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    1. ANTIOGHE##

ANTIOGHE (ÉCOLE EXÉGÉTIQUE D’)

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continua dans ses écrits les traditions de l’école d’Antioche ; toutefois il ne fut guère qu’un compilateur et un abréviateur de saint Jean Chrysostome, et son œuvre est 1 annonce de la décadence.

III. Période de décadence de l’école exégétique d’Antioche, à partir de 430. — Les erreurs de Nestorius, nommé en 428 archevêque de Constantinople, mort en 440, furent futaies à l’école d’Antioche. Cet hérésiarque avait été disciple de Théodore de Mopsueste. Ses sectateurs adoptèrent ses principes d’exégèse. Obligés de quitter l’empire, ils se réfugièrent dans le royaume de Perse, où ils furent protégés pour des raisons politiques, et, à partir de 431, date de la condamnation du nestorianisme par le concile d’Éphèse, ils furent les maîtres de l’école d’Édesse en Mésopotamie, destinée à former le clergé perse. Quand cette école, après des péripéties diverses, fut détruite par l’empereur Zenon en 489, les professeurs hérétiques la transportèrent à Nisibe, où elle se perpétua jusque fort avant dans le moyen âge. Voir H. Kihn, Theodor vom Mopsueslia, p. 198-212. À Édesse et à Nisibe, ils avaient écrit en syriaque. Ibas, Cumas et Probus avaient déjà traduit en langue syriaque, dans cette première ville, les écrits de Diodore de Tarse et de Théodore de Mopsueste.

Tandis que les Nestoriens continuaient en Perse l’enseignement de leur chef, d’après la méthode de Théodore de Mopsueste, l’école exégétique d’Antioche déclinait dans cette ville au milieu des luttes des hérétiques. Les écrivains orthodoxes qui fleurissent alors sont inférieurs à ceux qui les avaient précédés par l’originalité, la profondeur et l’activité. Tels sont les disciples de saint Jean Chrysostome : l’abbé Marc, moine égyptien (f vers 410) ; saint Nil, moine dumontSinaï (f vers 450) ; Victor d’Antioche, auteur d’un commentaire de l’Évangile de saint Marc ; Cassien († 431), qui fonda le monastère de Saint -Victor à Marseille ; saint Proclus, patriarche de Constantinople († 447), etc. Tous ces auteurs, à part Cassien, dont les ouvrages sont en latin, écrivirent en grec ; ils ignorèrent ou connurent fort peu l’hébreu et le syriaque, et ne se servirent des Hexaples d’Origène que dans un but exégétique, non comme d’un instrument de critique, comme l’avait fait Diodore de Tarse. Voir Diodore, In Gen. xxiv, 2, t. xxxiii, col. 1575, etc.

Sur les autres écrivains qui se rattachent à l’école d’Antioche, voir J. S. Assemani, Bibliotheca orientalis, Rome, 1735, t. iii, part, i, p. 37 et suiv.

IV. Influence de l’école exégétique d’Antioche en Occident. — On a vu une attaque contre l’école d’Antioche dans les paroles de saint Jérôme condamnant ceux qui suivent la honte de la lettre et ne savent pas s’élever plus haut : « Si turpitudinem litlerse sequatur et non ascendat ad decorem inlelligentise spiritalis. » In Amos, ii, 1, t. xxv, col. 1003. Si l’illustre docteur a jugé, non sans raison, que les exégètes qu’il combat poussaient quelquefois trop loin les conséquences de leurs principes, il n’en a pas moins reconnu leur mérite, et il a contribué plus que personne à répandre leurs idées en Occident. L’influence de l’école d’Antioche ne fut pas ainsi bornée à l’Orient seul. Les règles qu’elle avait suivies firent leur chemin dans les monastères latins. Voir Junilius Africanus, Instituta reqularia divinse legis, édit. Kihn, in-8°, Fribourg-en-Brisgau, 1880. Si les écrits de Diodore, de Théodore de Mopsueste, de Polychronius et même de Théodoret, trouvèrent peu de lecteurs dans l’Église occidentale, les homélies de saint Jean Chrysostome eurent toujours des admirateurs et contribuèrent à répandre le goût de sa manière d’interpréter la Sainte Écriture.

