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ARABE (LANGUE)
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qu’il a exercée, comme organe d’une pensée politique ou religieuse supérieure aux diversités de races. Le grec et le latin, dont le domaine et l’influence ont été si considérables, lui sont inférieurs sous ce rapport. Le grec a été parlé de la Sicile au Tigre, de la mer Noire à l’Abyssinie ; le latin, de la Campanie aux iles Britanniques, du Rhin à l’Atlas ; tandis que l’empire de la langue arabe embrasse l’Espagne, l’Afrique iusqu'à l'équateur, l’Asie méridionale jusqu'à Java, la Russie jusqu'à Kazan. En s’imposant comme langue des livres dans les pays conquis par l’islamisme, il exerça la plus grande influence sur presque tous les idiomes de ces régions. Le persan et le turc lui empruntèrent son alphabet, et de l’Inde jusqu'à l’Europe des mots arabes s’infiltrèrent dans le langage. Cf. Dozy et W. H. Engelmann, Glossaire des mots espagnols et portugais dérivés de l’arabe, in-8°, Leyde, 1869 ; pour le français, voirE. Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, 1882, Supplément ; Dictionnaire étymologique des mots d’origine orientale, par Marcel Devic.

Malgré cette extension, la langue arabe conserva partout et toujours une merveilleuse unité. D’un bout à l’autre de ce vaste cordon formé par la conquête musulmane, on voit un même style chez les écrivains, les mêmes études, le même enseignement grammatical. Chaque auteur apporte dans sa manière de dire plus ou moins d'élégance ou de correction ; mais il est impossible de classer ces diversités par âge et par pays. Sur les lèvres des Bédouins qui dressent leurs tentes dans les déserts de l’Arabie, on retrouve encore un grand nombre de formes antiques, et la langue écrite de nos jours ne diffère pas de la langue de Mahomet. Cf. W. G. Palgrave, Narrative of a year’s journey through central and eastern Arabia, Londres, 1865, t. î, p. 463 et suiv. Cette espèce d’immutabilité, qui forme un des caractères des idiomes sémitiques, se remarque également dans l’assyrien, resté sensiblement le même pendant une période de plus de deux mille ans. C’est pour cela qu’on ne saurait la refuser à l’hébreu, qui a pu aussi se conserver durant des siècles sans changement : il n’est pas plus étonnant de retrouver la langue du Pentateuque dans les Psaumes et les Prophètes que la langue du Coran dans l’arabe moderne.

A ce double caractère de l’arabe nous ajouterons celui d’une réelle utilité pour les études bibliques, ce qui ressort d’ailleurs des rapprochements que nous avons établis entre cette langue et l’hébreu. Comme langue parlée, elle fait revivre pour nous l’idiome sacré avec sa phonétique, ses expressions usuelles, depuis Yessalâm 'aleik, « paix sur toi », qui rappelle le Mlôm lekâ, de l'Écriture, Jud., vi, 23, etc., jusqu’aux tournures de phrases les plus poétiques. On retrouve aujourd’hui sur les lèvres du fellah de Palestine, et en termes identiques, les proverbes usités parmi les Juifs au temps des prophètes, Ezech., xvi, 44 ; xviii, 2 ; Jer., xxxi, 29. Cf. Palestine Exploration Fund, Quarterly Statement, 1889, p. 141. Impossible d’entendre parler un Arabe sans qu'à chaque instant un mot hébreu ne vous revienne à la mémoire, et ainsi le peuple ismaélite nous instruit autant par son langage que par ses mœurs. Comme langue écrite, l’arabe offre à l’exégète de nombreux et riches monuments où il peut, à l’aide de la critique, chercher l’explication des mots obscurs en hébreu ou des ona Xeydiieva ; ainsi dVis, bôlês, Amos, vii, 14, s’explique par l’arabe Sy balas, « figuier » ; eba, galas, Cant., iv, 1, par -J[^_

djalas, « s’asseoir », etc. Cf. Fr. Delitzsch, Jesurun, p. 87-89. Voir un exemple de l’usage de l’arabe dans la discussion sur Y’almah d’Is., vii, 14, dans LeHir, Les trois grands prophètes, Paris, 1877, p. 78-80. La géographie sacrée n’est pas moins intéressée à cette étude. Les noms bibliques se sont conservés sous la forme arabe ou sans altération ou avec de légers changements : noms communs

