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APPEL DES SENTENCES


hommes, groupé comme une armée. Un n’en voit plus de. trace après la mort de Moïse.

2° Prescriptions de la loi mosaïque sur le recours aux j juges supérieurs. Elles sont renfermées dans un passage : du Deutéronome, xvi, 18-xvii, 13, Comme le peuple israélite allait bientôt prendre possession de la terre qui lui avait été promise, Moïse lui donna des prescriptions en rapport avec sa situation prochaine : « Vous établirez des juges, Mfetim, et des scribes, sôterîm, à toutes les portes des villes que le Seigneur vous aura données, afin qu’ils jugent le peuple selon la justice… S’il se trouve une affaire embrouillée dans laquelle il soit difficile de prononcer entre sang et sang ( c’est - à - dire entre un meurtre délibéré et un homicide involontaire), entre cause et cause, entre coup et coup (Vulgate, inexactement : inler lepram et lepram), et que vous voyiez que dans l’assemblée les avis des juges soient partagés, allez au lieu que le Seigneur votre Dieu aura choisi, et adressez-vous aux prêtres de la race de Lévi, et au Juge de ce temps-là (hébreu : hassôfêt, le Juge, par antonomase, c’est-à-dire le magistrat suprême) ; vous les consulterez, ils vous découvriront la vérité du jugement, et vous ferez tout ce qu’ils vous auront dit. » Deut., xvii, 8-10. Ainsi donc Moïse prescrit d’établir des juges dans toutes les villes, puis un tribunal suprême, siégeant dans la ville capitale que Dieu choisira lui-même, et composé soit des prêtres, que Dieu a déjà désignés comme les interprètes de sa loi, Lev., x, 10-11, soit du magistrat suprême d’Israël, en qui doit résider le pouvoir exécutif. Mais, on le voit clairement par le texte cité, le recours au tribunal suprême, permis et même prescrit en certains cas par Moïse, n’est pas un appel strictement dit ; ce n’est pas à l’accusé ou à la partie intéressée que s’adressent les paroles citées de Moïse, c’est aux juges eux-mêmes, ou plutôt à leur chef ou président ; ce n’est pas, en effet, la partie intéressée qui peut juger si l’affaire est difficile ou embrouillée, si les juges sont d’accord ou non ; cette fonction délicate, qui exige le désintéressement le plus complet, ne peut appartenir qu’au tribunal lui-même ; aussi l’historien Josèphe, rapportant ce texte de Moïse avec son interprétation traditionnelle, s’exprime ainsi : « Que si les juges ne savent que prononcer au sujet de l’allaire qui leur est soumise, ce qui n’arrive que trop souvent aux hommes, qu’ils renvoient, àvïTtEiméradav, la cause entière à la ville sainte, où le grand prêtre, le prophète et le sénat, s’étant réunis, décideront ce qu’il appartiendra. » Josèphe, Ant. jud., IV, viii, 14. Cf. Sualschûtz, Bas Mosaisc/ie Redit, Berlin, 1853, k. 87, p. 596-598 ; Winer, Biblisches Realworlerbuch, au mot Gericht, Leipzig, 1838, t. i, p. 479. Comme on le voit du reste par plusieurs textes, Moïse ne suppose pas d’appel après la sentence, ou plutôt il suppose clairement qu’il n’y a pas d’appel. Deut., xvii, 2-6 ; xxi, 18-23 ; xxii, 13-24 ; xxv, 2. Bien plus, la sentence est exécutée le jour même, immédiatement après le prononcé du jugement. Jos., vii, 16-26 ; I Reg., xxii, 11-18 ; II Reg., i, 13-16 ; iv, 9-12 ; III Reg., ir, 23-25 ; 28-35 ; 41-46 ; Dan., xiii, 41-45 ; 60-62. Cf. Michælis, Mosaisches Recht, § 307, t. vi, p. 160-167 ; Jahn, Archxologia biblica, § 242, dans Migne, Script. S. cursus compl., t. ii, col. 961.

