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PRÉFACE

Dieu, et en baisaient respectueusement les pages ; elle était au-dessus de toute contestation, mais il fallut bientôt compter avec l’esprit nouveau. Le sens de l’histoire s’éveillait peu à peu, et bientôt la critique alla de pair avec l’érudition. Les Bénédictins donnèrent la mesure de ce qu’on peut réaliser : les érudits de l’avenir les égaleront peut-être, ils ne les surpasseront pas. Pour le dire en passant, nous ne connaissons guère de savants contemporains supérieurs ou même comparables aux Bollandistes, à Tillemont, Mabillon et autres érudits français dont nous ne sommes pas assez fiers, dont les travaux, ignorés chez nous, même à l’heure présente, nous reviennent d’Allemagne sans indications d’auteurs. Notre naïveté nous fait saluer dans des revues ou livres étrangers de prétendues découvertes qui sont notre bien propre. Un peu de fierté nationale ne messiérait pas.

Les rationalistes contemporains prétendent que la science des Bénédictins, toute d’érudition, est incomplète ; que les documents qu’elle nous a laissés, si authentiques et précieux qu’ils soient, ont besoin d’être revus, examinés, interprétés à la lumière de la critique moderne. Le courant a envahi le domaine sacré, et le fait capital de notre temps est d’avoir appliqué à l’histoire du peuple juif, à l’étude de sa littérature, de ses idées religieuses, les procédés de l’exégèse rationaliste.

Plusieurs apologistes contemporains, trop confiants à mon gré, affectent de ne pas voir le danger, de ne pas s’en préoccuper. A quoi bon s’alarmer ? disent-ils, la Bible en a vu bien d’autres ; depuis le temps de Porphyre, de Celse, de Julien l’Apostat, n’est-elle pas en butte à toutes les attaques ? Les Pères de l’Église n’avaient-ils pas vu ce que nous voyons ? Les Voltaire, les Strauss, les Renan, n’étaient pas inconnus aux premiers siècles ; ils ont relevé dans les Écritures de prétendues contradictions, des difficultés historiques, des assertions enfantines en matière de cosmographie, de physique et d’histoire naturelle. Nous n’y contredisons pas ; nous disons seulement qu’il faut une forte provision d’optimisme pour comparer les attaques même du plus habile de tous à celles des rationalistes contemporains. Répondre aux attaques de ces adversaires par un haussement d’épaules est plus qu’insuffisant. J’affirme qu’elles valent la peine qu’on s’en occupe, pour venger la parole de Dieu et la faire paraître dans tout son éclat.

Caractères de la critique moderne. — Un des principaux caractères de la critique nouvelle est de replacer dans leur vrai cadre historique les événements de la Bible. Les études bibliques tirent leur importance de l’intérêt capital qui s’attache aux idées religieuses dont les textes sacrés sont le vêtement. Aussi pour comprendre ces idées ne se borne-t-on plus à présent à une étude plus ou moins parfaite du texte lui-même, ne se contente-t-on plus, pour saisir le vrai sens de l’Écriture, de glaner çà et là des textes isolés, que l’on groupe avec art en faveur de telle ou telle thèse ; d’en faire une sorte de mosaïque gracieuse en les rapprochant, en appliquant au même objet des citations parfois sans liaison entre elles. Le rêve de l’exégète moderne, rêve qui se réalise tous les jours, est d’étudier les écrivains sacrés, non comme des hommes placés au même niveau intellectuel et moral, également éclairés et pénétrés par la lumière de la révélation, comme des instruments passifs sous la pression mécanique et irrésistible du Saint-Esprit ; mais comme des auteurs ayant des pensées propres, des préoccupations doctrinales, morales ou politiques particulières, ayant pu comme d’autres subir les préjugés de la race et des temps. De moins en moins, disent nos critiques, on regarde les ouvriers évangéliques, par exemple, comme