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pour celle de ses frères. Comme Pierre averti par Jésus-Christ n’en fut que plus coupable dans son renoncement, Aaron fut d’autant plus inexcusable dans la faute que nous allons raconter, que Dieu l’avait prémuni d’avance par le privilège d’une vision merveilleuse. Sur la pente occidentale du Djebel-Mouça, où il s’était rendu avec Moïse et d’autres Israélites désignés comme lui par le Seigneur, il lui avait été donné de voir « le Dieu d’Israël et, sous ses pieds, comme un pavé de saphir et comme le ciel quand il est serein ». Exod., xxiv, 10. Et c’est à la suite de cette faveur divine que Moïse, avant d’achever son ascension en compagnie du seul Josué jusqu’au haut de la montagne, chargea Aaron de régler avec Hur les difficultés qui pourraient surgir en son absence. Exod., xxiv, 9-14.

Or il s’en présenta une que personne n’avait prévue : les Israélites, fatigués d’attendre le retour de Moïse, s’assemblèrent autour d’Aaron et lui dirent : « Fais-nous un dieu qui marche devant nous. » Aaron leur dit : « Ôtez les pendants d’oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles, et apportez-les-moi. » Exod., xxxii, 1-2. Il espérait peut-être, en leur imposant ce sacrifice, les détourner de leur projet criminel. Théodoret, Quæst. lxvi in Exod., t. lxxx, col. 292. Il se trompait. Ces bijoux lui furent apportés ; il les fondit et en forma un veau d’or, devant lequel il dressa un autel. Voir Veau d’or. Il fit ensuite publier par tout le camp que le lendemain serait un jour de fête solennelle du Seigneur. Dès le matin, en effet , on immola des holocaustes et des hosties pacifiques à l’idole.

Quelle fut la nature du péché commis en cette circonstance par les Israélites, dont Aaron fut le complice et le fauteur ? Le veau d’or était indubitablement un souvenir ou du bœuf Apis, adoré à Memphis, ou, plus probablement, de Mnévis, plus connu des enfants d’Israël parce qu’on l’adorait à On du nord ou Héliopolis, ville voisine de la terre de Gessen ; c’est un prêtre d’Héliopolis qui avait donné sa fille en mariage à Joseph. Gen., xii, 45. Mais le peuple voyait-il dans cette image une divinité autre que Jéhovah ? Quelques-uns l’ont pensé. D’autres croient avec plus de raison que la faute des Israélites consista à vouloir adorer Dieu sous cette figure d’animal, ce qui était un grand crime, quoique Aaron rapportât expressément au vrai Dieu l’adoration du veau d’or dans la fête annoncée. Exod., xxxii, 5 ; Ps. cv, 19-20.

Du reste, si Aaron avait pu, dans la conjoncture difficile où il se trouvait, se faire quelque illusion sur la gravité de sa faute, cette illusion dut cesser à l’arrivée de Moïse, qui descendit de la montagne le jour même pu avait lieu cette fête sacrilège dans la plaine d’Er-Rahah. Le législateur d’Israël rapportait du Sinaï les tables de la loi. À la vue de ce peuple en délire, qui dansait en chantant et en poussant des cris de joie selon la coutume orientale , il fut transporté d’une sainte colère et brisa les tables de la loi contre le roc du Soufsaféh. S’avançant ensuite jusqu’au veau d’or, il le saisit, le mit dans le feu et le réduisit en poussière ; puis il jeta cette poussière dans l’eau, probablement dans le ruisseau qui coule encore aujourd’hui dans l’ouadi Schreich, afin que le peuple fût obligé de la boire. Il s’adressa enfin à son frère comme au véritable auteur de tout le mal : « Que vous avait fait ce peuple, lui dit-il, pour que vous l’ayez fait tomber dans un si grand péché ? » Exod., xxxii, 21. C’était le reproche le plus accablant qu’il pût adresser au futur pontife d’Israël. Aaron n’y sut faire qu’une réponse embarrassée, aussi peu capable de le justifier que de conjurer les funestes conséquences de sa faute ; car, en punition du crime que sa faiblesse avait laissé commettre, vingt-trois mille hommes (trois mille seulement selon le texte hébreu et un grand nombre de versions) périrent par le glaive des Lévites, exécuteurs des ordres de Moïse, Exod., xxxii, 28, et lui-même aurait péri comme eux, si son frère n’avait désarmé la colère de Dieu et obtenu son pardon. Deut., ix, 20.

