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APOCALYPSES APOCRYPHES


disparait ; le corps de l’aigle prend feu, les Romains sont jugés par le Messie et exterminés. Le peuple juif respire enfin. — « On ne peut guère douter d’après cela, conclut le même critique, que l’auteur n’ait écrit sous le règne de Nerva, règne qui parut sans solidité ni avenir, à cause de l'âge et de la faiblesse du souverain, jusqu'à l’adoption de TYajan (fin 97). Passé le mois de janvier 98, l’opinion de l’auteur sur la prochaine dissolution de l’empire ne se comprendrait plus. Un autre trait remarquable est celui-ci : l’auteur insiste à plusieurs reprises sur cette circonstance qu’Esdras a sa vision trente ans après la ruine de Jérusalem. L’auteur veut sans doute signifier par là que trente ans à peu près s'étaient écoulés depuis la catastrophe de l’an 70. » E. Renan, L’Apocalypse de l’an 97, dans la Revue des deux mondes, 1 er mars 1875. Il faut dire que l’opinion précitée, qui fixe à la fin de l’an 97 la composition du quatrième livre d’Esdras, et qui est celle de Volkmar, n’est point reçue sans conteste. MM. Dillmann, Reuss et Schiirer font le quatrième livre d’Esdras un peu plus ancien et le croient contemporain, non de Nerva (96-98), mais deDomitien (81-%). Schùrer, ouvr. cité, p. 656-657.

On a relevé maintes fois la rare beauté littéraire du quatrième livre d’Esdras, encore qu’il soit esthétiquement inférieur au livre d’Enoch. Mais, plus répandu que le livre d’Enoch, surtout dans l'Église latine, il a eu une influence exceptionnelle sur la pensée populaire chrétienne du haut moyen âge, particulièrement sur la conception et sur la représentation des fins dernières. La liturgie romaine lui a emprunté de beaux passages. L’admirable introït Accipite jucunditatem, de la messe du mardi de la Pentecôte, est tiré de IV Esdras, II, 36-37 ; de même le verset Crastina die, de la vigile de Noël, xvi, 53 ; le répons Lux perpétua lucebit sanctis tuis, du Commun des martyrs au temps pascal, II, 35 ; le Modo coronantur, du répons au seeond nocturne du Commun des Apôtres, II, 45. L’Office des morts, qui dans son ensemble est une composition liturgique au plus tard du vin » siècle, lui doit, entre plusieurs autres textes, le verset Requiem œternam… et lux perpétua, ii, 34-35. Les visions du pseudo-Esdras n’ont pas la puissance de fiction de celles du pseudo-Énoch, ni leur originalité saisissante ; mais le pseudo-Esdras a par endroits une éloquence tendre et comme évangélique, et sa vision du monde des morts a une onction consolatrice qui suffirait à expliquer le succès du livre auprès des âmes chrétiennes. Voici quelques versets du chapitre n. « La mère qui les avait enfantés leur a dit : Allez, mes fils, allez-vous-en, car je suis maintenant veuve et abandonnée. Je vous avais élevés dans la joie ; je vous dis adieu dans le deuil et dans la douleur, parce que vous avez péché devant la face du Seigneur votre Dieu… Que pourrais-je pour vous ? Allez, mes fils, allez implorer la miséricorde du Seigneur… Et le Seigneur a dit à Esdras : Parle à mon peuple ; dis-lui que je vais lui donner le royaume de Jérusalem, … et les tabernacles éternels… mère, embrasse maintenant tes fils, et élève-les dans la joie ! … O bonne nourrice, nourris tes enfants, et protège leurs premiers pas… Plus de fatigue pour toi, plus de jours d’angoisse et d’alarmes. D’autres pleureront et seront tristes : toi, tu seras dans la liesse et dans l’abondance. Les nations te jalouseront, mais elles ne pourront rien contre toi, dit le Seigneur. Mes mains te couvriront, pour que tes fils ne connaissent point la géhenne. Joie, joie, joie pour la mère ; car ses fils qui dorment, je les ramènerai des entrailles de la terre… Voici votre pasteur qui vient, il va vous donner le repos éternel. Il est là tout proche celui qui vient à la fin du siècle. Préparezvous au règne, car la lumière éternelle va briller pour vous dans l'éternité. L’ombre des siècles n’existe plus pour vous : recevez la joie de la gloire qui est vôtre…, les tuniques splendides du Seigneur… Et moi Esdras, je vis sur la montagne de Sion une foule immense que personne

