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ARABE (LANGUE)


La lettre nun ajoutée aux sons ii, i, a, a fait donner à cette désinence le nom de lanwin ou nunnation, qui a pouv correspondant en assyrien la mirnmation. Le même phénomène de la mirnmation se retrouve ensabéen. Cf. Halévy, Études sabéennes, dans le Journal asiatique, mai-juin" 1873, p. 487-488.

La conjugaison de l’imparfait possède également ces flexions : û pour l’indicatif, a pour le subjonctif ; le conditionnel devait avoir primitivement i, désinence tombée depuis. Ce que nous venons de dire ne s’applique qu’à l’arabe littéral ; voir plus bas.

Enfin l’arabe se distingue par une richesse extraordinaire de formes verbales. Les Sémites ont un sens très délicat pour peindre les mouvements de l’âme au point de vue de l’action. Par la simple modification des voyelles de la racine, la réduplication des consonnes, l’addition et l’intercalation de certaines lettres comme K, I, aleph ; 3, y, noun ; ii, ^>, thav ; v, j », sin, ils expriment non seulement les formes active, passive, moyenne, mais toutes les nuances des sens intensitif, causatif, réflectif, etc. Ce procédé montre ainsi une analogie entre le nom et le verbe, qui, dans la conception linguistique de ces peuples, devaient être originairement confondus. Cette délicatesse, commune aux langues sémitiques, n’est nulle part aussi développée qu’en arabe ; c’est là, on peut le dire, qu’elles ont leur chef-d’œuvre. Plus riche que le verbe grec, le verbe arabe. est en même temps plus concis, et il a une force de peinture qui représente admirablement le double caractère du peuple qui l’employait, c’est-à-dire la vigueur et l’imagination poétique.

Les formes dérivées des verbes trilitères sont au nombre de quinze : les quatre dernières très peu usitées. Les dix suivantes permettent d’apprécier fa richesse des nuances dont nous avons parlé :

IJii) fa’al ; ex : IL jjj, fa"al ; —

Jkjls > qatal, tuer.

ùLà> dvarraôjfrapperfort,

III. Jili.fà’al ; —

IV. Jiïî, afal ; de iji^i dharab, frapper. Jb’lii qâtal, combattre. G^JLS, adjra, faire courir,

V. JIiS, tafa"al ; - -^

de ^, djara, courir. takabbar, se faire grand, être orgueilleux, de £, ka~ bar, être grand. VIJéLiitafà’al ; — Jjijj, taqâtal, se combattre. VIL Jiij^, enfa’al ; — y„i., enkasar, se casser,

de jS, kasar,

VIII. JJLâît, efta’al ;

iyi », eftaraq, se séparer, de ^, faraq, séparer. IX. J* » l, ef’all ; — ^i£-l, efo » a>T, devenirrouge.

X. J^iijiij, estaf al ; — yubii}, estag/i)/ar, demander

pardon,

de Ci.

ghrafar, pardonner.

Nous ne pouvons faire ici de philologie comparée : il nous suffit d’indiquer le rapprochement entre la IIe forme et le Piél hébreu, le Paël araméen et assyrien ; entre la IVe et VAphel araméen, YHiphil hébreu ; entre la Xe et V Eschtaphal araméen, Ylstaphal assyrien. On peut aussi rapprocher la VIIIe de VHitpaël hébreu dans les verbes qui commencent par une sifflante : zz ?~-, hislabbê[, de tia*, sâbaf.

On voit en somme que « l’arabe est à beaucoup d’égards le résumé des langues sémitiques. On dirait que toutes les ressources lexicographiques et grammaticales de la famille se sont donné rendez-vous pour composer ce vaste ensemble. L’hébreu, le syriaque, l’éthiopien, n’ont guère de procédés que l’arabe ne renferme pareillement, tandis que l’arabe possède en propre une série de mécanismes précieux. Il est vrai que plusieurs des propriétés caractéristiques de l’arabe se trouvent d’une façon rudimentaire dans les autres langues sémitiques : ainsi les formes modales du futur sont en germe dans le futur apocope des Hébreux ; les flexions finales, dans les terminaisons paragogiques ou emphatiques de l’hébreu et de l’araméen ; presque toutes les formes du verbe régulièrement employées en arabe existent en hébreu ou en syriaque à l’état de formes rares et anormales ; mais ce ne sont là que des germes à peine indiqués, tandis qu’en arabe ces mécanismes sont arrivés à l’état de procédés réguliers, et constituent un des ensembles grammaticaux les plus imposants que jamais langue soit arrivée à revêtir ». E. Renan, Histoire des langues sémitiques, p. 384.

2° Vocabulaire. — La richesse lexicographique de l’arabe est prodigieuse, mais elle fait du dictionnaire une espèce de chaos où l’étendue est au détriment de la clarté. Jamais lexique n’a mieux mérité ce nom de Qâmous, « océan, » que les Arabes donnent au leur, et, en voyant les sens divers et presque contradictoires qui s’y pressent sous chaque mot, on éprouve une sorte de vertige. Ouvrons le dictionnaire de Freytag, Lexicon arabico-lati num, Halle, 1830, t. iii, p. 112, au mot -, /£, « vieillard, »

nous y trouverons bien près d’une centaine d’expressions comme celles-ci : Tremor, agmen, vitium, vicus, claudicalio, viator, cœlutn, terra, febris, etc. Les difficultés réelles de la langue ont été ainsi exagérées par les lexicographes orientaux, suivis par les Européens, qui ont mentionné plus volontiers les significations rares que les significations ordinaires des mots, les métaphores, les épithètes, les explications parfois erronées des commentateurs, et souvent aussi ont admis dans leurs recueils des expressions provinciales, étrangères ou spéciales, excessivement rares. Il n’est donc pas étonnant qu’un lexicographe arabe ait prétendu avoir trouvé dans sa langue 12 305 412 mots. Un autre nous dit qu’il existe au moins mille mots pour signifier Vëpée. Dans un mémoire spécial, Dos Kamel, extrait des Mémoires de l’Académie de Vienne, classe de phil. et d’hist., t. vii, un savant, M. de Hammer, a énuméréles mots relatifs au chameau, et en a trouvé 5 744. En faisant la part des exagérations, l’arabe n’en reste pas moins un phénomène entre toutes les langues pour l’abondance des synonymes. Il iaut dire cependant que cette abondance se trouve plus ou moins chez chaque peuple pour les choses qui lui sont naturelles. L’hébreu lui-même, pourtant fort pauvre, possède une ample moisson de synonymes, qui offrent au poète de grandes ressources pour le parallélisme : voir le psaume cxviii, où la loi divine est désignée par dix synonymes divers.

Entre l’arabe et l’hébreu, il existe, au point de vue du vocabulaire, une ressemblance frappante, qu’il est facile de constater en ouvrant un dictionnaire comme le Thésaurus de Gesenius. Suivant certains auteurs, les deux tiers ; des racines hébraïques se retrouvent dans l’arabe avec les mêmes lettres et le même sens ou un sens approchant. En tenant compte de la correspondance des lettres dans les deux langues ou de leur permutation naturelle, quand elles appartiennent au même organe, on peut arriver même, dit-on, à retrouver les neuf dixièmes des racines. Il faut cependant, sous ce rapport, une critique sévère ; car, depuis Schultens jusqu’à nos jours, l’abus du dictionnaire arabe pour l’éclaircissement des mots sémitiques obscurs a eu de grands inconvénients. La philologie com-