II. Aaron grand prêtre. — Il n’entrait pas dans les desseins de Dieu de rétracter à cause de ce péché le choix qu’il avait fait d’Aaron ; il l’avait appelé lui-même au Sacerdoce, Hebr., v, 4, il lui suffisait de l’avoir instruit par cette humiliante leçon. Lors donc que le moment fut venu, Moïse procéda, conformément aux prescriptions divines sommairement énoncées dans le chapitre xxix de l’Exode, à la consécration d’Aaron comme grand prêtre, et à celle de ses fils Nadab, Abiu, Éléazar et Ithamar comme prêtres. Voir Grand prêtre.

Le Seigneur voulut que cette cérémonie eût lieu avec un appareil et une pompe propres à donner à Israël la plus haute idée du nouveau sacerdoce qui devait présider à ses destinées religieuses. Les Hébreux, réunis dans cette même plaine d’Er-Rahah, théâtre de leur idolâtrie, avaient devant eux, sur le Djebel-Moneidjah, une des ramifications orientales du Sinaï, le tabernacle nouvellement construit. Là, devant la porte du tabernacle et à la vue de tout le peuple, Moïse, prêtre et médiateur, Gal., iii, 19, agissant comme représentant de Dieu, offrit les divers sacrifices et accomplit les nombreuses cérémonies de cette consécration, sacrifices et cérémonies qui furent répétés sept jours consécutifs, durant lesquels Aaron et ses fils demeurèrent complètement séparés du reste d’Israël. Quand, à la fin, le grand prêtre eut inauguré ses fonctions de sacrificateur par l’immolation des victimes, il bénit le peuple, sans doute selon le rite prescrit au livre des Nombres, vi, 24-26, et il entra avec Moïse dans le tabernacle comme pour en prendre possession. À leur sortie, Dieu ratifia solennellement tout ce qui s’était fait : sa gloire apparut sur le tabernacle, et un feu céleste consuma la chair des holocaustes. Lev., viii et ix.

L’institution du sacerdoce aaronique était une des plus importantes de la loi nouvelle que Dieu donnait à son peuple. Elle devait avoir pour la conservation de la religion véritable une influence très grande. Mais c’était en même temps une innovation qui, malgré le soin avec lequel elle avait été préparée en la personne d’Aaron, étonna les tribus d’Israël et suscita des mécontentements qui plus tard se manifestèrent au grand jour. D’après les coutumes patriarcales, c’était l’ainé de la famille qui remplissait les fonctions de prêtre. Le sacerdoce semblait donc revenir de droit à la tribu de Ruben. Jacob mourant lui avait, il est vrai, enlevé les privilèges de la primogéniture ; mais ses descendants ne se résignèrent pas si aisément à être privés d’un si grand honneur. Le peuple, de son côté, avait bien été accoutumé en Egypte à voir une organisation sacerdotale particulière, qui aurait pu le préparer à accepter l’organisation mosaïque ; cependant telle est la force des traditions et des coutumes chez les Orientaux, qu’on n’accepta pas sans quelque peine les ordres divins. Ce ne fut que par des prodiges que Dieu put imposer sa volonté à Israël.

Il lui fallut aussi des exemples terribles pour enseigner aux nouveaux prêtres de quelle manière ils devaient remplir leurs fonctions sacrées, avec quelle exactitude et quel respect ils devaient accomplir les rites prescrits. Le jour même de la consécration d’Aaron, à l’heure du sacrifice de l’encens, Nadab et Abiu, les fils aînés d’Aaron, ayant manqué, dans les cérémonies, aux prescriptions divines, Num., iii, 4 ; xxvi, 61, sur-le-champ une flamme partie probablement de l’autel des parfums les foudroya, et ils furent emportés hors du tabernacle encore revêtus de leurs habits sacerdotaux. Témoin de cette triste scène, Aaron en fut abattu et troublé au point de négliger lui-même une cérémonie importante ; mais sa résignation fut absolue, et la foi du pontife imposa silence aux plaintes du père. Lev., x.

Peu de temps après avoir donné à Aaron cette leçon indirecte de respect pour les saintes cérémonies du culte, Dieu lui donna de sa propre bouche une leçon d’humilité, en lui montrant que, malgré sa dignité de grand prêtre, il restait toujours de beaucoup inférieur à son frère, dont il venait de méconnaître l’incomparable grandeur. C’était