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tiques, en se soumettant d’avance avec respect au jugement de l’Église, on peut utilement discuter de très délicates questions, émettre, pour répondre à nos adversaires, des idées neuves, hardies, même contestables, pourvu qu’elles n’aillent pas jusqu’à la témérité, il ne conviendrait pas de les exposer dans un Dictionnaire en quelque sorte classique.

Il y a toujours eu dans l’Église une grande liberté de discussion, un flux et reflux d’opinions opposées. L’invasion de la critique dans les études bibliques effraye à tort ; elle n’est pas plus dangereuse en soi que ne le fut, par exemple, au moyen âge, l’introduction de la philosophie d’Aristote. Quelle nouveauté, quelle surprise alors, quand les théories des Grecs prirent place dans la théologie proprement dite, quand on donna une si large part à des raisonnements appuyés non plus seulement sur l’Écriture, mais sur la philosophie païenne ! C’était une innovation inouïe. C’était la raison cherchant par tous les moyens à justifier la foi. Quelle vie intense, pendant la période proprement scolastique, dans les universités ou écoles rivales ; quelle activité intellectuelle, quelle liberté d’allures, quelles divergences d’opinions, quelles théories hasardées sur l’origine, l’objectivité de nos connaissances, la nature de la grâce et de la liberté : luttes entre réalistes et nominaux, thomistes et scotistes, puis entre jésuites, dominicains et augustiniens ! Tout cela est dans la nature des choses, dans les tendances de l’esprit humain. Le monde se partage entre autoritaires et raisonneurs. Cette double influence se retrouve dans toute l’histoire de l’Église. Certains siècles se caractérisent par une marche en avant, d’autres ramènent les esprits en arrière : corsie ricorsi ! En parlant ainsi, en signalant les divergences des théologiens, je suis loin de les blâmer. C’étaient des hommes d’une haute intelligence, d’une très grande piété ; plusieurs d’entre eux sont canonisés, beaucoup d’autres mériteraient de l’être.

Le spectacle est le même aujourd’hui, mais la lutte s’est déplacée suivant les siècles. Aujourd’hui l’histoire et l’Écriture ont mis au second plan la théologie proprement dite. Le courant nouveau s’établit avec la réforme. Pendant que les protestants primitifs s’en tenaient à leur doctrine rigoureuse sur l’inspiration, que beaucoup de catholiques de marque, comme Estius et son école, luttaient énergiquement en faveur d’une théorie qu’ils croyaient être la vraie tradition de l’Église, les Jésuites, plus larges, se firent les champions de la raison et de la liberté humaine, ils soutinrent sur l’inspiration de l’Écriture un sentiment plus acceptable que celui des docteurs de Louvain. Pendant que leurs confrères s’élevaient contre les duretés de l’école augustinienne, les Bollandistes renouvelaient l’histoire, réagissaient contre le manque de critique du moyen âge, faisaient pieusement justice de nombreuses et gracieuses légendes, qui s’épanouissaient dans les monastères comme les marguerites dans les prés. Mal leur en prit quelquefois, et l’on sait les tribulations de Papebrock pour avoir osé toucher à la légende d’Élie ! Il en coûte parfois d’avoir raison.

Le conflit reparaît aujourd’hui sous une autre forme ; il paraît d’autant plus grave qu’il s’agit d’intérêts plus sacrés. Les adversaires sont tous d’excellents chrétiens, parfaitement soumis à l’Église ; ils n’ont d’autre but que de défendre la foi par les moyens qu’ils croient être les meilleurs. Ici encore se retrouve la distinction signalée plus haut entre autoritaires et raisonneurs : les uns qui n’étudient la Bible qu’à genoux et n’y voient que la pensée divine sans mélange humain ; les autres qui pensent que ce Livre, si divin qu’il soit, n’échappe pas complètement aux conditions de composition