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APOCALYPSE


ce jour « jour du Seigneur ». Ad Magnes., ix, t. iii, col. 669.

Plusieurs rationalistes trouvent la clef de toute l’Apocalypse dans un fait rapporté par Tacite, Hist., ii, 8 ; I, 2, et par Suétone, Nero, 57. La Grèce et l’Asie conçurent, dit Tacite, de grandes terreurs. On y disait que Néron, fugitif, n'était pas mort de sa blessure ; qu’il allait bientôt reparaître. Alors, dit Suétone, d’après une rumeur qui prenait à Rome beaucoup de consistance, Néron accablerait de maux ceux qui s'étaient déclarés contre lui. Plusieurs imposteurs mirent à profit ces vaines terreurs, et tâchèrent de se faire passer pour le tyran revenu à la vie. Un d’entre eux eut tant de vogue, qu’il fut puissamment aidé dans son entreprise par les Parthes, alors les plus redoutables ennemis du nom romain. Tel étant l'état des esprits en Asie, les chrétiens, dit-on, appliquèrent à Néron ce qui leur avait été enseigné sur l’Antéchrist, car celui-ci n'était autre que le monstre couronné qui venait de disparaître. L’Antéchrist, d’après les prophéties, devait être exterminé par le Christ lui-même, revenu sur la terre ; cela ne s'était pas fait au moment de la chute de Néron : ce tyran devait donc revenir et renouveler la persécution contre les fidèles jusqu'à ce que le Christ le tuât d’un souffle de sa bouche. Is., xi, 4 ; II Thess., ii, 8. Cette persuasion des chrétiens est, disent ces auteurs, clairement insinuée dans Apoc, xvii, 9-10. Les sept têtes de la Bête sont sept rois ; cinq sont tombés, Auguste, Tibère, Caligula, Claude, Néron ; il y en a un qui est roi à présent, c’est Galba, le sixième ; un autre, le septième, n’est pas encore venu, et, quand il sera venu, il doit rester peu de temps. Il faut à l’auteur de l’Apocalypse sept empereurs pour parfaire le nombre sacré ; le septième ne peut rester que peu de temps, parce qu’il doit avoir disparu lors de la parousie ou « seconde venue » du Christ, laquelle est très proche. Le huitième roi, continue le texte apocalyptique, c’est la Bête qui était et n’est pas, c’est-à-dire qui était roi jadis et qui ne l’est plus, mais le deviendra, et prendra ainsi la huitième place dans la série royale. Il est un des sept (car il a régné avant Galba), et il s’en va à sa ruine, devant être tué par le souffle de la bouche du Christ revenu glorieux sur la terre. Voilà donc, d’après cette école incrédule, le noyau historique autour duquel se groupent tous les détails de l’Apocalypse. (Il y en a qui commencent la série des « rois » par Jules César. Ceux-là placent la « prétendue vision » sous Néron, et la rédaction sous Galba, le septième roi, dont l’auteur apocalyptique prévoit la chute prochaine.) L’hypothèse, ajoute-t-on, est confirmée d’une manière éclatante par l’explication du nomhre de la Bête, 606. Ce nombre, compté suivant la valeur des lettres hébraïques, n’est autre que celui du nom Néron Qésar, Népwv Kaûrap. En effet, ce nom vaut, selon la suite des consonnes, 50 + 200 + 6 + 50+100 + 60 + 200, dont la somme est exactement 666. Il suivrait de tout cela que l’Apocalypse aurait été écrite l’an 68 ou 69.

Tout ce système d’explication ; inconciliable avec l’inspiration de l’Apocalypse, repose sur une base fort fragile. Les auteurs qui y adhèrent ne prouvent en aucune manière que les chrétiens d’Asie aient été persuadés du retour prochain de Néron au point de ne pas hésiter à appuyer désormais sur un fait aussi invraisemblable toutes leurs espérances messianiques relatives à l’avènement glorieux du Sauveur. Ce qui est dit du passage Apoc, xvii, 9, 10, est convaincu de fausseté en ce que l’on confond la Bête ellemême (bestia… ipsa octava est) avec une de ses sept têtes. On répond à cette difficulté que Néron étant le dernier empereur légitime nommé par le sénat, l’empire se résume en sa personne, et qu’ainsi il est à la fois une des têtes de la Bête et la Bête elle-même. Il faut avouer que cette solution est plus ingénieuse que solide. Si les empereurs romains qui suivirent Néron ne furent plus nommés par le sénat, mais par les armées, la plupart d’entre eux furent confirmés dans leurs pouvoirs par l’auguste assemblée, et regardés dés lors comme souverains

