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PRÉFACE

M. Le Hir, dans lequel le savant hébraïsant démontrait l’authenticité du Pentateuque au moyen d’arguments intrinsèques : travail insuffisant aujourd’hui, mais qui était pour nous une révélation, et faisait dire à notre regretté M. Brugère, en langage pittoresque, que « c’étaient les pyramides d’Egypte construites avec des pattes de mouches ».

Ses dangers. — La critique interne n’est pas sans dangers et peut aisément conduire à la critique négative. On en abuse tous les jours. Certains érudits s’obstinent à faire parler les textes en faveur de leurs systèmes préconçus, à leur faire dire ce qu’ils ne disent pas, à les faire parler à contre-sens. Pour peu que la passion antireligieuse s’en mêle, — et elle s’en mêle souvent, — on ne recule devant aucune absurdité. Tout est bon pour renverser la religion au nom d’une prétendue science ; tous les moyens paraissent légitimes, même le mensonge ; et la fausse critique, au lieu de s’appuyer sur les faits, de les étudier, de les contrôler, les déforme, les mutile, les supprime quand ils gênent les théories préconçues de l’incrédulité. Ceux qui la représentent nient avant tout la possibilité du surnaturel sous toutes ses formes, comme le miracle et la prophétie. Mais alors à quoi bon la critique, à quoi bon l’étude scientifique des textes ? Pour une pareille exégèse, dit fort bien M. Vigouroux, l’incrédulité suffit. Pour déterminer l’âge d’un prophète, il suffira d’examiner les dates des événements auxquels il fait allusion et d’affirmer qu’il leur est postérieur. Une pareille critique serait évidemment un instrument satanique de destruction ; cependant il serait injuste de confondre la vraie et la fausse critique dans le même anathème, de les repousser avec la même indignation au nom de la foi qu’il faut sauver.

Il ne s’agit pas ici de faire un exposé complet des idées qui ont cours chez les rationalistes, encore moins de les justifier ; mais de montrer qu’on doit en tenir compte, et en suivre le développement avec attention. Ce qu’on peut reconnaître loyalement, c’est que l’histoire générale est à refaire, que les événements de la Bible, tels que nous sommes habitués à les envisager, d’après une interprétation ancienne et incomplètement renseignée, ne cadrent pas tous avec les faits de l’histoire profane. La Bible ne change pas, elle ne saurait changer, puisqu’elle est la parole de Dieu : tous les faits historiques qui y sont racontés sont vrais ; mais ce qui a changé, ce qui peut changer encore, c’est l’interprétation donnée à ces faits par les commentateurs. L’erreur, si erreur il y a, ne peut tomber que sur l’interprétation. En tout cas, des erreurs d’exégèse se comprennent aisément, car il est impossible, même à l’homme le plus savant, d’expliquer certains faits de la Bible autrement qu’avec les idées et les connaissances de son temps. Comment, par exemple, un exégète du xve siècle, n’ayant aucune idée sur la formation probable du monde, aurait-il pu commenter la Genèse comme le ferait M. de Lapparent ? Toute interprétation de la Bible sur des choses qui ne sont pas purement doctrinales est presque toujours incomplète, car elle est proportionnée avec l’état des connaissances du siècle où vit l’exégète. Il importe de distinguer nettement la question d’inspiration de celle d’interprétation : la première est un dogme de foi, d’une réalité indiscutable ; la seconde est laissée d’ordinaire à la sagacité des commentateurs. On peut se tromper et l’on s’est trompé souvent sur l’interprétation d’un fait ; on peut se tromper, par exemple, en cherchant à reconstruire le temple d’après les données du livre des Rois ou d’Ézéchiel, en s’appuyant sur tel système de chronologie, en mettant bout à bout, à la suite du protestant Scaliger, les chiffres des généalogies des patriarches pour aboutir à des résultats ;