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ASSOMPTION


nous voulons faire remarquer, c’est qu’ici comme toujours la croyance des docteurs n’est que le reflet de la croyance de l'Église. C’est sous le contrôle de l'Église que les théologiens enseignent. En les laissant défendre l’assomption, l'Église a évidemment donné à leur enseignement une approbation tacite.

La liturgie offre, disons-nous, une seconde forme de cette approbation. Sans doute les prières liturgiques insistent surtout sur le triomphe spirituel de Marie au ciel, et sur la puissance dont elle y est investie. Pourtant les homélies de saint Jean Bamascène et de saint Bernard, que saint Pie V a introduites dans le Bréviaire, prouvent que l'Église entend célébrer la résurrection et l’assomption corporelle de la Mère de Dieu, non moins que la gloire dont son âme fut remplie. — Le nom lui-même de la fête, Assumptio, dépose en faveur de cette même croyance. Nous n’ignorons pas que ce terme était employé primitivement pour désigner la mort d’un saint, et qu’ainsi il était synonyme des expressions transitus, exitus. Mais, en le réservant à la sainte Vierge, l'Église lui a évidemment donné un sens spécial. Il faut donc reconnaître que le mot assumptio désigne un privilège propre à Marie, privilège qui ne peut être que celui de la résurrection et de l’entrée au ciel en corps et en âme.

Si l'Église approuve et recommande la croyance à l’assomption corporelle, il s’ensuit que cette croyance s’impose à nous dans une certaine mesure. C’est du reste ce dont conviennent tous les théologiens. Ils ne vont pas jusqu'à taxer d’hérésie celui qui se permettrait de dire ou de penser que le corps de Marie est resté dans le tombeau ; mais ils n’hésitent pas à le déclarer coupable d’une grande témérité : « Beatam Virginem non esse in cœlos cum corpore assumptam petulanti temeritate diccretur. » Ainsi s’exprime Melchior Cano au liv. xii, chap. x, de ses Lieux théologiques. Suarez tient le même langage, 3= part., Disp. 25, sect. 2 ; Baronius, dans ses Annales, ad annum 48, § 17, n’est pas d’un autre avis. Et comme, selon la remarque de Thomassin, on ne se trompe pas en acceptant les opinions que l'Église juge probables, sans les ériger en dogmes, il faut conclure avec ce savant théologien qu’on ne doit pas douter que le corps de.la Mère de Dieu n’ait fait son entrée au ciel avec son âme. — Mais, par cela même qu’il s’impose à nous, dans la mesure que nous venons de préciser, le mystère de l’assomption corporelle doit pouvoir être prouvé, et il importe d’exposer les preuves sur lesquelles repose notre croyance.

La première question qui se présente dans un Dictionnaire de la Bible est de savoir si l’assomption corporelle de la sainte Vierge peut être démontrée par la. Sainte Écriture. Nous répondrons sans hésiter qu’on ne saurait trouver, dans l’Ancien ou le Nouveau Testament, aucun texte dont le sens littéral soit de nature à établir la sublime prérogative de Marie. Sans doute les Pères du vni" siècle et les saints docteurs du moyen âge appliquent, dans leurs homélies, divers passages de la Bible à l’assomption de la sainte Vierge. Parmi les textes que nous rencontrons le plus ordinairement, nous pouvons citer les suivants : « Ingredere in requiem tuam, tu et arca sanctificationis tuæ, » Ps. cxxxi, 8, d’où les Pères, et à leur suite les commentateurs, ont conclu que Notre - Seigneur a introduit dans le ciel le corps auguste auquel il devait sa naissance temporelle. — « Astitit Regina a dextris tuis in vestitu deaurato, circumdata varietate, « Ps.xliv, 10, qui, appliqué à Notre-Seigneur, nous montre à ses côtés Marie, portant une parure royale, ornement de son corps glorieux. — Enfin le texte de l’Apocalypse, xii, 1 : « Et signum magnum apparuit in cœlo, mulier amicta sole, » etc. Cette femme mystérieuse, en effet, qui enfante un fils en présence du Dragon, n’est-ce pas la Vierge Marie mettant au monde le Sauveur, qui devait écraser le serpent infernal ? Et quand le texte ajoute que cette femme reçoit deux grandes ailes pour s’envoler au désert, ne peuton pas voir là un symbole de la Mère de Dieu quittant la terre pour s’en voler au ciel ? Tous ces textes néanmoins ne s’appliquent à l’assomption de la sainte Vierge que dans le sens allégorique, sens qui fournit, il est vrai, à l'éloquence sacrée des ressources abondantes non moins que légitimes, mais dont on ne peut se servir pour prouver une vérité, pour établir un fait. En parlant ainsi, nous ne nous mettons point en opposition avec les vénérables docteurs du moyen âge. Ils ne se faisaient point illusion sur la valeur des textes qu’ils empruntaient à l'Écriture. Ds se proposaient, par ces textes, d'éclairer et d’illustrer le mystère de l’assomption ; ils ne se proposaient point de le prouver. C’est ce que déclare expressément Suarez, 3= part., Disp. 21, sect. 2 : « Sententiam Virginis Maria ? non esse de fide, quia neque ab Ecclesia deflnitur, neque est testimonium Scripturœ. »