légitimes. Enfin le nom de Nêrôn Qêsar ne vaut 6C6 quepar l’omission du yod que donne la transcription de Kaîoap. En ajoutant cette consonne, on trouve 676. Cette omission du yod est inadmissible. Il est vrai que, pour la justifier, on allègue des inscriptions palmyréniennes du me siècle, où Kaîoap est transcrit sans yod ; mais ces monuments, écrits deux cents ans après l’Apocalypse, et dans une région sémitique, ne prouvent nullement que saint Jean, en Asie, ait transcrit de la même manière défectueuse le nom de César. Ce nombre de la Bête a exercé de tout temps la sagacité des interprètes chrétiens, et plusieurs de leurs hypothèses valent mieux que celle que les rationalistes vantent de nos jours comme la seule acceptable.

Concluons qu’il faut s’en tenir à la tradition commune, et placer la rédaction de l’Apocalypse sous Domitien, vers la fin de son règne, c’est-à-dire en l’année 95.

IV. Caractère prophétique de l’Apocalypse. — Il est attesté par saint Jean lui-même, lorsque cet Apôtre nomme son livre une Révélation de Jésus-Christ, qui lui a été communiquée par un ange. Saint Jean apparaît dans son Apocalypse comme un envoyé du Christ-Dieu, chargé par lui de communiquer aux hommes les volontés du ciel et les visions mystérieuses qu’il a vues se dérouler devant ses yeux. De plus, l’auteur sacré assure que ces visions se rapportent à des événements futurs, qui doivent s’accomplir bientôt. Apoc, i, 1. Enfin il donne aux choses renfermées dans son livre le nom même de prophétie, i, 3 ; xxii, 7. Quiconque admet l’inspiration divine de l’Apocalypse ne peut donc pas mettre en doute son caractère rigoureusement prophétique, reconnu d’ailleurs par la tradition constante de l'Église. Il résulte de là que l’on doit rejeter, sans examen ultérieur, toute explication qui dénie ce caractère au contenu de l’Apocalypse. Le rationalisme prétend que ce livre n’est qu’un poème religieux, destiné à consoler et à encourager les fidèles accablés sous le poids des persécutions. Le peu qu’il se hasarde de prédire par rapport aux choses futures, il le tire soit de conjectures probables sur la marche des événements dans l’empire romain, soit du ferme espoir qu’il partageait avec tous les disciples du Christ touchant le retour prochain et glorieux du Sauveur. Persuadé qu’alors le Christ réduirait à néant tous ses ennemis, l’apocalyptique, donnant libre cours à ses fictions poétiques, décrit en images brillantes et variées la vengeance que le Messie exercera contre les persécuteurs de ses fidèles. Ces visions, du reste, ne sont guère autre chose que celles de Daniel et d'Èzéchiel, légèrement modifiées et adaptées aux idées chrétiennes. Tel est, en résumé, le point de vue de l’exégèse incrédule. Il est le même pour l’interprétation de toutes les. prophéties dont elle ne peut pas nier l’authenticité. Nous parlerons plus loin des ressemblances qu’offrent les visions apocalyptiques avec celles des prophètes de l’Ancien Testament.

Les interprètes orthodoxes sont loin d'être d’accord sur le sens précis dts visions prophétiques de l’Apocalypse. Nous ferons connaître les principaux systèmes d’explication qui ont cours parmi eux. Mais auparavant il nous faut donner une analyse succincte de tout le livre.

V. Analyse du texte. — 1° Inscription, i, 1-3. — Elle donne le nom de celui qui reçut et écrivit « la Révélation de Jésus-Christ » ; l’argument général du livre est le fruit salutaire qu’il doit produire.

2° Prologue, i, 4-m, 22. — Huit communications ou messages : la première à tous les fidèles, i, 4-20 : l’Apôtre fait savoir qu’il a reçu à Patmos l’ordre d'écrire ces visions et d’envoyer son écrit aux Églises. — Les sept autres messages sont adressés chacun à une des sept Églises d’Asie ; les « anges » de ces Églises y reçoivent les éloges et les reproches mérités, et les avis qui leur conviennent, il, -1-111, 22.

3° Les visions à transmettre aux Églises. IV, 1-xxii, ô. Elles constituent le corps de tout le livre.