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PRÉFACE

suppôt de Satan. Comment être sûr que le dépôt remis par l’Antéchrist était bien la pure et sainte parole de Dieu ? On pouvait à la rigueur répondre que l’Église l’avait reçue de la Synagogue, mais il était notoire que la Synagogue interprétait les prophéties autrement que nous et nous reprochait d’avoir faussé et altéré ce qui concernait le Messie. Pourquoi alors croire l’Église plutôt que la Synagogue ?

En vérité, on est confondu de l’inconséquence d’hommes d’ailleurs intelligents, quand on voit un Calvin prétendre reconnaître l’inspiration des Écritures « aussi aisément que nous apprenons à discerner la lumière des ténèbres, le blanc du noir, l’aigre du doux », Inst., p. 19 ; quand on voit un Luther, qui rejette tout l’enseignement de l’Église, toute la tradition, décider de la divinité des Écritures suivant qu’elles sont ou non conformes à son fameux critérium de la justification par la foi sans les œuvres ; qu’on le voit, au nom d’une théorie personnelle, accepter ou repousser certains livres canoniques ! « C’est là, dit-il, la véritable pierre de touche pour juger tous les livres, quand on voit s’ils insistent ou non sur ce qui regarde le Christ, puisque toute l’Écriture doit nous montrer le Christ, et que saint Paul ne veut rien savoir que le Christ crucifié. Ce qui n’enseigne pas le Christ n’est pas apostolique, quand même Pierre ou Paul l’eût dit ; au contraire, ce qui prêche le Christ, voilà qui est apostolique, quand même cela viendrait de Judas, d’Anne, d’Hérode ou de Pilate. »

Mais ce prétendu critérium, où l’a-t-il trouvé ? quelle en est la valeur ? Il était aussi arbitraire, aussi contestable que le subjectivisme de Calvin. En réalité, ce n’est donc pas l’Écriture qui dirige Luther, qui est sa règle de foi : c’est sa croyance personnelle, son Credo subjectif qui décide de la divinité de l’Écriture ; au-dessus de la parole de Dieu à laquelle il prétend se tenir, il met l’Évangile de la grâce. Ce critérium prétendu était le résultat de l’éducation théologique de Luther. En sortant de l’Église, Luther en emporta un tempérament doctrinal tout formé ; il conservera de son catholicisme certains points fondamentaux, mêlés d’erreurs, qui le guideront toute sa vie et serviront de fil d’Ariane au lecteur curieux et désireux de se reconnaître au milieu des contradictions du fougueux réformateur.

Le jour ne tardera pas à venir où l’on demandera ce que vaut le critère subjectif de Calvin, et celui plus doctrinal, quoique aussi fragile, de Luther. Vous rejetez l’Église, la tradition apostolique, la succession des pasteurs ; vous brisez les anneaux de la chaîne qui nous rattache à Jésus-Christ ; vous traitez les théologiens, qui vous enserrent dans les griffes de fer du bon sens, de la logique, de l’autorité, de l’histoire, vous les traitez d’ânes, d’impies, de blasphémateurs ; vous versez sur eux des tombereaux d’outrages, et vous croyez naïvement qu’à défaut du magistère de l’Église on acceptera le vôtre ? Et que me font à moi la théorie de Calvin, le critérium de Luther ? Vous m’interdisez d’obéir à l’autorité de l’Église, et vous m’obligez au nom de Dieu même à proclamer divins des livres où je ne vois que la marque de l’homme ? La Bible ne se prouve pas par elle-même, et si une autorité doctrinale dont je ne puisse douter ne me la met entre les mains, je ne croirai même pas à l’Évangile. Des hommes vont venir à la raison aussi forte que celle de leurs maîtres ; ils traiteront de fables la plupart des récits sacrés : la création, la chute, l’arche de Noé, l’histoire des patriarches ; ils nieront l’authenticité des Livres Saints, réduiront à néant la valeur des prophéties, et donneront à leurs négations des apparences si spécieuses, que les élus mêmes seraient séduits, s’ils pouvaient l’être. Au nom de la raison et