs d’alors, sidqâh, c’est-à-dire « justice ». Lorsqu’il prononça sur l’aumône les paroles que nous lisons Matth., VI, 1-4, il n’y a pas de doute qu’il ne l’ait appelée, suivant l’usage du temps, de son nom araméen ; car il n’y a pas dans cette langue d’autre nom pour désigner l’aumône, et c’est ce même mot sidqâh que nous retrouvons dans la Peschito aux versets indiqués. C’est ce même mot que la Vulgate a traduit, au ^.1, par justitia, et aux autres versets par eleemosyna. Les Septante l’ont traduit, DICT. DE LA BIBLE

au vers. 1, par Bixsttosûvri, suivant plusieurs manuscrits ; par è>eïj[to(jûvr), suivant d’autres. Cf. Lightfoot, Horse hebraicas, Leipzig, 1675, in Matth., vi, 1-4, p. 287-292.

— L’apôtre saint Paul, .dans ses Épltres, donne à l’aumône les noms suivants : v.oivwv(a (Rom., xv, 26), « communion, communication, » ce qui signifie la participation fraternelle des chrétiens pauvres aux biens de leurs frères plus aisés ; eùXoyfa (II Cor., ix, 55, et ailleurs), « bénédiction, » parce que l’aumône est une bénédiction ou un bienfait du riche à l’égard du pauvre, et parce qu’elle attire sur celui qui la fait les bénédictions du ciel les plus abondantes : « Celui qui sème les bénédictions recueillera les bénédictions, » Il Cor., ix, 6 ; ^dtptç (I Cor., xvi, 3, et ailleurs), « grâce, » ou plutôt « gracieuseté, faveur », parce que l’aumône est par excellence le fruit libre et spontané de la bienveillance des chrétiens les uns pour les autres ; XeiToupyta (II Cor., IX, 12), « fonction sacrée, » parce que l’aumône, s’adressant en définitive à Jésus-Christ, est un acte religieux et saint. Quant à la collecte des aumônes, saint Paul l’appelle Xoyi’o, I Cor., xvi, 1, et il donne le nom de Siaxovîa au service qui a pour but la perception et la distribution des aumônes, II Cor., viii, 4 ; IX, 1, 13. Voir Cornely, In I Cor., XVI, 1, Paris, 1890, p. 519, et Grimm, Lexicon Novi Testamenti, Leipzig, 1888, p. 141, 181, 245, 463.

2° Organisation de l’aumône chez les chrétiens. — Dans les premiers temps de l’Église de Jérusalem, il n’y eut pas lieu, pour les chrétiens, à l’aumône proprement dite ; car, dit le texte sacré, « il n’y avait aucun pauvre, èvBeti ; , parmi eux. » Ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient et en déposaient le prix aux pieds des Apôtres ; personne n’appelait « sien » ce qu’il possédait ; tous les biens étaient communs, et on distribuait à chacun ce dont il avait besoin. Act., iv, 32-35. Mais le nombre des disciples s’étant accru, la communauté des biens, qui n’est possible que dans un cercle restreint de personnes, fut supprimée ; la propriété privée reparut, et avec elle, peu à peu, l’indigence et la pauvreté : « Vous aurez toujours des pauvres parmi vous, » avait dit le Maître. Joa., xii, 8. C’est alors qu’on organisa l’aumône. Dès l’an 37 ou 38 après J.-C, nous constatons dans la communauté chrétienne de Jérusalem des distributions de secours faites régulièrement, Act., vi, 1 ; ce sont surtout les veuves qui en sont l’objet ; mais il est évident que les autres pauvres ne sont pas exclus ; les fonctions qui se rapportent à ces aumônes constituent « un ministère quotidien » ; il est même probable qu’il y avait des tables communes pour différentes catégories d’indigents, comme nous pouvons le déduire de ces paroles des Apôtres : « Il n’est pas juste que nous abandonnions la parole de Dieu, pour servir aux tables. » Act., vi, 2. Fouard, Saint Pierre, Paris, 1889, p. 72. Le fait que rapporte le livre des Actes, vi, 1, c’est-à-dire le murmure des Juifs hellénistes contre les Hébreux, qui ne paraissaient pas avoir été impartiaux dans ces distributions d’aumônes, fut l’occasion d’une organisation de service plus régulière et plus forte. Jusquelà probablement on avait abandonné le soin des pauvres et des tables à des personnes privées, sous la haute direction des Apôtres ; à partir de ce moment, les Apôtres choisirent et ordonnèrent sept diacres qui furent chargés officiellement de ces soins. Act., vi, 2-6.

Telle était, huit ou neuf ans à peine après l’Ascension du Sauveur, l’organisation des aumônes à Jérusalem. Sans aucun doute, à mesure que l’Église se développait, une organisation analogue s’établissait, au inoins dans les communautés chrétiennes plus nombreuses. Nous en avons comme preuves : 1. le texte I Cor., xvi, 15, où saint Paul, en l’an 56, nous signale, dans la ville de Corinthe, une famille entière, celle de Stéphanas, le premier converti de. toute l’Achaïe, qui se dévoue au service des pauvres ; 2. le texte I Tim., v, 16, où saint Paul, par l’intermédiaire de Timothée, recommande aux fidèles qui ont des veuves et peuvent les nourrir de s’acquitter de ce

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