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ARABE (LANGUE)


parée, avec ses progrès, a fourni des exemples, posé des lois, en uu mot tracé une route dont l’homme de science ne doit plus s'écarter pour se lancer dans des rapprochements plus spécieux que fondés. Sur les rapports de l’arabe et de l’hébreu, voir Fr. Delitzsch, Jesurun, Grimma, 1838, p. 76-89.

3° Style — L’arabe, en absorbant les autres langues sémitiques par sa domination universelle en Orient, opéra dans la littérature et le style une révolution capitale. Aux récits historiques, aux sentences morales, à la poésie libre ou versifiée, qui constituent en particulier le fond de la littérature biblique, viennent s’ajouter les domaines nouveaux et variés de la pensée abstraite : grammaire, jurisprudence, philosophie, théologie, sciences physiques et mathématiques, écrits techniques, bibliographie. Alors le verset, qui, jusqu’au Coran inclusivement, est la loi du style sémitique, est remplacé par des formes compliquées et des délicatesses de syntaxe inconnues à l’hébreu et à l’araméen. Cette ampleur néanmoins et ces progrès ne vont pas sans quelques défauts. Au lieu des formes sobres et harmonieuses de l’hébreu, on sent une raideur monotone et pédante ; au lieu des faciles allures des vieux idiomes, c’est une culture artificielle et savante ; au lieu de la grave beauté du style antique, ce sont des ornements de rhéteurs et des finesses de grammairiens. Enfin, quoique aussi continu que celui des langues indo-européennes les plus développées, le style arabe n’arrive pas à la netteté, à la limpide précision qui semble le partage exclusif des idiomes aryens.

4° Métrique. — La poésie est aussi plus compliquée en arabe qu’en hébreu. Si le parallélisme, auquel il faut joindre parfois l’assonance et l’allitération, forme le caractère particulier de la poésie hébraïque et lui donne sa physionomie propre, on sait maintenant que ce n’est pas son unique élément. Elle comprend des strophes dont chaque vers est constitué par la quantité prosodique, selon certains auteurs, par le nombre des syllabes, suivant les autres. Voir Poésie hébraïque. On trouve les caractères généraux du rythme hébraïque dans les parties poétiques du Coran ; mais déjà les poèmes antéislamiques étaient basés sur une prosodie des plus savantes. Quelle fut l’origine de cette métrique, et quelle en est la véritable nature ? C’est une question qui n’est pas encore absolument élucidée. Les auteurs arabes ont exposé en détail les règles de cette prosodie, d’après les exemples qu’ils avaient sous les yeux dans les Moallakât ou les Kasida ; mais ils n’ont pas considéré l’essence même de la poésie. Nos orientalistes modernes, reprenant les matériaux laissés par les grammairiens indigènes, ont établi diverses théories fondées, comme pour nos langues classiques, sur la combinaison des longues et des brèves. Cf. H. A. Ewald, De metris carminum arabicorum libri II, in-8°, Brunswick, 1825 ; Freytag, Darstellung der arabischen Verskunst, in-8°, Bonn, 1830 ; Silvestre de Sacy, Traité élémentaire de la prosodie et de l’art métrigue des Arabes, in-8°, Paris, 1831 ; H. Coupry, Traité de la versification arabe, in-8°, Leipzig, 1874. En 1876, la question a été reprise par Stanislas Guyard à un point de vue très intéressant. Se fondant sur les rapports de la musique et de la prosodie, il applique à la métrique arabe les règles du rythme naturel du langage, dont les éléments constitutifs sont Varsis et la thesis, le temps frappé et le temps levé. Cf. Journal asiatique, mai-juin 1876, p. 413-579 ; août-septembre 1876, p. 101-252 ; octobre, 1876, p. 285-315. Il y aurait peut-être profit à tirer de ces études pour la métrique hébraïque.

Le vers arabe se compose de pieds, qui ont chacun leur individualité et leur nom technique. Ils sont au nombre de sept, ayant trois, quatre ou cinq syllabes. De leurs combinaisons résultent seize mètres, dont les noms sont des adjectifs destinés à caractériser le vers : et-tanuil, « le long ; » el-madid, « le prolongé, » etc. Chaque mètre comprend deux hémistiches, La même rime est

i quelquefois conservée dans toute l'étendue de la pièce de vers ; quelquefois elle est alternée, suivant le genre et la nature de la composition.

