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APOCALYPSE

appeler témoins du Christ, τῷ πιστῷ καὶ ἀληθινῷ μάρτυρι καὶ πρωτοτόκῷ τῶν νεκρῶν. Apoc, i, 5. Voir Migne, Patr. gr., t. xx, col. 413, 434. Deux autres auteurs du IIe siècle, Théophile d’Antioche et Apollonius, prêtre d'Éphèse, produisirent contre les hérétiques « des témoignages de l’Apocalypse de Jean ». C’est ce que nous apprend Eusèbe, H. E., iv, 24, et v, 18, t. xx, col. 389 et 480.

Alexandrie nous fournit en faveur de l’Apocalypse les témoignages de Clément et d’Origène. Celui-ci dit expressément que Jean, le disciple qui reposa sur la poitrine de Jésus, l’auteur d’un des Évangiles, écrivit aussi l’Apocalypse, Eusèbe, H. E., vi, 25, t. xx, col. 584 ; celui-là se servait de l’Apocalypse comme d’un livre inspiré, et semble n’avoir soupçonné aucune opposition à son authenticité. C’est un fait hautement avoué par Lücke, un des principaux adversaires de ce livre.

À Rome, au IIe siècle, l’Apocalypse est comptée parmi les Livres Saints dans le Canon de Muratori, et, à la même époque, Hippolyte écrivit un traité sur l’Apocalypse de Jean. S. Jérôme, De vir. ill., lxi, t. xxiii, col. 671.

Enfin, en Afrique, Tertullien invoque l’autorité de l’Apocalypse sans aucune réserve, aussi bien avant qu’après sa chute. Il ne l’a donc pas reçue des Montanistes, et ce ne sont pas ces hérétiques qui lui en ont inspiré l’estime.

Il reste ainsi parfaitement démontré que, pendant le cours des deux premiers siècles, l’Apocalypse était reçue dans toutes les parties de l'Église comme un écrit inspiré, l'œuvre de Jean, le disciple chéri de Jésus. Alors, il est vrai, elle était rejetée par la secte hérétique des Aloges ; mais cette opposition, ne reposant que sur des raisons dogmatiques, n’est d’aucune importance au point de vue de la critique. Il n’en est pas de même des contradictions qui, au IIIe siècle, s'élevèrent à Alexandrie contre l’origine apostolique de l’Apocalypse. Le millénarisme comptait à cette époque des adhérents nombreux et illustres. Cette opinion avait son origine dans un passage de l’Apocalypse, xx, 4-7, lequel, entendu dans son sens propre, promet aux justes non séduits par la Bête une résurrection anticipée, et un règne de mille ans avec le Christ. Un évêque appelé Népos ayant mis au jour un écrit en faveur de ce système, saint Denys, évêque d’Alexandrie, prit la plume pour le combattre. Dans le cours de la discussion, il énonça des soupçons contre l’autorité apostolique de l’Apocalypse. Un livre renfermant une doctrine aussi singulière était-il vraiment l'œuvre d’un Apôtre ? L’Apocalypse était, il est vrai, regardée partout comme l'œuvre de Jean ; mais, outre Jean, l’apôtre et l'évangéliste, l’antiquité chrétienne connaissait un prêtre Jean, ὁ πρεσϐύτερος Ἰωάννης, dont parle Papias comme d’un de ses maîtres. C’est plutôt à celui-ci, dit l'évêque d’Alexandrie, qu’il faut attribuer la paternité de l’Apocalypse. Saint Denys tient d’ailleurs ce livre en haute estime, à cause de la considération dont il jouit dans l'Église ; il le regarde comme l'œuvre d’un homme saint et inspiré de Dieu, ἁγίου καὶ θεοπνεύστο ; mais il se flatte, par l’hypothèse qu’il propose, d’enlever aux chiliastes l’avantage d’appuyer leur système sur un texte apostolique. Voir Eusèbe, H. E., vii, 21, t. xx, col. 092 et 693. La solution mise en avant par un si grand prélat fut avidement accueillie par les adversaires du millénarisme, et ainsi il se forma bientôt un courant d’opinion défavorable à l’authenticité de l’Apocalypse. Au IVe siècle, on constate qu’elle n’est point comptée parmi les livres inspirés du Nouveau Testament par saint Cyrille de Jérusalem, par saint Grégoire de Nazianze, par les Canons dits des Apôtres, par saint Jean Chrysostome, par l’auteur des Iambes à Séleucus (οἱ πλειοῦς δέ νόθον λεγοῦσιν) ; mais elle est acceptée par saint Athanase, dans sa lettre festivale, par l’auteur de la Synopse qui porte le nom de saint Athanase, par saint Éphrem, et par tous les Pères d’Occident. Eusèbe, lorsqu’il passe en revue les Livres Saints, commence par ranger l’Apocalypse parmi les ὁμολογούμενα ; mais, dans l'énumération des livres apocryphes (ἐν τοῖς νόθοις), il ajoute : « Joignez à ces livres, si cela vous plaît, l’Apocalypse de saint Jean, que quelques-uns, comme je l’ai dit plus haut, comptent parmi les livres reçus sans contestation (τοῖς ὁμολογούμενoις). » H. E., iii, 25, t. xx, col. 268. Il régnait donc au IVe siècle, par rapport à l’Apocalypse, deux opinions contraires : les uns la rejetaient absolument, les autres l’admettaient sans aucune hésitation. Plus tard, lorsque les millénaires eurent cessé de faire parler d’eux, l’Apocalypse reconquit peu à peu la place que l’antiquité lui avait assignée parmi les écrits apostoliques et inspirés. L’histoire de la controverse suscitée autour de ce livre montre clairement que jamais ses adversaires ne produisirent contre lui aucun témoignage de la tradition ; saint Denys d’Alexandrie s’efforça seulement d’appuyer son sentiment sur le style et sur quelques arguments internes, qui ont été repris de nos jours par les rationalistes, et que nous examinerons bientôt. Un critique moderne, F. Chr. Baur, a pu dire avec raison qu’il n’y a, dans le canon du Nouveau Testament, aucun livre dont l’origine apostolique soit établie sur des témoignages plus nombreux et meilleurs que celle de l’Apocalypse. Kritische Untersuchungen über die kanonische Evangelien, p. 345.