Ne nous étonnons pas que la législation mosaïque ignore l’appel proprement dit. Cette idée de l’appel, qui nous parait si simple aujourd’hui, parce qu’elle est universelle, ne s’est développée que peu à peu dans la suite des âges. En Egypte, la cour suprême de Thèbes, dont Moïse avait connu et peut-être vu le lonctionnement, n’était pas une cour d’appel proprement dite ; sans doute les affaires graves lui étaient réservées, d’autres lui étaient renvoyées, mais pas sous forme d’appel ; du moins aucun texte, aucun fait jusqu’ici ne le prouvent. C’est ce qu’avoue TThonissen, Mémoire sur l’organisation judiciaire de l’Egypte ancienne, Bruxelles, 1864, p. 21-22, quoique néanmoins cet auteur, appuyé seulement, comme il le

dit, sur des raisons de convenance, affirme que cette cour suprême recevait les appels des tribunaux inférieurs. Les travaux de M. Maspero sur le Papyrus Abbott, et de M. Devéria sur le « Papyrus judiciaire de Turin », ne font pas soupçonner, en faveur de la cour de Thèbes, l’existence de l’appel. Maspero, Une enquête judiciaire à Thèbes au temps de la xxe dynastie. Étude sur le Papyrus Abbott, Paris, 1872 ; Devéria, Le papyrus judiciaire de Turin, dans le Journal asiatique, aoùt-sept. 1865, oct.-nov. 1865, aoùt-sept. 1866, nov.-déc. 1867. M. Devéria signale seulement un cas de renvoi, pour cause d’incompétence, à. un tribunal spécial. Journal asiatique, nov.-déc. 1867, p. 413. Diodore de Sicile, qui traite avec tant de soin la question de l’organisation et de la procédure judiciaires de l’ancienne Egypte, ne dit pas un mot de l’appel proprement dit. Diodore, ii, 3, Lyon, 1552, p. 91-107. Dans le droit romain lui-même, l’appel n’apparaît que tardivement. En matière civile, il ne fut organisé que sous Auguste ; en matière criminelle, il apparaît plus tôt : on en voit les origines, sous les rois, dans des cas exceptionnels ; mais, comme institution régulière et permanente, il rie fonctionna que sous l’empire. Daremberg et Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, . au mot Appellatio, Paris, 1874, t. i, p. 329-330 ; Accarias, Précis de droit romain, Paris, 1891, t. ii, p. 758.

3° Les recours aux juges supérieurs, de Moïse à la captivité. À cause des difficultés de la conquête et des guerres sans cesse renaissantes, les prescriptions de Moïse ne furent exécutées que lentement et partiellement. Ce sont les juges et les rois qui paraissent seuls remplir les fonctions de la cour supérieure, et qui rendent la justice, soit par suite d’un renvoi à leur tribunal, soit même en première instance. Débora juge sous son palmier, comme saint Louis sous son chêne, Jud., iv, 4-5 ; Samuel parcourt le pays pour rendre la justice, I Reg., vii, 15-17. ; tous les Israélites ont un accès facile auprès des rois, Il Reg., xiv, 4-20 ; xv, 2-6 ; III Reg., iii, 16-28. Tantôt les rois écoutaient eux - mêmes les plaideurs, tantôt ils les faisaient examiner par des délégués. II Reg., xv, 3. Puisque David, vers la fin de son règne, distribua dans tout Israël six mille lévites, pour être juges et magistrats, I Par., xxiii, 4 ; xxvi, 29, il est probable qu’il en retint un certain nombre à Jérusalem, pour y former la cour suprême demandée par Moïse ; dans tous les cas, ce fut Josaphat, au plus tard, qui, après avoir renouvelé tout le personnel des tribunaux locaux, II Par., xix, 5-7, fonda la cour suprême de Jérusalem. Il la composa de prêtres, de lévites et de chefs de famille ; puis il lui donna deux présidents : l’un, le grand prêtre, devant surtout s’occuper des affaires religieuses ; l’autre, chef de la maison de Juda, devant s’occuper des affaires civiles. Il lui attribua, comme compétence, toutes les causes qui viendraient des tribunaux locaux, soit dans les affaires criminelles, « entre sang et sang, » soit dans les causes civiles. II Par., xix, 8-11. D’après le commentaire que donne de ce texte l’historien Josèphe, Antiq. jud., IX, i, I, on voit que la cour de Jérusalem était surtout destinée à traiter les affaires les plus graves qui lui seraient renvoyées ; on reconnaît là la première idée de Moïse. Il est probable aussi que certaines affaires très graves furent peu à peu réservées, même en première instance, à ce tribunal supérieur ; mais rien ne nous autorise à en faire une cour d’appel dans le sens strict du mol.

4° Les recours, après la captivité ; le grand sanhédrin. Après la captivité, Esdras reçut du roi de Perse, Artaxerxès Longue-Main, le pouvoir de relever les tribunaux et le droit exprès de porter des peines, de prison, d’amende, d’exil et même de mort. I Esdr., vii, 25-20. A cause de l’obscurité qui enveloppe, à partir de cette époque jusqu’aux Machabées, l’histoire d’Israël, nous ne pouvons savoir jusqu’à quel point les intentions d’Esdras purent être réalisées. Vers le temps des Machabées apparaît le grand sanhédrin. Sur les origines et la composition.