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ARBRES DE LA VIE ET DE LA SCIENCE


2. ARBRES DE LA VIE ET DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL, mentionnés spécialement, Gen., ii, 9, au nombre des ai’bres de toute espèce qui ornaient le paradis terrestre. Les rationalistes les considèrent comme des mythes d’importation étrangère. Littré, Du mythe de l’arbre dévie, Philosophie positive, t. v, novembre 1869, p. 340-344, pense que l’auteur de la Genèse les a empruntés aux livres mazdéens de l’Iran. M. Renan les fait dériver des traditions babyloniennes, conservées oralement pendant des siècles dans la mémoire des Hébreux. Histoire du peuple d’Israël, Paris, 1887, t. i, c. v, p. 70-79. Le souvenir s’en était transmis avec une assez forte variante. « Selon une version, l’arbre central du paradis était l’arbre de vie ; selon une autre, c'était l’arbre de la distinction du bien et du mal. Le rédacteur jéboviste prend le parti de les mettre tous deux au milieu ; dans la suite du récit, les deux arbres se distinguent et se confondent tour à tour. » Ibid., t. ii, 1889, p. 344.

La parenté entre les traditions iranienne et babylonienne et le récit de la Genèse est indéniable ; car non seulement les monuments assyro-babyloniens et les livres mazdéens représentent ou connaissent un arbre sacré qui donne la vie (voir Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 5e édit., 1889, 1. 1, p. 224-232 ; Les Livres saints et la critique rationaliste, t. iii, 1887, p. 412-416 ; F. Lenormant, Histoire ancienne de l’Orient, 9e édit., 1881, 1. 1, p. 33-35 ; Les origines de l’histoire, 2e édit., 1880, t. i, p. 74-98) ; mais toutes les autres traditions paradisiaques le mentionnent. Les Védas des Hindous parlent d’un arbre d’où découle la sève de vie, le soma, et dont le bois sert à orner le ciel et la terre. Dans le paradis terrestre des Chinois, il croît des arbres enchanteurs ; ce jardin fleuri a produit la vie. Il est le chemin du ciel, et la conservation de la vie dépendait du fruit d’un arbre. Un ancien commentaire appelle cet arbre l’arbre de vie. H. Luken, Les traditions de l’humanité, trad. franc., t. i, p. 101. Ce souvenir, conservé chez tous les peuples, est donc des plus antiques, si même il n’est originel et primitif. Or, si les Hébreux l’avaient emprunté à des étrangers, ce ne serait pas à la population de l’Iran, mais plutôt à celle de la Ghaldée. Abraham avait pu l’apprendre dans sa patrie, où il formait une des croyances les plus vivaces et les plus populaires. Cette tradition patriarcale que Dieu voulait nous faire transmettre par Moïse resta pure dans la mémoire des enfants de Jacob. Or le récit biblique distingue toujours les deux arbres autant par leurs caractères que par leurs effets. Leurs noms sont différents. Seul le fruit de l’arbre de la science est interdit à nos premiers parents sous peine de mort. C’est lui que le serpent montre à Eve, en la rassurant contre la crainte de la mort ; et quand Adam, après en avoir mangé, connaît le bien et le mal, Dieu le chasse du paradis et l'éloigné du fruit de l’arbre de la vie, dont l’efficacité arrêterait les suites de la vengeance divine.

Ces deux arbres, réels et non mythiques, étaient une production du sol, comme tous ceux qui ornaient le paradis terrestre. Gen., ii, 9. Leurs noms provenaient do leur destination providentielle et de leurs effets. Théodoret, Qusestiones in Genesim, int. xxvi-xxvii, t. lxxx, col. 123-126.

1° Varbre de la vie devait conférer à l’homme l’immortalité. S. Augustin, De Civitate Dei, xiii, 20, et xiv, 26, t. xli, col. 394 et 434 ; Opus imperfectum contra Julianum, vi, 30, t. xlv, col. 1580-1581. Suivant saint Thomas, l a, q. 97, a. 4, il ne la produisait pas absolument et simplement, soit en donnant à l'âme la force de conserver le corps vivant, soit en rendant le corps humain incorruptible. Sa vertu était limitée ; il eut exempté pour un temps le corps de l’homme de la corruption ; ce temps écoulé, l’homme eût passé sans mourir à la vio spirituelle et céleste, ou, si sa vie terrestre devait encore se prolonger, il eût mangé de nouveau du fruit de vie. Quelques commentateurs ont supputé la durée des effets d’une seule -aanducation de ce fruit ; les résultats de leurs calculs

arbitraires varient de deux mille à dix mille ans, mais l’on ne sait rien à ce sujet. La vertu de l’arbre de vie était-elle naturelle à ses fruits, ou extraordinairement attachée par Dieu à leur manducation ? Assurément il était au pouvoir du Créateur de leur donner une puissance miraculeuse ; mais le texte sacré n’insinue pas que Dieu l’ait fait, et les théologiens catholiques pensent généralement que la vertu de l’arbre de la vie était naturelle. Voir Bossuet, Elévations sur les mystères, Ve semaine, iv c élévation, dans ses Œuvres, édit. de Versailles, t. viii, p. 129.

