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PRÉFACE

des individualités isolées, sans contact avec les hommes de leur génération ; on se plaît à voir en eux des esprits soumis aux lois ordinaires du développement de l’intelligence et s’avançant par degrés vers la lumière.

Il fallait donc, ajoutent-ils, déblayer le terrain, ne plus se fier aveuglément aux affirmations de l’école ; montrer ce que les auteurs sacrés avaient dit, d’après ce. qu’ils avaient pu dire ; étudier les conditions de leur activité littéraire, les mettre en contact avec nous en effaçant les siècles qui nous séparent de Jésus-Christ et de Moïse, en supprimant autant que possible les intermédiaires ; saisir sur le vif la pensée qu’ils avaient en écrivant ; se mettre à la place de leurs auditeurs, les entendre comme les Juifs de la synagogue écoutaient saint Paul, ne point juger d’un langage parlé il y a trente ou quarante siècles suivant nos préoccupations actuelles, le degré de culture de notre intelligence moderne toute pénétrée du christianisme ; comprendre quelles idées cet enseignement pouvait éveiller à cette époque, et pour cela nous transporterdans.ee milieu intellectuel, essayer de dire comment ces hommes, dirigés par l’inspiration du Saint-Esprit, restaient néanmoins préoccupés des idées, des intérêts de leur temps et de leur pays ; en un mot, préciser dans quelle mesure ils parlaient pour Israël, et dans quelle mesure pour l’Église : tel serait le premier caractère de la critique.

Un autre non moins important est ce qu’on appelle la critique interne. Elle consiste à chercher dans le texte lui-même plutôt que dans les témoignages extérieurs la confirmation de l’authenticité de ce texte. Cette méthode, si chère à nos modernes, n’est pas de leur invention. Longtemps avant Semler, Richard Simon l’avait trouvée et s’en était servi dans une large mesure. Inutile de parler ici des incidents, connus de tous, qui obligèrent le père de la critique biblique en France à interrompre ses travaux et à laisser aux pires ennemis de la révélation une arme qui devait être maniée avec une précaution extrême. En fait cette méthode s’est développée, et malgré d’immenses inconvénients elle a conquis le droit de cité et s’impose à tous les partis. Elle a l’avantage de n’être l’arme exclusive d’aucune école, de n’être une arme que contre les erreurs historiques et les théories toutes faites. Il est, en effet, si facile de dénaturer une pensée, de tronquer des citations, de laisser dans l’ombre ce qui ne va pas à une thèse, de donner des explications arbitraires ou forcées, de présenter les faits sous le jour qui plaît le mieux, qu’on serait heureux de trouver une réponse dans les textes mêmes, de voir si oui ou non ils confirment les témoignages externes. Cette méthode, excellente en soi, a l’inconvénient d’être insuffisante, par la raison que les preuves internes ne sont pas toujours démonstratives. Les textes sont souvent muets et ne disent rien sur le temps ou les circonstances de leur composition, et bon gré mal gré il faut en revenir aux témoignages externes. Il faut tirer de la critique interne tout le parti possible, sans en abuser et sans vouloir lui demander ce qu’elle ne saurait donner. Je me souviens de l’impression que j’éprouvai, étant encore jeune séminariste, quand M. Le Hir m’en fit connaître les premiers éléments et m’apprit à m’en servir. Depuis longtemps, je lisais les Évangiles sans me rendre compte que saint Marc, interprète de Pierre, ne ressemble pas à saint Matthieu, que saint Jean ne ressemble à personne. Je ne revenais pas de ma surprise en remarquant, par exemple, les charmants récits de saint Marc, si pleins de vie, de couleur locale, qui trahissent si bien le récit d’un témoin oculaire ; les caractéristiques de saint Jean sur la vie et la lumière, etc. Je fus plus surpris encore en lisant un manuscrit de