III. Divisions et caractères. — 1° Arabe littéral et arabe vulgaire ; dialectes. — Ce que nous venons de dire s’applique principalement à l’arabe littéral, c’est-à-dire à la langue des monuments écrits. Mais dans la bouche du peuple le langage a revêtu une forme plus simple, qu’on appelle l’arabe vulgaire. Cependant il faut bien se garder de faire des deux idiomes deux langues séparées, en comparant l’une au latin, l’autre aux langues néglatines.

L’arabe vulgaire n’est au fond que l’arabe littéral dépouillé de sa grammaire savante et de son riche entourage de voyelles, Il supprime les désinences casuelles et les inflexions finales qui expriment les modes des verbes. Aux mécanismes délicats de la syntaxe littérale, il en substitue d’autres plus analytiques. Des préfixes et des mots isolés marquent les nuances que l’arabe littéral exprime par le jeu des voyelles finales ; les temps du verbe sont déterminés par des mots que l’on joint aux aoristes pour en préciser la signification. Ainsi, dans le dialecte de Syrie, ou ajoute souvent la lettre 6a à toutes les personnes de l’indicatif présent, imparfait, futur simple et antérieur, et du conditionnel présent, excepté à la première personne du pluriel, exemple : 'ana b’aktob, « j'écris, » au lieu de 'aktob. À la première personne du pluriel, le ba se remplace par un rnim ; exemple : manktob, « nous écrivons, » au lieu de naktob. Le futur peut être précédé de sa, s’il est prochain, ou de la particule saouf, s’il est éloigné, etc.

Au point de vue du vocabulaire, l’arabe vulgaire a laissé tomber également cette surabondance de mots qui encombrent l’arabe littéral. À part quelques mots étrangers, différents selon les provinces, il ne connaît que le fonds courant des vocables sémitiques, parfois légèrement détournés de leur signification ancienne. Ainsi, des remarques que nous venons de faire, se dégage un fait notable, c’est que l’arabe vulgaire est bien plus rapproché que l’arabe littéral de l’hébreu et du type essentiel des langues sémitiques.

En somme, l’arabe littéral n’est pac plus un idiome factice ou une invention des grammairiens que l’arabe vulgaire n’est une corruption de l’idiome littéral. Il a existé une langue ancienne, plus riche et plus synthétique que l’idiome vulgaire, moins réglée que l’idiome savant, et dont les deux sont sortis par des voies opposées. « On peut comparer l’arabe primitif à ce que devait être la langue latine avant le travail grammatical qui la régularisa, vers l'époque des Scipions ; l’arabe littéral, à la langue latine telle que nous la trouvons dans les monuments du siècle d’Auguste ; l’arabe vulgaire, au latin simplifié que l’on parlait vers le vie siècle, et qui, à bien des égards, ressemblait plus au latin archaïque qu'à celui de Virgile ou de Cicéron. » E. Renan, Histoire des languis sémitiques, p. 406.

L’arabe littéral, comme toutes les langues savantes, n’a pas de dialectes ; mais l’arabe vulgaire en possède, comme toutes les langues parlées. On en compte quatre : ceux d’Arabie, de Syrie, d’Egypte, et le maghreby ou dialecte de l’Afrique septentrionale. Les trois premiers sont fort peu distincts l’un de l’autre : une certaine quantité de locutions propres, des termes particuliers et la prononciation différente de quelques lettres, en constituent toute la diversité. Le dialecte d’Arabie est le plus pur de tous. Le maghreby offre plusieurs divergences grammaticales et des particularités plus caractérisées, mais qui ne vont pas jusqu'à le rendre inintelligible pour les habitants des autres contrées..

2° Caractères. — Les deux principaux caractères de l’arabe sont l’universalité et l’invariabilité. Universel dans les genres de littérature qu’il a embrassés, il ne l’est pas moins dans l'étendue des pays qu’il a envahis, dans l’action