Après le péché de nos premiers parents, l’arbre de la vie ne périt pas. Dieu chassa du paradis les coupables et fit garder l’entrée du jardin, pour qu’Adam ne put manger du fruit de vie. Gen., iii, 22 et 24. En eùt-il mangé, Adam n’eût pas reconquis le don de l’immortalité, mais seulement prolongé sa vie mortelle. S. Thomas, 2° 2*, q. 164, a. 2 ad 6° m. '

Nous n’avons pas à nous arrêter aux fables talmudiques sur les arbres du Paradis terrestre. Certains rabbins ont donné à l’arbre de la vie une longueur démesurée, telle qu’il eût fallu cinq cents ans pour le parcourir, et qu’il représentait la soixantième partie de l’Eden. R. Juda prétendait même que le tronc seul avait cette longueur, et que tous les cours d’eau de la création partaient de ses pieds. Talmud de Jérusalem, traité Berakhoth, i, 1 ; trad. franc., Paris, 1871, p. 7. Ce sont là des rêveries où l'Écriture n’est pour rien.

Indépendamment de sa réalité historique, l’arbre de la vie a reçu de l'Écriture elle-même et des Pères de l'Église une signification symbolique. Dans le livre des Proverbes, l’expression « arbre de vie » est devenue synonyme de cause de biens. La sagesse est un arbre de vie pour ceux qui l’embrassent ; elle rend heureux ceux qui s’attachent à elle, et leur confère l’immortalité. Prov., iii, 18. Les actions du juste, qui servent d’exemple et portent au bien, Prov., xi, 30, la réalisation d’un désir qui rend la vie, Prov., xiii, 12, et la langue pacifique qui apaise et guérit, Prov., xv, 4, sont des arbres de vie. Dans le paradis céleste, il y a un arbre de vie, dont les fruits sont donnés par l’Esprit au victorieux. Apoc, ii, 7. Planté sur les deux rives du ileuve qui jaillit du trône de Dieu et de l’Agneau, il porte douze fruits pour chaque mois de l’année, et ses feuilles guérissent les saints, les dispensent de toute misère corporelle, et leur accordent une éternelle jeunesse. Apoc, xxil, 1, 2 et 14. Les Pères ont développé cette explication anagogique ; souvent aussi ils ont comparé à l’arbre de la vie l’arbre de la croix, qui nous a rendu la vie perdue par la faute d’Adam. Jésus-Christ, qui pend à la croix, est le vrai fruit de vie, et les chrétiens le mangent dans l’Eucharistie, où il est pour eux un gage d’immortalité. Voir Bossuet, loc. cit., p. 130.

2° L’arbre de la science du bien et du mal fut ainsi appelé plutôt en raison du précepte dont il fut l’objet qu’en raison de ses propriétés essentielles. Pour éprouver la fidélité d’Adam et d’Eve, Dieu leur avait défendu sous peine de mort de manger des fruits de cet arbre. Gen., il, 17, et iii, 3. Les motifs de cette défense, qui paraît à quelques-uns enfantine, ont été nettement exposés par Bossuet : Discours sur l’histoire universelle, 2e partie, ch. I er. Dieu, dit-il, « donne un précepte à l’homme pour lui faire sentir qu’il a un maître ; un précepte attaché à une chose sensible, parce que l’homme était fait avec des sens ; un précepte aisé, parce qu’il voulait lui rendre la vie commode, tant qu’elle serait innocente. » Cf. S. Jean Chrysostome, Hom, xii in Gen., 6, t. lui, col. 133. Les fruits de cet arbre, qui étaient beaux d’aspect et paraissaient savoureux, Gen., iii, 6, n’avaient pas une vertu nuisible et pernicieuse. Ils ne devaient pas produire par eux-mêmes la connaissance du bien et du mal et la mort du corps et de l'âme ; seule la transgression du précepte divin causa ces déplorables effets. L’un d’eux a valu son nom à l’arbre, instrument de la désobéissance et du péché. Quant à la science du bien et du mal qu’acquirent