tels que 'aïn, « source ; » nahr, « fleuve » ; 'arabah, « désert, » etc. Ct. Palestine Exploration Fund, 1876, p. 132-140 ; noms propres, comme on peut s’en convaincre par les articles géographiques de ce Dictionnaire ; hébreu : 'Akkô, arabe : Akkà, Accho ; hébreu : Yàfô, arabe : Yâfâ, Jaffa, etc. Les géographes, comme Aboultéda, Édrisi, etc., et les historiens arabes rendent d'éminents services pour l’orthographe des noms, la position respective des différentes villes et leur état à certaines époquesde l’histoire. On sait quels emprunts le Coran a faits à la Bible. Il y a donc dans la connaissance de cette langue un intérêt continuel pour la philologie sacrée, aussi l'Église l’a-telle souvent recommandée. Clément V, enparticulier, voulut que des maîtres spéciaux fussent chargés de l’enseigner dans les grandes universités de Paris, d’Oxford, de Bologne et de Salamanque. Clément., lib. v, tit. î, de Magistris.

IV. Écriture. — On peut voir à l’article Alphabet comment l'écriture arabe se rattache à l’alphabet phénicien, et quels sont ses points de ressemblance avec les autres caractères sémitiques ; nous avons déjà parlé de seséléments au point de vue des consonnes et des voyelles. Il nous suffit d’indiquer en deux mots ses formes et son origine. L'écriture cursive habituelle est appelée neskhi. L'écriture hiératique, aux formes carrées, lapidaires, employée dans les inscriptions monumentales et sur les. monnaies, et, pendant plusieurs siècles, usitée dans les copies du Coran, a reçu le nom de koufique, de la ville de Koufa, dans l’Irakvrabi, où l’on croit qu’elle tut. inventée. On pense généralement que l'écriture n’a pas été connue des Arabes de l’Hedjaz et du Nedjed plus d’un siècle avant l’hégire, et qu’elle leur fut apportée par lesSyriens. Les formes de l’alphabet koufique se rapprochent, en effet, beaucoup de celles de l’alphabet syriaque estranghelo, et l’ordre primitif des lettres de l’alphabet arabe est identique à celui des alphabets hébreu et syriaque. Cependant, à la suite de Fr. Lenormant, Inscriptions sinaîtiques, dans le Journal asiatique, janvier 1859, p. 5Î et suiv., M. Renan, Hist. des langues sémitiques, p. 353, . admet volontiers une double origine pour l'écriture arabe : l’une syrienne (le koufique sorti de l’estranghelo), l’autresinaïtique pour le neskhi.

De formes très ornementales, comme on peut le voir dans certaines inscriptions où les lettres composent de gracieuses arabesques, l'écriture arabe est d’une lecture difficile. On n'écrit souvent les voyelles que par exception, , on oublie les points diacritiques, et le déchiffrement des noms propres serait presque impossible si les écrivains ne prenaient la précaution d'épeler en toutes lettres les. mots rares et importants : tel est l’usage dans les dictionnaires de géographie. Le neskhi s’est un peu transformé avec les siècles et selon les pays : l'écriture maghrébine (Algérie, Maroc) diffère sur certains points de l'écriture orientale ou de Syrie. Voir sur cette question de l'écriturearabe le travail de M. de Sacy, dans les Mémoires de l’Académie des inscriptions, t. l, et dans le Journal des savants, août 1825, et dans le Journal asiatique, avril 1827. Voir aussi Carsten Niebuhr, Beschreibung von Arabien ? in-4°, Copenhague, 1772, p. 94-104.

V. Bibliographie. — Nous indiquons ici les ouvrages les plus importants pour l'étude de la langue arabe. 1° Grammaires : arabe littéral, Th. Erpenius, Rudimentd lingux arabicx, l re édit., in-4°, Leyde, 1613 ; édit. Sehultens, 1733, 1748 ; Silvestre de Sacy, Grammaire arabe, 2 in-8°, Paris, 1810 ; 2e édit., 2 in-8°, Paris, 1831 ; H. A. Ewald, Grammatica critica lingux arabicx, 2 in-8°, Leipzig, 1831 ; C. P. Caspari, Grammatik der arabischen Sprache, in-8°, Leipzig, 1859 ; traduite en français sur la 4e édition allemande, et en partie remaniée par Uricœchea, in-8°, Paris, 1881, une des meilleures ; H. Zschokke, Institutiones fundamentales lingux arabicee, in-8°, Vienne, 1869 ; arabe vulgaire : Abougit, Principes de la grammaire arabe à l’usage des écoles de