Étranger à l'Écriture Sainte, le mystère de l’assomption est donc une de ces vérités qui se sont transmises par l’enseignement oral, et sur lesquelles il appartient à la tradition de nous instruire. Interrogée, la tradition nous montre la croyance à cette vérité en vigueur au commencement du Vil 8 siècle. À partir de cette époque, en effet, les écrivains ecclésiastiques dans leurs livres, les orateurs dans leurs discours, s’accordent à affirmer la résurrection de la Mère de Dieu et son glorieux enlèvement au ciel. C’est alors que saint Modeste de Jérusalem et saint André de Crète prononcent leurs homélies sur le sommeil de la sainte Vierge : Eî ; ttjv Ko((jiyi<jiv tt|c 8ecr7toivY|Ç 7)|jiâ>v 6eoto’xov. Migne, Patr. gr., t. lxxxvi, 2 « part., col. 32773312 ; t. xcvii, col. 1045-1100. C’est à la même date, ou plutôt à la fin du vie siècle, que saint Grégoire le Grand écrit son Sacramentaire, où nous lisons, à la date du 15 août, la célèbre collecte : « Veneranda nobis, Domine, hujus est diei festivitas, in qua sancta Dei Genitrix mortem subiit temporalem, nec tamen mortis nexibus deprimi potuit. » Voir, pour l’explication de ce texte, Serry, Exercitationes historicse de Christo, 66, et le Mariale attribué à Albert le Grand, q. 132, t. XX des œuvres de ce théologien. — C’est encore à la fin du VIe siècle que saint Grégoire de Tours écrit son livre De gloria martyrum, où nous lisons, Mirac., lib. i, c. IV, t. lxxi, col. 708 : « Dominus susceptum corpus [Virginis] sanctum in nube deferri jussit in paradisum. » Si nous descendions le cours des siècles, nous rencontrerions sur notre chemin, en Orient, les homélies de saint Jean Damascène ; en Occident, les sermons de saint Anselme et de saint Bernard. Cette recherche ne serait pas à sa place ici. D’ailleurs l’assomption de Marie n’a pas suscité les querelles ardentes dont a été l’objet son Immaculée Conception. Non pas pourtant qu’elle ait conquis tous les suffrages et gagné tous les esprits. Au IXe siècle commença à circuler, sous le nom de saint Jérôme, un écrit intitulé : Lettre à Paule et à Eustochie, où la résurrection de la sainte Vierge était révoquée en doute. Nous savons aujourd’hui que saint Jérôme n’est pour rien dans cette prétendue lettre à Paule et à Eustochie. Nous savons que non seulement il ne l’a pas écrite, mais qu’il n’a pas pu l'écrire, puisque cette lettre a été composée vers la fin du vme siècle. Mais, pendant tout le moyen âge, l’imposture fit son chemin, et le nom de saint Jérôme jeta le trouble dans certaines âmes, qui n’osèrent pas contredire le grand docteur. C’est ainsi qu’il faut expliquer l’attitude d’Usuard et d’Adpn, qui, dans leurs Martyrologes, s’inscrivirent en faux contre la croyance à l’assomption corporelle. Ces exemples furent heureusement rares : aucun des docteurs scolastiques ne se laissa ébranler par la lettre à Paule et à Eustochie, et tous, ainsi que nous l’avons dit, furent d’accord à professer la résurrection glorieuse de Marie. La lettre à Paule est souvent désignée sous le nom de Lettre du faux Sophrone, parce que le bénédictin Martianay l’attribua au moine Sophrone, contemporain de saint Jérôme. Voir Opéra sancti Hieronyrni, par Martianay, t. v, p. 33, et Migne, Patr., t. xxx, p. 122.

Ainsi donc, à partir du vu » siècle, et même à partir de la fin du vi « , la croyance à l’assomption corporelle se