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APOCALYPSE

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ci, le renouvellement du ciel, de la terre et de la cité de Jérusalem.

M9° 1 Krementz, aujourd’hui archevêque de Cologne, s'éloigne de l’auteur précédent en ce qu’il fait correspondre chacune des sept lettres aux Églises respectivement à sept âges successifs de l'Église, depuis sa fondation jusqu'à sa consommation à la fin du monde. À ses yeux, tous les oracles de l’Apocalypse nous présentent la glorification du Christ, et se partagent en trois visions. La première a pour théâtre la terre : c’est la glorification du Christ docteur. 1, 9-m, 22. La seconde a pour théâtre le tiel fermé : c’est la glorification du Christ prêtre, symbolisé par l’Agneau divin. L'Église, en butte aux perséeutions des derniers temps, parcourt (antitypiquement) les diverses phases de la passion du Sauveur ; elle ressuscite avec lui lors du triomphe final du Christ sur ses ennemis. iv, 1-xix, 10. La troisième partie a pour théâtre le ciel ouvert : c’est la glorification du Christ prince de la paix, vainqueur de ses ennemis. Le Sauveur remporte une victoire définitive sur les puissances infernales ; il glorifie son Église sur la terre : c’est le règne millénaire ; puis il l'élève au ciel. Ainsi l'Église imite son divin modèle descendant aux enfers, passant sur la terre quarante jours de sa vie glorieuse, et montant enfin au ciel, xix, 11-xx, 10. Suit comme conclusion le jugement dernier, xx, 11-15, et le règne pacifique de Dieu sur toutes les créatures. Tout y est renouvelé, la terre, le ciel, la cité de Jérusalem : c’est le règne du bonheur suprême pour les élus, du malheur suprême pour les réprouvés, xxi, 1-xxii, 5. Le tout se termine par un épilogue, xxii, 6-21.

VII. Critique sommaire de ces systèmes d’explication. — Les interprètes qui se rangent dans la première classe supposent que Dieu a voulu, dans les oracles de l’Apocalypse, donner à son Église, dans les conditions par lesquelles elle doit passer successivement, les avis, les consolations et les encouragements qui lui conviennent respectivement à chacun de ses âges. Ce dessein serait certainement digne de Dieu ; mais, s’il fut tel en réalité, les prophéties, à mesure que se déroulent les âges successifs, devraient s'éclaircir en présence des événements qui les vérifient. Or il n’en est pas ainsi. Pour s’en convaincre, il suffit de remarquer que les auteurs de la première classe se considèrent presque tous comme à peu près .contemporains de l’Antéchrist, le temps où ils vivent a pour eux tous les caractères du dernier âge du monde ; ainsi il se fait que, si l’on suit ces auteurs chronologiquement, ce dernier âge recule constamment de siècle en siècle. D’où il faut conclure que les prédictions de l’Apocalypse ne sont pas dévoilées suffisamment par les faits, au moins pour ce qui concerne les siècles qui suivirent la ruine de l’empire romain. C’est là un très fort argument contre cette manière d’expliquer.

La seconde classe d’interprètes ne sait rien nous dire .de précis quant aux oracles des derniers chapitres de l’Apocalypse ; mais on ne peut nier, semble-t-il, qu’ils expliquent d’une manière fort plausible la plus grande .partie des prédictions qui, selon eux, visent l’histoire des quatre premiers siècles de l'Église. Ils ne sont pas d’accord, il est vrai, sur certains détails des visions ; mais cela ne prouve pas que ces visions ne se soient pas vérifiées objectivement, car des dissentiments pareils n’existent pas moins pour plusieurs prophéties messianiques de l’Ancien Testament. Il y a accord quant à la substance, divergence quant aux détails. Il n’est donc pas étonnant que l’explication de Bossuet, complétée par celle d’Allioli, soit encore acceptée par beaucoup de bons esprits, en France et en Allemagne.