Les rationalistes modernes sont généralement d’accord pour soutenir que l’Apocalypse et le quatrième Évangile ne peuvent pas provenir d’un même auteur. Mais ils se divisent en deux camps opposés, selon qu’ils rejettent ou acceptent l’authenticité de cet Évangile. Ceux qui attribuent celui-ci d’une certaine manière à saint Jean l’apôtre, rapportent à un écrivain ancien homonyme la composition de l’Apocalypse ; ceux, au contraire, qui ne veulent pas que l'Évangile soit une œuvre apostolique, donnent au disciple bienaimé la paternité du livre prophétique du Nouveau Testament. Dès lors on conçoit d’avance que le débat portera en grande partie sur les différences signalées entre les deux écrits, et entre l’Apocalypse et la première Épître de saint Jean. Saint Denys d’Alexandrie avait le premier agité cette question, mais avec une grande réserve ; les rationalistes l’ont reprise et développée avec l’audace qui leur est propre.

1° L'Évangéliste et l’auteur de l'Épître ne se nomment nulle part dans leurs écrits, l’auteur de l’Apocalypse met son nom en tête de son livre. — En cela saint Jean s’est conformé à l’usage constant des prophètes de l’Ancien Testament : ceux-ci se nomment avant de prononcer leurs oracles ; au contraire, aucun des auteurs des livres historiques des deux Alliances ne se nomme ; et quant à l'Épître, on s’accorde à la regarder comme une sorte de préface ou d’introduction à l'Évangile, dont elle accompagnait l’envoi aux Églises.

2° Un Apôtre n’aurait pas parlé de lui-même comme l’auteur de l’Apocalypse parle du collège apostolique, xviii, 20, et xxi, 14. — Un Apôtre pouvait très bien manifester les privilèges du corps des élus du Seigneur, et surtout il devait rapporter fidèlement ce que l’Esprit-Saint lui avait révélé à ce sujet. La modestie ne lui défendait donc pas de joindre les Apôtres aux saints et aux prophètes dans la joie causée par la chute de la grande Babylone, et il pouvait aussi bien que saint Paul appeler les douze Apôtres les fondements de la Jérusalem nouvelle.

3° La langue du quatrième Évangile n’est pas celle de l’Apocalypse. Le grec de l’Évangile est relativement pur et correct ; le grec de l’Apocalypse est inculte, il n’y manque ni des barbarismes ni des solécismes. Témoin Apoc. i, 4 : ἐιρήνη ἀπὸ ὁ ὠν καὶ ὁ ἠν καὶ ὁ ἐρχόμενος; i, 5 : ἀπὸ Ἰησοῦ χριστοῦ ὁ μάρτυς ὁ πιστός ; xx, 2 : τὸν δράκοντα, ὁ ὄφις ὁ ἀρχαῖος ; iv, 1 : ἡ φωνὴ … λγων, etc. Les hébraïsmes y sont bien plus fréquents que dans l'Évangile. — On répond que la fréquence des hébraïsmes vient en grande partie de la nature de l’ouvrage : c’est un livre prophétique si rempli d’allusions aux visions de Daniel et d'Ézéchiel, qu’on le dirait calqué sur ces deux apocalypses de l’Ancien Testament. Quant au barbarisme ὁ ὠν, ὁ ἠν καὶ ὁ ἐρχόμενος, il est certainement intentionnel de la part de l’au-