V. Jugement critique sur l’école exégétique d’Antioche.

— Cette école, nous l’avons vii, n’a pas été sans tache. Née en partie d’une réaction naturelle et justifiée contre les excès de l’interprétation allégorique d’Origène, elle ne sut pas toujours s’arrêter à temps en marchant dans la voie opposée, et éviter tous les précipices qui bordaient sa route. L’école d’Alexandrie faisait fortement ressortir

l’élément surnaturel, mystérieux des Écritures ; mais elle donnait trop quelquefois à l’imagination. Celle d’Antioche insistait davantage sur le côté rationnel des dogmes chrétiens, et s’efforçait de prouver que le christianisme est en parfait accord avec les exigences légitimes de la raison ; mais si ses docteurs les plus éminents surent éviter l’écueil du rationalisme et ne prétendirent nullement contester le caractère surnaturel des mystères de notre foi, les erreurs graves dans lesquelles tombèrent quelques-uns de ses membres ternirent sa gloire ; elles lui devinrent funestes et finirent par amener sa ruine complète.

Cependant, quels que soient les reproches qu’on est en droit d’adresser à l’école d’Antioche, on ne doit pas méconnaître les grands services qu’elle a rendus à la théologie et aux Livres Saints. Non seulement elle a fait toucher du doigt ce qu’il y avait d’arbitraire et de faux dans l’allégorisme outré d’Origène, mais elle a posé les principes d’une saine exégèse, qui demeurent toujours vrais, et qui, appliqués avec sagesse, doivent être les guides du théologien. Les maîtres de cette école ont établi l’herméneutique sacrée sur une base solide, et ils en ont fait une véritable science, en montrant, en théorie, quelles sont les véritables règles de l’interprétation littérale, c’est-à-dire de l’interprétation historique et grammaticale ; et en indiquant en pratique, par leur exemple, comment il faut les appliquer.

Origène, par ses Hexaples et ses Commentaires, avait posé, il est vrai, les fondements d’une exégèse scientifique ; mais il n’avait pas su achever l’édifice qu’il avait commencé, parce que sa méthode était défectueuse. Les Antiochiens, sans avoir son génie, furent plus heureux que ce grand docteur. En mettant à profit, avec une méthode sûre, les travaux de ceux qui les avaient précédés, ils expliquèrent les Écritures avec le plus grand succès ; l’exégèse de saint Jean Chrysostome est encore aujourd’hui un modèle.

Les deux écoles se complétèrent, du reste, à bien des égards, en suivant chacune une direction particulière. Les Alexandrins suivaient une tendance spéculative et mystique ; les docteurs d’Antioche se distinguaient surtout par la réflexion, la logique et la sobriété des idées. Tandis que les premiers s’attachaient de préférence à la philosophie de Platon, surtout dans la forme que lui avait donnée Philon, les seconds étaient éclectiques, prenant quelque chose au stoïcisme et beaucoup à Aristote, dont la dialectique convenait à leur genre d’esprit. Toutefois il n’y avait pas une opposition absolue entre les uns et les autres. Clément et Origène donnaient une place beaucoup plus grande à l’allégorisme ; Diodore de Tarse et ses élèves, à l’interprétation littérale et historique ; mais ceux-ci ne rejetaient point entièrement le sens mystique, ni surtout les figures typiques de l’Ancien Testament, et ceux-là, s’ils sacrifiaient trop souvent le sens littéral et le déclaraient insuffisant, reconnaissaient néanmoins son existence et son utilité. Ils admettaient tous aussi l’inspiration des Écritures, et retendaient à toutes les parties de l’Ancien et du Nouveau Testament ; seulement à Alexandrie on croyait souvent découvrir dans une expression isolée une pensée profonde que le Saint-Esprit aurait eue en vue, au lieu qu’à Antioche on faisait ressortir davantage dans les livres sacrés la part de l’homme, dont Dieu s’était servi pour nous communiquer la vérité révélée. La foi était donc la même, quoique dans l’interprétation de la parole de Dieu on donnât d’un côté davantage au sentiment, et de l’autre à la raison.

Les deux tendances subsistent toujours : quelques esprits, aujourd’hui encore, sont portés vers les spéculations mystiques des Alexandrins ; cependant le plus grand nombre des commentateurs, habitués à une méthode scientifique rigoureuse, ne veulent rien admettre sans preuves positives, et s’appliquent à établir les vérités chrétiennes sur l’interprétation littérale des Écritures, appuyée sur la tradition.