La troisième classe a sur les deux autres le grand avantage de réserver pour le temps futur toutes les visions de l’Apocalypse, à l’exception des sept lettres aux Églises, qui n’offrent guère de difficultés, si on les suppose adressées réellement aux évêques des Églises d’Asie, en vue de leur instruction ou de leur correction. Toutes les obscurités

du livre prophétique demeurent donc entières, puisque" aucun événement passé ou présent n’est venu les éclairer. L’Apocalypse, dernier écrit inspiré, répondrait ainsi parfaitement au premier des Livres Saints ; car, comme la Genèse nous révèle l’origine de toutes choses, ainsi l’Apocalypse nous en révélerait la consommation. Beaucoup d’interprètes modernes se rangent dans cette classe. On leur oppose pourtant l’accord frappant, même jusqu’aux menus détails, entre plusieurs oracles apocalyptiques et les faits qui accompagnèrent la chute de l’empire romain, la ruine du judaïsme et l’extirpation de l’idolâtrie.

Le règne millénaire est à peu près également difficile à expliquer dans tous les systèmes. La meilleure manière de l’entendre est peut-être d’y voir l’annonce de la paix dont jouit l'Église après les persécutions et les grandes hérésies, surtout à partir de Charlemagne.

VIII. Difficultés contre l’inspiration de l’Apocalypse. — Nous n’avons plus à nous occuper des théories rationalistes relatives à la composition de ce livre : elles écartent d’avance toute idée d’inspiration. Mais nous dirons quelques mots de deux difficultés que l'étude de l’Apocalypse peut suggérer aux lecteurs même orthodoxes.

1° Ce livre, dit-on, manque absolument d’originalité ; il n’a presque aucun concept, presque aucune image qui ne se retrouvent dans les prophéties de l’Ancien Testament, surtout dans celles de Daniel et d'Ézéchiel. Tout récemment, un écrivain allemand, M. Eb.Vischer, a soutenu que l’Apocalypse n’est qu’un livre juif interpolé par un chrétien. Il suffit d’y faire quelques suppressions (indiquées par cet auteur) pour retrouver, dit-il, l’Apocalypse juive primitive. — M. Vischer aurait dû nous expliquer comment un livre juif ainsi remanié a pu être reçu par les fidèles et par les disciples des Apôtres comme exprimant les révélations reçues par saint Jean, et communiquées par cet Apôtre aux Églises d’Asie. — Le voyant de Patmos ne serait-il donc qu’un habile plagiaire qui, sans avoir rien vii, aurait simplement présenté sous une forme chrétienne les visions des anciens prophètes ? M. Bacuez, dans son Manuel biblique, t. iv, n°951, répond très bien à cette allégation (que les incrédules font sonner très haut) tirée des ressemblances incontestables entre l’Apocalypse et les prophéties d’Israël : « Ce n’est pas au hasard, dit- ii, ni à une imitation volontaire ou réfléchie qu’on doit attribuer ces ressemblances. Saint Jean ne s’est jamais proposé de rivaliser avec les prophètes, ni de reproduire leur littérature ; mais, se trouvant dans les mêmes conditions qu’eux, il a parlé naturellement le même langage. Étant inspiré par le même esprit, ayant à annoncer les mêmes événements, à décrire les mêmes scènes, pourquoi n’aurait-il pas employé les mêmes traits ? D’ailleurs, sans être savant, il avait lu leurs écrits avec application et assiduité ; son esprit était rempli de leurs expressions, de leurs figures, de leurs images ; n’est-il pas naturel que, pour lui révéler ses secrets, Dieu les lui ait présentés sous ces images et avec ces figures, de même que, pour se communiquer aux autres prophètes, il a adopté leur langage habituel, leurs locutions et leur style ? » Il ne faut point, du reste, exagérer ces ressemblances. Les avis adressés aux évêques d’Asie sont un morceau propre à saint Jean, ayant à peine une analogie éloignée avec la mission de Jérémie vers les rois des nations pour leur présenter la coupe de la colère du Seigneur. Jer., xxv, 15-38. Les sept sceaux, les sept trompettes et les sept coupes, qui déterminent les grandes divisions du livre, ne manquent pas non plus d’originalité ; et si la dénomination de l’Agneau divin trouve son origine dans Isaïe, un, 7, la description de sa gloire et du culte qui lui est rendu est presque tout entière propre à la vision apocalyptique. C’est pareillement en vain que l’on chercherait dans les anciens prophètes le modèle de la lutte engagée entre le dragon et ses anges, d’un côté, saint Michel et les esprits célestes, de l’autre.

2° Il ne faut pas attacher plus de valeur à l’objection