ne pouvait compter, et tous chantaient les louanges du Seigneur. Et au milieu d’eux il y avait un jeune homme, plus grand que tous, et qui sur la tête de chacun mettait une couronne. Et je demandai à l’ange : Qui sont ceuxlà, Seigneur ? Et il me répondit : Ce sont ceux qui ont échangé la tunique mortelle pour la tunique immortelle, et qui ont confessé le nom de Dieu ; maintenant ils sont couronnés et ils reçoivent des palmes. Et je dis à l’ange : Qui est ce jeune homme qui leur donne les couronnes et qui leur distribue les palmes ? Et il me dit : Celui-là est le Fils de Dieu, qu’ils ont confessé dans les siècles ! » Cf. A. Le Hir, Le quatrième livre d’Esdras, dans ses Études bibliques, Paris, 1869, t. i, p. 139-250, et Kabisch, Dos iv Buch Esra auf seine Quellen untersucht, Gottingen, 1889.

4° Apocalypse de Baruch, ou, si l’on veut, Apocalypse de l’an 117. — On n’en possédait jusqu'à ces dernières années qu’un fragment (ch. lxxviii-lxxxvi), à savoir : la Lettre de Baruch aux dix tribus, publiée en syriaque dans la Polyglotte de Paris et dans la Polyglotte de Londres. Ceriani a retrouvé et puhlié le texte syriaque complet, Monumenta sacra et profana, t. i, fasc. 2, Milan, 1866, p. 73-98. Fritzsche a publié, d’après Ceriani, la traduction en latin dudit texte syriaque, dans ses Libri apocryphi Veteris Testamenti, Leipzig, 1871, p. 654-699. — La scène est dite se passer la vingtcinquième année du règne de Jéchonias : Baruch y prophétise la ruine de Jérusalem de l’an 70, et la revanche messianique du peuple de Dieu, revanche déjà toute spirituelle, sans cependant aucun soupçon de millénarisme. Un court passage donnera une idée du ton brillant et mélancolique de tout le livre : « Et voici, une forêt d’arbres (il s’agit de l’empire romain) se dressait dans la plaine, et des montagnes sublimes, et des rochers inaccessibles l’entouraient. Et voici, en face une vigne grandit, et des racines de cette vigne s'échappait une source tranquille. L’onde s'épanchait et gagnait la forêt : ses flots grossirent, et ses flots inondèrent la forêt, et ils en déracinèrent les arbres, et ils couvrirent les monts à l’entour. Les faites des arbres furent humiliés, et les sommets des monts furent humiliés, et le flot devint si puissant, qu’il ne resta plus de toute la forêt qu’un cèdre, un grand cèdre, et celui-là même fut renversé. Plus rien… La place même n'était plus reconnaissable… Et la vigne s’avançait, portée sur les eaux paisiblement, paisiblement, et elle approcha des ruines du grand cèdre. Et voici, elle parla. Est-ce toi, disait-elle, ô cèdre resté seul de la forêt de malice, dans la main de qui la malice durait, et grandissait chaque année, et la bonté jamais ? qui t’enorgueillissais de ce qui n'était pas tien, et ne t’apitoyais pas sur ce qui était tien ?… et qui exaltais ton front toujours plus haut, comme si tu ne pouvais être jamais déraciné? Le temps s’est précipité. Ton heure est venue. Va-t-en maintenant, ô cèdre, va-t-en rejoindre la forêt qui n’est déjà plus. Deviens poussière avec elle, et que vos poussières se confondent. Reposez-vous ensemble dans votre châtiment, en attendant le dernier jour, où tu reviendras pour des châtiments plus cruels encore. Et voici, je vis le cèdre qui flambait. Et cependant la vigne croissait, tout autour d’elle croissait, et la campagne se couvrait de fleurs immortelles. » ch. xxxvi-xxxvh. L’auteur dit encore : « Malheur à nous, qui avons vu les tribulations de Sion et les mauvais jours de Jérusalem ! Laboureurs, ne semez plus, et tci, ô terre, pourquoi donner encore des fruits ? Cieux, retenez votre rosée et n’ouvrez plus les trésors de la pluie ! .Soleil, garde le feu de tes rayons, et toi, ô lune, éteins le faisceau de ta lumière : pourquoi y a-t-il encore de la lumière, quand la splendeur de Sion est obscurcie ?… Et vous, ô prêtres, prenez les clefs du sanctuaire, jetez-les vers le ciel, rendez-les au Seigneur et dites-lui : Garde ta maison, car voici, nous avons été des intendants infidèles. » ch. x. — Le calcul des semaines, suggéré par le chapitre xxviii, fait placer par M. Dillmann notre