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ASSOMPTION


présente à nous de tous les côtés ; nous la recueillons sous la plume des écrivains comme sur les lèvres des orateurs. Nous devons ajouter qu’au delà de cette époque il n’en est plus de même. Tout au plus peut-on conjecturer que saint Grégoire le Grand a emprunté l’oraison « Veneranda », que nous avons citée plus haut, au Sacramenlaire de saint Gélase. Le Sacramentaire de saint Gélase, que nous a fait connaître Tommasi, ne contient pas l’oraison « Veneranda », pas plus du reste qu’aucune oraison. On croit cependant que les oraisons existaient dans la liturgie de saint Gélase, et que saint Grégoire les a adoptées. De cette façon, nous atteindrions la fin du Ve siècle. En tout cas, nous ne pouvons aller plus loin. Dans les quatre premiers siècles, on chercherait vainement un témoignage autorisé en faveur de l’assomption de Marie. Nous savons qu’on a. souvent allégué un passage du livre des Noms divins, attribué à saint Denys l’Aréopagite, et un texte de la Chronique d’Eusèbe. Pour nous, nous renonçons à nous appuyer sur de pareilles autorités. Le livre des Noms divins, en effet, a été écrit à la fin du Ve siècle, tout le monde en convient aujourd’hui, et non par le disciple de saint Paul. D’ailleurs ce livre ne dit point ce qu’ordinairement on lui fait dire. D’après plusieurs auteurs, le. pseudoDenys aurait fait le récit des derniers moments de la sainte Vierge ; il aurait raconté que les Apôtres, assemblés autour du lit de la Mère de Jésus, recueillirent son dernier soupir, et aurait ajouté qu’un grand prodige eut lieu ensuite. Tout cela ne prouve point l’assomption. D’ailleurs tout cela.n’est pas dans le texte du pseudo-Denys, texte très obscur, dont il est difficile de préciser le sens, et qui, au dire de Tillemont et de Thomassin, ne parle même pas de la sainte Vierge. Pour l’explication du texte, voir Thomassin, De dierum festivorum celebritate, 1. ii, ch. xx, § 12, et Tillemont, note xv sur la sainte Vierge, -- Quant au texte de la Chronique d’Eusèbe, Patr. lat., t. xxvii, col. 581, c’est différent : on ne peut nier qu’il y a une allusion non équivoque à l’assomption corporelle dans la phrase : « Maria Virgo… ad Filium assumitur in cœlum, ut quidam fuisse sibi revelatum scribunt. » Par malheur, cette phrase est regardée comme apocryphe par les érudits. Nous ne parlerons même pas d’un sermon attribué à saint Augustin, où la résurrection de Marie est proclamée et prouvée longuement. Ce sermon est du XIIe siècle, et les bénédictins l’ont rélégué ad calcem (cf. Migne, Patr. lat., t. xl, p. 1142). Faut-il donc conclure que la croyance à l’assomption de la sainte Vierge ne remonte pas plus haut que le VIe siècle, et que, si on n’en saisit aucune trace avant cette époque, c’est qu’elle était encore inconnue à l'Église ? Une telle conclusion serait erronée. Le grave Thomassin, frappé du peu de place que le culte de la sainte Vierge occupait dans l'Église primitive, en trouve la raison dans une disposition de la Providence. « Comme dans les premiers siècles, dit-il, on avait sujet de craindre le renouvellement de l’idolâtrie, on se ménageait sur les honneurs de la sainte Vierge, pour ne pas donner occasion de lui en rendre d’excessifs. Les païens avaient adoré je ne sais combien de déesses mères de faux dieux. Il était à craindre que l’on en vint à adorer la Mère du véritable Dieu. » — Qu’on explique ce fait comme on voudra, il est du moins incontestable que plusieurs des vérités qui font partie du dépôt de la Révélation, et qui par conséquent sont d’origine apostolique, ont traversé les premiers siècles enveloppées en quelque sorte d’un voile d’ombre et de mystère, et n’ont fait leur apparition au grand jour qu’au sortir des persécutions. Et sans aller bien loin chercher un exemple, le dogme de l’Immaculée Conception n’est-il pas de ces vérités ? Lui aussi n’a-t-il pas attendu le vie et le vu siècle pour s'épanouir ? N*a-t-il pas traversé les premiers âges de l'Église, vivant d’une vie latente, comme la graine qui n’a pas encore rencontré le terrain propre à sa germination ? La croyance à l’assomption peut donc être d’origine apostolique, bien que l’on doive attendre

le vie siècle pour en constater la présence dans l'Église. Cette origine apostolique semble même être la seule explication raisonnable du consentement que nous apercevons dans l'Église à l'époque de saint Grégoire le Grand. De là vient qu’au concile du Vatican plus de trois cents Pères ont signé diverses propositions tendant à solliciter la définition dogmatique de l’assomption corporelle. Voir Martin, Documenta concilii Vaticani, p. 105. Ces Pères étaient persuadés que la croyance générale de l'Église remonte jusqu’aux Apôtres, qui eux-mêmes ont été instruits sur ce point par Dieu. Il ne nous appartient pas de prévenir la décision de l'Église. La croyance à l’assomption de la sainte Vierge pourrait devoir son origine à une révélation privée que la Providence aurait faite au sortir des persécutions, ou encore à l'époque où Nestorius lançait ses blasphèmes contre la Mère de Dieu. Elle pourrait par conséquent être en dehors du dépôt confié aux Apôtres sans cesser d'être vraie. Dans ce cas-là même, elle s’imposerait à nous dans une certaine mesure, comme étant une vérité que l'Église approuve et favorise, sans être susceptible toutefois d'être érigée au rang des dogmes, catholiques. Nous avons voulu seulement établir qu’on ne devait pas rejeter à priori son origine apostolique, ni déclarer impossible une définition de l'Église à son sujet.

Quoi qu’il en soit, nous pouvons appliquer à l’assomption les paroles de Bossuet sur l’Immaculée Conception, nous pouvons la ranger au nombre de ces propositions « qui jettent au premier aspect un certain éclat dans lésâmes, qui fait que souvent on les aime avant même de les connaître ». Bossuet, 1 er Sermon sur la Conception. De toutes les raisons de convenance, en effet, qu’on invoque en faveur de l’Immaculée Conception, il n’en est pas une qui ne puisse, à un certain degré, être transportée à l’Assomption. On ne peut nier qu’il était peu convenable à NotreSeigneur de laisser au tombeau et d’abandonner à la pourriture le corps de sa divine Mère. Comment ne pas reconnaître tout ce qu’il y a de fondé dans ces paroles du pieux auteur dont nous avons vu le sermon attribué à saint Augustin ? « Tanta sanctifîcatio dignior est cœlo quam terra, et tam pretiosum thesaurum dignius est cœlum servare quam terra. » Et si quelqu’un voyait dans la résurrection un miracle difficile à admettre, nous lui répondrions avec Bossuet, loc. cit. ; « Sa maternité glorieuse met Marie dans un rang tout singulier, qui ne souffre aucune comparaison.Combien y a-t-il de lois générales dont Marie a été dispensée ?… Si nous y remarquons, au contraire, une dispense presque générale de toutes les lois, si nous y voyons un enfantement sans douleur, une chair sans fragilité, des sens sans rébellion…, qui pourra croire que ce soit le seul endroit de sa vie qui ne soit point marqué de quelque insigne miracle ? »

II. Circonstances du mystère. — Nous n’avons aucune donnée certaine sur les circonstances de temps et dé lieu dans lesquelles s’est accompli le mystère de l’Assomption. Et d’abord, pour ce qui est de la date, Baronius lui assigne l’année 48 ; mais il a soin de nous dire qu’il n’attache à cette date aucune importance, et qu’elle est à ses yeux, purement hypothétique. Dans cette hypothèse, la sainte Vierge était âgée de soixante-neuf ans environ lorsqu’elle monta au ciel. D’autres Pères pensent qu’elle avait de soixante-douze à soixante-quinze ans. Mais, nous le répétons, il est impossible d’appuyer un calcul quelconque sur un fondement certain.

Quant au lieu qu’habitait la sainte Vierge lorsqu’elle quitta la terre, deux opinions sont en présence : l’une place la mort de Marie et sa résurrection à Éphèse ; l’autre place ces deux événements à Jérusalem. La première opinion s’appuie sur la lettre synodale du concile d'Éphèse, . dans laquelle, parlant de la ville où ils sont rassemblés, les Pères s’expriment ainsi : "Ev8<x & ôsoXAyoî 'Ieacfovv)ç, xai 7) ŒOTÔxoç IlapOévoç î) àysa Mapta, <l. où le théologien Jean et la Vierge sainte Marie. » Voir Labbe, Collect. Concil., t. iii, p. 573. Inutile de faire remarquer